Une femme mariée qui souhaite utiliser son nom de famille pour son compte bancaire a-t-elle besoin de se justifier ? En droit, la réponse est non. Pourtant, des femmes confrontées au problème dénoncent le conservatisme de certaines enseignes en la matière. Illustration.

« Je raccroche avec ma banque, Boursorama Banque, particulièrement en colère. Je souhaite changer le nom figurant sur mon compte et revenir à mon nom de naissance. Et la banque exige un jugement de divorce pour effectuer cette modification. » Ainsi débute un message posté le 1er février dernier sur le réseau social Facebook par Chloé Urvoas. Capture d’écran à l’appui, elle décrit comment Boursorama Banque lui a demandé un « document officiel du type acte de mariage ou de divorce afin [qu’elle] puisse faire la modification ».

Pour la jeune femme, il s’agit d’une pratique d’un autre âge, qui la renvoie à l’époque où les femmes mariées devaient obtenir une autorisation maritale pour ouvrir un compte bancaire. « Notre nom de famille touche vraiment à notre identité et à la manière dont on se définit », explique-t-elle à MoneyVox. « Et notre compte bancaire est plus qu'un simple service. Au carrefour de nos besoins et de nos projets, il reflète tous nos choix de vie : nos choix professionnels, nos choix de consommation, nos choix d'investissement. Il est donc important de se sentir pleinement soi et donc bien nommé.e lorsqu'on l'utilise, c'est-à-dire plusieurs fois par jour ! »

En matière de nom, un cadre simple et égalitaire

Chloé Urvoas, qui exerce en tant que coach et a notamment créé des stages Couple et Argent, a fini par obtenir gain de cause : sa banque lui a « rendu » son nom de famille sans exiger de justificatif. Cela n’a pas été simple. Après avoir échoué à faire aboutir sa demande depuis son espace cliente - le formulaire en ligne imposant de produire un justificatif de divorce -, elle a dû contacter un conseiller par téléphone, qui lui a également refusé le changement en l’absence de justificatif. Un refus notifié par courriel, dont nous reproduisons ici une copie, après avoir masqué le nom du conseiller.

Courrier de Boursorama, demande de justificatif pour un changement de nom

C’est seulement après son message sur Facebook, et les réactions qu’il a suscitées, que Chloé Urvoas a réussi à faire bouger sa banque. Elle était pourtant parfaitement dans son droit. En matière de nom dans le cadre du mariage, le cadre, posé notamment par l’article 225-1 du Code civil, est relativement simple et surtout parfaitement égalitaire entre les sexes. « Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit », nous expliquent les services du Défenseur des droits, chargé notamment de lutter contre les discriminations. « Dès lors, seul ce nom d’usage figure sur les documents administratifs et peut être utilisé dans tous les actes de la vie privée, familiale, sociale ou professionnelle. »

Ce nom d’usage, toutefois, ne remplace pas le nom de famille, celui qui vous a été attribué à la naissance ou plus tard, après une adoption par exemple. Vous pouvez donc choisir d’y renoncer à tout moment. Service-public.fr, qui informe le grand public sur ses droits, est très clair sur le sujet : « Si vous ne souhaitez plus que le nom d'usage soit utilisé sur un document concernant votre vie privée, familiale, sociale ou professionnelle, il suffit d'informer vos interlocuteurs », explique le site gouvernemental, qui tranche : « Vous n'avez pas besoin de fournir un justificatif ».

Chez Boursorama, des procédures qui tardent à être mises à jour

Que s’est-il passé, alors, chez Boursorama ? Contactée, la communication de la banque en ligne a fait part de son étonnement face à la mésaventure de Chloé Urvoas. « (…) Le process interne ne prévoit absolument pas d’exiger un justificatif dès lors que la cliente souhaite reprendre son nom de jeune fille ». Ce depuis mai 2019, date de la mise en place de cette nouvelle procédure.

Au moment de débuter la rédaction de cet article, le mercredi 21 avril 2021, le site web de Boursorama Banque n’était pourtant pas à jour. La page consacrée à la modification du nom dans la FAQ du site précisait toujours que, dans le cas d’un changement de nom dans le cadre d’un divorce, un « justificatif [serait] à fournir ». Même chose pour le formulaire en ligne dédié au changement de nom, qui demandait toujours le téléchargement d’un jugement de divorce pour finaliser la demande.

La communication de Boursorama nous a finalement informé, le jeudi 22 avril 2021, de la mise à jour effective de ces pages.

Le poids de « la coutume et des usages »

Boursorama Banque n’est toutefois pas la seule banque concernée par ce type d’incohérence entre la procédure prévue sur le papier et la réalité de son application sur le terrain. Le message de Chloé Urvoas sur Facebook a généré un grand nombre de réponses : des messages de soutien, mais aussi des témoignages d’internautes ayant subi le même type de mésaventures de la part d’administrations, de services publics ou d’autres banques. Parmi les enseignes citées, BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, LCL, BRED Banque Populaire…

Nous avons donc contacté les principales banques françaises, traditionnelles et en ligne (1) pour connaître leurs pratiques en la matière. Toutes celles qui ont accepté de nous répondre nous ont assuré que le passage du nom d’usage au nom de famille était possible sans justificatif autre qu’une pièce d’identité en cours de validité où figure ce nom de famille. Une pièce dont les banques disposent déjà, en général, avec la copie de la carte nationale d’identité nécessairement fournie à l’ouverture du compte.

Le Crédit Agricole, plus transparent sur le sujet que ses concurrents, le reconnaît toutefois : certaines habitudes ont la vie dure. « (…) La coutume et les usages ont ancré dans les modalités opérationnelles une saisie quasi systématique du nom d’usage pour les femmes mariées à des hommes (...) », écrit la communication de la banque verte. Le choix majoritaire reste en effet « de porter à titre d’usage le nom de son conjoint durant le mariage ». La banque observe « cependant depuis quelques années, une légère évolution dans le sens inverse ». Les demandes de retour au nom de famille, elles, restent rares, ce qui pourrait expliquer la méconnaissance de certains conseillers sur les procédures à suivre.

A consulter : notre classement des banques les moins chères

(1) BNP Paribas, Crédit Agricole, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, La Banque Postale, LCL, la Société Générale, Boursorama Banque, Fortuneo, Monabanq ont accepté de répondre à nos questions. La Banque Populaire, la Caisse d’Epargne, le Crédit Mutuel Arkéa, BforBank, ING n’ont pas donné suite.