En cas de faillite d’une banque, il existe deux remèdes possibles. Mais leur efficacité interroge. Dans le contexte de la crise du coronavirus, qui risque de fragiliser les banques, l’Europe accélère pour la renforcer. Et une solution étonnante se profile pour les clients.

Indemniser les déposants après une faillite ou bien, intervenir en amont en menant des actions dites de « résolution », comme le renflouement de la banque en difficulté : c’est actuellement sur ces deux jambes que repose la gestion des défauts bancaires. Et pour choisir l’un ou l’autre de ces dispositifs, le Conseil de résolution unique (CRU) - instance européenne chargée de décider des mesures à prendre en cas de risque de faillite bancaire - se base sur la taille de la banque et sur l’impact de sa faillite à l’international.

Si la banque est jugée systémique – c’est-à-dire que sa faillite risquerait d’en entraîner d’autres -, les régulateurs prennent les devants pour éviter la banqueroute, par exemple par le biais d’un renflouement interne. Les créanciers de la banque sont alors mis à contribution jusqu’à l’épongement des pertes, ce, dans un ordre précis. Les actionnaires de la banque sont les premiers sollicités, puis les détenteurs de titres obligataires et ses autres créanciers et, enfin, en dernier ressort, les clients de l’établissement à hauteur d’une fraction des dépôts détenus au-delà de 100 000 euros. En deçà de 100 000 euros, les déposants sont en effet assurés de récupérer leur argent.

En revanche, si la banque en péril est de petite taille, son défaut ne mettant pas en danger d’autres établissements, sa faillite est alors possible. Pour ne pas flouer ses clients, ces derniers sont indemnisés via le fonds de garantie des dépôts national, abondé par les établissements de crédit. Ils retrouvent ainsi leurs avoirs sous 7 jours mais dans une certaine limite. Celle-ci est de 100 000 euros par client et par établissement pour leurs dépôts bancaires.

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Une distinction par taille qui a montré ses limites

« L’idée est de converger sur une proposition de nouvelle directive d’ici fin 2021 »

Robuste d’apparence, cette architecture assez simple qui repose sur la distinction entre banques systémiques et banques de petite taille a ses limites. En 2017, en Italie, lorsque la Banca Popolare di Vicenza et la Veneto Banca étaient sur le point de faire faillite, le CRU a jugé que ces établissements étaient, certes, régionalement importants mais pas systémiques au niveau européen. Cette position a empêché la mise en place des mesures de résolution prévues par la réglementation européenne. En théorie, donc, ces deux banques auraient dû disparaître et les déposants auraient été indemnisés par la garantie des dépôts. Mais par crainte d’un effet domino local, l’Etat italien a fait le choix de sauver ces deux banques en les renflouant à hauteur de 5 milliards d’euros. Ces cas ont montré qu’il y avait une zone intermédiaire avec des faillites de banques non systémiques mais que l’on pouvait avoir envie de traiter autrement que par une indemnisation pure et simple.

La crise du coronavirus a incité l’Eurogroupe dans lequel siègent les ministres des finances de la zone euro, à accélérer les débats… Cette crise pouvant fragiliser les banques à cause du risque de non-remboursement des prêts. France Stratégie estimait récemment que, pour les entreprises du commerce, l’accumulation de dettes et la baisse d’activité risquait d’aboutir à une augmentation, à partir de 2021, de 26% des faillites par rapport à une année normale (1). « Les discussions ont démarré l’an dernier, indique à MoneyVox Thierry Dissaux, le président du directoire du Fonds de garantie des dépôts et de résolution en France (FGDR). Une dizaine de sujets sont explorés conjointement par des groupes de travail au sein de la Commission européenne, avec un agenda serré. L’idée étant de converger sur une proposition de nouvelle directive sur la garantie des dépôts et la résolution bancaire d’ici fin 2021 », poursuit-il. Concrètement, ces discussions visent à améliorer et compléter la boîte à outils des régulateurs confrontés à une faillite bancaire. L’intervention préventive et l’utilisation du renflouement interne (ou « bail-in ») sur des établissements de plus petite taille sont ainsi à l’étude.

Transférer les comptes plutôt qu’indemniser les déposants

« Les actionnaires perdraient tout. Ce serait très coercitif pour eux »

Le procédé d’indemnisation des déposants pourrait également être revu, si les superviseurs décidaient finalement de laisser une faillite se produire. Plutôt qu’un remboursement des avoirs par le fonds de garantie local, l’indemnisation pourrait passer par un rachat de la partie saine de la banque par un concurrent. Concrètement, il est question que les déposants voient leurs dépôts transférés vers une nouvelle banque. Libres à eux, par la suite, de changer d’établissement bancaire si celui-ci ne leur convient pas. Dans ce cas, le fonds de garantie servirait à dédommager la banque qui accueillerait cette nouvelle clientèle. Ce transfert suppose aussi un minimum d’analyse en amont et une coopération étroite avec l’administrateur judiciaire nommé à la tête de la banque. Une coopération qui peut être compliquée à organiser en 7 jours seulement.

