Le prêt garanti par l’Etat ou PGE doit permettre aux professionnels de couvrir leur perte de chiffre d’affaires durant la crise. Mais ce dispositif n’est pas sans danger pour les entreprises elles-mêmes et les finances publiques.

Le prêt garanti par l’Etat ou PGE est l’une des mesures emblématiques prises dès mars par le gouvernement pour soutenir les entreprises impactées par le confinement. L’idée : leur permettre de faire un crédit à des conditions avantageuses pour combler leurs pertes et continuer à assumer leurs charges. Ce PGE complète d’autres dispositifs destinés, aussi, à aider les entreprises à traverser la crise, comme le chômage partiel indemnisé par l’Etat, le fonds de solidarité ou encore le report des charges sociales et fiscales.

Accessible jusqu’au 30 juin 2021, le PGE peut être accordé par les banques ou, depuis mai, par certaines plateformes de crowdfunding (October, PretUp, Unilend, GwenneG ou encore Credit.fr). Le montant de cet emprunt est plafonné. Il ne peut pas dépasser 3 mois du chiffre d’affaires réalisé en 2019 ou 2 ans de masse salariale pour les entreprises jugées innovantes ou lancées courant 2019. La première année, l’emprunteur ne paie rien. Les établissements bancaires restent libres d’accorder ou non un PGE, même s'ils se sont engagés à l’octroyer « le plus largement possible » aux professionnels et aux entreprises qui en ont besoin.

Au regard du décompte hebdomadaire diffusé par le ministère de l’Economie, cet engagement est respecté. Au 13 novembre, sur les 129,6 milliards d’euros demandés aux banques, 125,5 milliards ont été débloqués, soit un taux de refus de seulement 2,8%. « Il est beaucoup plus bas qu’à la normal », souligne Richard Pons, délégué syndical national de la CFDT pour BNP Paribas, ce que confirment les données de la Banque de France. L’année dernière, au troisième trimestre 2019, un tiers des TPE et 13% des PME s’étaient vu refuser un crédit de trésorerie. « Pour une banque, il est en ce moment plus facile de dire oui car l’Etat prendra en charge une large partie des crédits non remboursés », poursuit Richard Pons. En effet, dans le cadre du PGE, l’Etat est garant à hauteur de 90% du montant prêté aux entreprises de moins de 5 000 salariés ou réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros par an. Pour les plus grosses, la garantie tombe à 80% ou 70%.

Créer des entreprises mortes-vivantes

« Le PGE est une bombe à retardement »

Dans ces conditions, certains économistes redoutent que le PGE soutienne des entreprises qui auraient dû faire faillite même sans le coronavirus. Dèjà, avant le confinement du printemps, Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, un institut privé d’études économiques, s’en inquiétait. Dans une note parue le 12 mars, il rappelait que, avant la crise, déjà 5% des entreprises françaises créées depuis plus de 10 ans, couvrant 5% des employés en France, pouvaient être qualifiées de « zombies ». C’est-à-dire des entités qui ne font pas suffisamment de bénéfices pour payer leurs charges et qui s’endettent pour tenir le coup. « S’il est trop tôt pour le quantifier, le risque de voir augmenter ces « entreprises zombies » est bien réel, avec comme conséquence de voir diminuer la productivité globale de l’économie et de casser sa dynamique normale qui est celle de la destruction créatrice », expliquait Denis Ferrand sur Xerfi Canal, quelques semaines après la publication de sa note.

« Le PGE est une bombe à retardement, s’inquiète également Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste et maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Combler le manque à gagner avec un crédit, c’est à la fois retarder le problème et le décupler puisque les entreprises qui font face aux pertes les plus importantes sont aussi celles qui auront le plus de difficultés à rembourser leur PGE », nous explique-t-elle.

Le danger de « l’illusion du cash »

« Des difficultés masquées par le PGE »

Avec la crise économique d’ampleur liée au Covid-19 – la récession en 2020 va être 4 fois plus grave que celle de 2009 – et qui, selon la BCE, risque de se prolonger jusqu’à l’automne 2022, les entreprises plutôt saines avant la crise ne sont pas, non plus, à l’abri de difficultés financières. Or, ces difficultés peuvent être cachées, voire exacerbées, par le PGE qui donne « l’illusion du cash » aux professionnels, comme nous l'explique Robert Lambert, directeur de la société de conseil en stratégie Zalis en Auvergne Rhône-Alpes. « Un chef d’entreprise m’a confié qu’en 6 mois, il avait accumulé une trésorerie équivalente à son chiffre d’affaires des 6 premiers mois de l’année. Mais au sortir le crise, l’activité ne va pas redémarrer à 100% et il faudra à nouveau assumer la totalité des charges et le paiement des salaires. Cette liquidité, apportée notamment par le PGE, risque donc de partir aussi vite qu’elle est venue. C’est cela l’illusion du cash ! », illustre Robert Lambert.

D’après ce conseiller en stratégie d’entreprises, le PGE peut être une bonne béquille pour passer la crise. Mais, il est nécessaire que les entrepreneurs profitent de cette mesure de soutien pour adapter leur activité à l’après crise (ajuster la taille de leurs locaux, éventuellement relocaliser leur production, anticiper la défaillance de clients ou de fournisseurs….). A défaut, « les entreprises vont devoir reprendre leur activité dans un contexte morose, plus endettées, avec un PGE à rembourser, et avec un besoin de trésorerie accru que les banques risquent de ne pas accepter de financer », redoute-t-il.

