Adoptée en février 2014, la directive européenne sur le crédit immobilier (dite directive MCD) s’apprête à être transposée dans les différents pays de l’Union. Elle crée notamment un statut européen pour les intermédiaires en crédit immobilier. Que va changer ce texte pour les courtiers ? Est-il de nature à créer un marché européen du courtage ? Nous avons interrogé Pascal Beuvelet, président du groupe In&Fi Crédits, un des poids lourds français du secteur.

Pascal Beuvelet, la directive MCD va être transposée dans le droit français d’ici au 21 mars prochain, par l’intermédiaire d’une ordonnance et d’un décret à paraître. Que vous inspire ce texte ?

Pascal Beuvelet : « En matière de réglementation, la France est, d’une manière générale, déjà à la pointe du progrès. C’est vrai également des mesures de protection de l’emprunteur, et c’est une bonne chose. Cette directive ne va donc pas bouleverser notre univers, comme elle pourra le faire dans d’autres pays de l’Union. »

En créant un statut européen d’intermédiaire en crédit immobilier, la directive MCD est-elle de nature à ouvrir un marché du courtage de crédits à l’échelle continentale ?

P.B : « Certainement. Jusqu’ici, il était compliqué pour des courtiers étrangers de venir travailler en France. Notre réglementation est généralement plus rigide, c’est un caractère français ! L’harmonisation permise par la directive va changer la donne. Les intermédiaires opérant sur des marchés matures - je pense particulièrement à la Grande-Bretagne - vont pouvoir tenter leur chance dans d’autres pays : en Allemagne par exemple, un pays où le courtage est très peu développé. S’intéresseront-ils à la France ? C’est plus difficile à dire. Ici, ce marché est encore en construction, il reste des parts de marché à prendre, mais il est déjà plus structuré que dans d’autres pays. »

A l’inverse, va-t-on voir des intermédiaires français s’aventurer hors de leurs frontières ?

P.B. : « Dans l’immédiat, je ne le pense pas. Je le répète : le courtage ne représente aujourd’hui que 30 à 40% du marché du crédit immobilier, il reste donc d’énormes marges de manœuvre. Conséquence : les réseaux restent dans un logique de conquête de parts de marché nationales. Avant de penser à s’internationaliser, ils sont surtout attentifs à la concurrence locale, et à l’évolution des rapports de force. »

Autre possibilité ouverte par la directive MCD : la mise en concurrence des banques au niveau communautaire. Va-t-on effectivement voir des intermédiaires s’adresser à des banques étrangères pour financer les projets de leurs clients ?

P.B. : « Je le pense, au moins sur certains types de crédit où l’offre des banques françaises est insuffisante. Je pense notamment au crédit purement hypothécaire, sur lequel les banques hexagonales sont plutôt frileuses, au contraire des banques belges, britanniques ou allemandes. Chez In&Fi, il nous est déjà arrivé de travailler avec des banques allemandes. C’était jusqu’ici une démarche assez lourde, mais la convergence des réglementations va faciliter les choses. »

La directive MCD va-t-elle, selon vous, modifier en profondeur la structure du marché du courtage immobilier en France ?

P.B. : « Cette restructuration est déjà à l’œuvre. Elle n’est pas la conséquence de la directive MCD, mais des changements réglementaires intervenus en 2012 et 2013. Depuis cette date, le métier s’est professionnalisé et l’activité a décollé. De grands groupes se sont rendus compte que le courtage avait de l’avenir et sont venus sur ce marché. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de concentration, et les réseaux familiaux, comme In&Fi, deviennent l’exception. A terme, je pense, il restera 7 ou 8 réseaux au maximum, qui représenteront 80% du marché. Cette évolution est inéluctable. »

In&Fi n’est pas seulement intermédiaire en crédits immobiliers, mais également en rachats de crédits. Etes-vous, comme d’autres, inquiet de l’impact de la directive MCD sur ce marché ?

P.B. : « Oui, très inquiet. Le rachat de crédits représente 10% environ de notre activité, mais 30% de notre chiffre d’affaires. La directive n’a pas pris en compte la spécificité française en la matière. Il s’agit d’un produit qui s’adresse à une population endettée, donc d’un produit à risque, sur lequel les prêteurs attendent des marges supérieures aux crédits classiques. Assimiler tous les regroupements de crédits à des crédits immobiliers (1) et leur appliquer le taux d’usure (2) de ces derniers aurait une conséquence funeste : priver des milliers de familles de ce recours et les pousser vers les commissions de surendettement. Mais je suis confiant, car il existe une solution simple à ce problème : il suffit que la Banque de France décide de créer un taux d’usure spécifique pour le regroupement de crédits. »

Autre mesure contenue dans la directive MCD : l’obligation de recourir à des professionnels certifiés pour évaluer le montant des biens achetés à crédit, ou utilisés en garantie. Qu’en pensez-vous ?

P.B. : « Encore une fois, je pense de manière générale qu’encadrer le distribution du crédit pour protéger l’emprunteur est une bonne chose. Mais, en l’occurrence, cette évolution n’était pas nécessaire. Aujourd’hui, il existe une multitude de sources, accessibles relativement facilement, qui permettent aux emprunteurs de se faire une idée précise de la valeur de leur bien. Systématiser l’évaluation par un professionnel certifié va alourdir les coûts et compliquer, voire remettre en cause, certaines opérations. »

(1) Actuellement, un regroupement de crédit n’est considéré comme un crédit immobilier que si la part de l’immobilier dans la créance dépasse 60%. La directive prévoit de supprimer ce seuil, et de considérer tout regroupement de crédits comprenant un part d’immobilier, même minoritaire, comme un crédit immobilier. Lire à ce propos : Rachat de crédits : les spécialistes tirent la sonnette d'alarme sur la directive prêt immobilier

(2) Le taux d’usure, calculé et publié par la Banque de France chaque trimestre, est le taux maximum auquel un crédit peut être accordé en France. Il diffère selon le type de crédit, et son montant. Actuellement, il est de 3,96% pour les prêts immobiliers. A consulter, notre page consacrée au taux d'usure.