Ce transfert de portefeuille peut également être organisé en amont de la banqueroute effective de la banque. « Ce n’est pas idiot. Aux Etats-Unis, c’était un mode d’intervention courant pour gérer la crise des subprimes, souligne Laurence Scialom, professeure d’économie à l’Université Paris Nanterre. Cela veut dire que l’on intègre la question de la garantie des dépôts directement au mécanisme de résolution. Une telle mesure reviendrait à créer une « bad bank » car l’établissement en défaut ne contiendrait plus que des actifs pourris. Les actionnaires perdraient tout. Ce serait très coercitif pour eux », poursuit l’économiste également responsable du pôle Régulation financière du think tank Terra Nova.

En revanche, le risque en passant par un transfert de portefeuille est d’accentuer la concentration du système bancaire, un mal dont souffre déjà la France. En effet, 4 des 30 banques considérées dans le monde comme systémiques sont françaises.

Le fonds de garantie unique européen mis de côté

En revanche, la création d’un fonds de garantie unique au niveau de la zone euro apparait moins centrale. Cette proposition vise à mettre en commun tous les fonds de garantie nationaux. Si par exemple une banque non systémique espagnole fait défaut, les banques françaises, au travers de leurs cotisations obligatoires au FGDR, seraient mises à contribution pour indemniser les déposants espagnols. L’objectif de ce mécanisme fédéral de couverture est donc double. Il s’agit d’accroître les fonds disponibles pour gérer les défaillances de petites banques mais aussi d’introduire une solidarité au sein de la zone euro.

Suggéré dès 2015, ce système européen d'assurance des dépôts patine à cause de verrous politiques mais aussi à cause d’un paysage bancaire et juridique très disparate ce qui complexifie sa création. D’un pays à un autre, les produits d’épargne sont différents. Pas sûr que l’on retrouve l’équivalent du Livret A ou du PEL en Italie ou en Allemagne ! De même, le droit de la famille, la fiscalité des banques ou encore la hiérarchie des créanciers ne sont pas harmonisés au niveau européen. C’est pourquoi, depuis l’année dernière, les discussions se sont élargies et le fonds de garantie unique européen ne semble plus être considéré comme l’alpha et l’oméga de l’union bancaire.

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Couper les liens entre les banques et les Etats

« Ne pas faire d’assurance-dépôt européenne est une erreur »

Néanmoins, pour Laurence Scialom, « ne pas faire d’assurance-dépôt européenne est une erreur. Sa mise en place est une question de survie pour la zone euro ». En cause, d’après cette économiste, l’interdépendance qui existe entre les Etats et les banques. D’un côté, les précédents défauts bancaires ont montré que les Etats restaient les sauveteurs en dernier ressort des banques, quitte à s’endetter pour cela. De l’autre côté, les établissements bancaires, à l’origine de la création monétaire (via les prêts aux particuliers et aux professionnel), sont incités au travers de la réglementation bancaire à acheter la dette publique de leur pays d’origine, qu’il soit robuste ou déjà très endetté.

Résultat : si pour une raison ou une autre la situation financière d’un pays se dégradait, cela pourrait mettre sous pression le système bancaire de ce pays. « Actuellement tout cela ne se voit pas parce que la Banque centrale européenne rachète massivement les dettes souveraines. Mais qu’adviendra-t-il si elle se désengage ? En créant une assurance fédérale des dépôts, c’est-à-dire une garantie de même niveau peu importe le pays et la banque, la BCE serait libérée de son rôle de faire tenir à elle-seule la zone euro », argumente Laurence Scialom.

Pour couper le lien entre banque et Etat, l’une des pistes à l’étude au sein de la Commission européenne est différente. Elle consiste à acter dans la réglementation bancaire que les dettes souveraines peuvent être risquées. L’idée est d’obliger les banques à mettre de l’argent en réserve lorsqu’elles investissent sur de la dette souveraine, tout comme la réglementation les y oblige déjà pour se prémunir d’un défaut de paiement d’un particulier ou d’une entreprise. Or, comme selon les pays, le risque d’insolvabilité serait différent, la charge en capital serait aussi différente, forçant les banques à arbitrer en fonction des dettes souveraines et donc à ne plus acheter forcément la dette de leur pays d’origine.

Découvrir notre dossier complet sur les faillites bancaires en temps de coronavirus

(1) Les défaillances d’entreprises dans la crise Covid-19 : zombification ou mise en hibernation ? - France Stratégie - 14 décembre 2020