Les entrepreneurs individuels (pas les EIRL) doivent redoubler de vigilance avant de demander un prêt garanti. Car, rappelons-le, le PGE reste un prêt bancaire. A ce titre en cas de défaut et avant que la garantie de l’Etat ne s’applique pleinement, leurs biens personnels sont saisissables, à l’exception de leur résidence principale et, éventuellement, des biens déclarés insaisissables devant un notaire. « La garantie de l’Etat indemnise la banque de sa perte finale, nette de ces recouvrements », confirme à MoneyVox la direction générale du Trésor.

La qualité des PGE se dégrade au fil du temps

A en croire les responsables syndicaux interrogés, les banques se montrent vigilantes. « Elles ont octroyé des PGE en sachant très bien qu’il y aurait des défauts, avec le risque d’être accusées de soutien abusif des entreprises en difficultés. Toutefois, les banques n’ont aucun intérêt à financer des « entreprises zombies » car, en cas de non-remboursement, elles portent une partie du risque », assure ainsi Frédéric Guyonnet, président du premier syndicat du secteur, le SNB/CFE-CGC. « On ne se bat pas pour en faire trop, car en cas de défaut, la banque assumera une partie des pertes », renchérit Richard Pons de la CFDT BNP Paribas. Le Trésor abonde également en ce sens : « Leur alignement d’intérêt avec l’Etat garant est assuré par le fait que les banques restent exposées directement sans garantie et sûreté sur 10% du crédit qu’elles font ».

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Les statistiques sur la distribution du PGE montre néanmoins qu’il tend à être de plus en plus accordé à des entreprises fragiles. Au 15 août, 9,6% des entreprises ayant obtenu un PGE (représentant 44,4% des montants accordés) disposaient d’une capacité à rembourser leurs dettes jugée « correcte » voire « excellente », d’après la notation de la Banque de France. Au 13 novembre, la proportion de ces entreprises fiables est tombée à 8,5% (représentant 41,4% des encours). Cette dégradation peut aussi venir d’un effet volume. Certaines enseignes, bien qu'ayant lancé le PGE, ont fait monter en puissance leur politique de distribution plus tardivement, selon Frédéric Guyonnet, qui cite notamment La Banque Postale, le Crédit Agricole et la Société Générale.

En outre, « avec l’aggravation de la crise cet automne, toutes les banques ont proposé le PGE de manière proactive en expliquant aux entreprises en difficulté que si elles n’injectaient pas maintenant de la liquidité, leur situation allait rapidement devenir très compliquée », poursuit le président du SNB. Cette montée en puissance du dispositif a aussi été observée par les principaux intéressés : les commerçants. « En juillet, nous estimions à 15% la part des fleuristes qui n’ont pas obtenu ou partiellement seulement de PGE. Après avoir été réticents, les banquiers sont plutôt gentils en ce moment, même si pour les fleuristes le plus gros choc s’est fait en mars. Car ils se rendent compte que pour garder leurs clients, il est nécessaire de distribuer le PGE », rapporte ainsi Pascal Mutel, président de la chambre syndicale des fleuristes d’Ile-de-France.

« Pile la banque gagne, face l’Etat perd »

« Un outil commercial pour les banques »

D'ailleurs, pour Jézabel Couppey-Soubeyran, les banques peuvent se servir du prêt garanti comme d’un atout commercial, une façon de se relancer sur le segment des professionnels que certaines avaient déserté. « Le crédit aux entreprises s’est réduit comme peau de chagrin dans le bilan des banques universelles françaises. A leur actif, il y a seulement 30% de crédit. Et, sur ces 30%, le prêt aux TPE-PME ne représente que 5 à 6 points. En masse, cela répond peut-être à la demande des entreprises, mais cela interroge tout de même sur ce qu’est devenu le métier de banquier », questionne l’économiste. De quoi lui faire dire que, avec le PGE, « les banques ont le bon rôle en se reconcentrant sur une activité qui est censée faire leur raison d’être, mais sans assumer le risque qui est transféré sur l’Etat. On est de nouveau dans pile la banque gagne, face l’Etat perd ».

Pour éviter que les banques tirent profit du PGE, elles se sont engagées à limiter leur marge et à le proposer à « prix coûtant », comme nous le rappelle le Trésor. Cela veut dire qu’une fois le différé de remboursement passé, le taux d’intérêt appliqué doit refléter uniquement la prime de garantie versée à l’Etat (portée entre 1% et 2% après un an), le coût du risque et de la ressource pour la banque. C’est-à-dire les frais mobilisés pour obtenir les liquidités nécessaires au prêt. Or, comme le coût de la ressource est fluctuant, les banques n’ont communiqué, pour l’heure, que des fourchettes de taux applicables « dans les conditions actuelles ». Ainsi pour les TPE et les PME, ces conditions devraient « permettre de proposer une tarification maximale de 1% à 1,5% pour des prêts remboursés d’ici 2022 ou 2023, et de 2% à 2,5% pour des prêts remboursés d’ici 2024 à 2026, coût de la garantie de l’Etat compris », précisait le 6 septembre le ministère de l’Economie.

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