Les usagers français vont pouvoir tester, dès la fin de l'année 2023, EPI, le portefeuille numérique développé par les banques européennes, qui va remplacer Paylib en 2024. Son objectif : rivaliser avec Visa et Mastercard, les géants de la carte bancaire, mais aussi avec Apple, Google et PayPal. L'enjeu est lourd : assurer la souveraineté de l'Europe dans les paiements, face à ces poids lourds états-uniens. La partie n'est pas gagnée, loin de là.

La France est en retard. Alors que de nombreux pays européens (les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l'Espagne, les pays scandinaves, etc.) ont déjà basculé dans l'âge du virement instantané de compte bancaire à compte bancaire, l'Hexagone reste le pays de la carte bancaire, voire du chèque. En 2022, seuls 6% des virements émis en France l'étaient en temps réel, contre 13% en moyenne dans la zone euro... et 100%, par exemple, aux Pays-Bas.

Cela commence toutefois à frémir. Grâce à Paylib entre amis, service désormais disponible dans les principales banques, 30 millions de Français ont testé les atouts du transfert d'argent de compte à compte en 10 secondes max, pour rembourser leurs amis ou envoyer de l'argent de poche à leurs enfants. Parmi ses points forts : la disponibilité (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7), la gratuité et la disponibilité immédiate des fonds virés.

Malgré ce (relatif) succès, les jours de Paylib entre amis sont pourtant comptés. Cette solution franco-française est, en effet, appelée à se fondre prochainement dans une nouvelle solution de paiement européenne, désignée actuellement par l'acronyme EPI, pour European Payments Initiative.

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« Une transition graduelle et fluide »

Dès la fin de l'année 2023, la France fera partie, avec l'Allemagne, des premiers pays à tester cette nouveauté. Initiée en 2020 par une quinzaine de banques du continent (dont BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, la Banque Postale et Société Générale), avec le soutien des institutions européennes, EPI s'était donné pour objectif de créer un nouveau schéma de paiement par carte bancaire, destiné à assurer la souveraineté européenne face au quasi-monopole des acteurs états-uniens Visa et MasterCard. Las, le projet a été revu à la baisse en 2022, suite à la défection de plusieurs banques allemandes et espagnoles, pour se concentrer sur le lancement d'un portefeuille (ou wallet) numérique sur mobile.

Selon le communiqué publié mardi par EPI Company, la société créée pour développer et commercialiser ce wallet, ce lancement est prévu pour 2024, d'abord en France, en Belgique et en Allemagne. A moyen terme, les Pays-Bas et le Luxembourg, deux pays où le paiement instantané est déjà très développé, rejoindront l'ensemble. EPI a également annoncé, en effet, le rachat de iDEAL et de Payconiq, les équivalents, en beaucoup plus populaires, de Paylib aux Pays-Bas et au Luxembourg.

En clair, Paylib entre amis est appelé à disparaître, sous sa forme actuelle, dans le courant de l'année prochaine. EPI Company, toutefois, le promet : pour les usagers de Paylib, la transition vers le nouveau portefeuille sera « graduelle et fluide », « dans la continuité de leurs usages déjà établis (...) sur le paiement instantané de personne à personne ».

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Plus que du paiement entre amis

Lors de son lancement, il y a une dizaine d'années, Paylib avait l'ambition de couvrir un large spectre d'usages : du paiement en ligne, à l'instar d'un PayPal ; du paiement mobile en magasin, sur le modèle d'Apple Pay ou de Google Pay ; et enfin des petits paiements entre particuliers. Finalement, seul ce troisième cas d'usage a réussi à trouver sa place sur le marché.

C'est donc sur cette base qu'EPI va repartir en 2024. Mais l'ambition du futur système de paiement est beaucoup plus large. « L'objectif est de mettre en place un package complet de services de paiement : entre particuliers, aux professionnels, en ligne, en magasin... », détaille Nicolas Miart, directeur du conseil chez Galitt. Le tout fondé, non pas sur la carte bancaire, mais sur le transfert direct compte à compte, grâce au virement SEPA instantané.

Pas forcément un tueur de cartes

Carte bancaire vs virement instantané : EPI va-t-il réellement lancer le match ? L'ambition du futur wallet européen est en tout cas de se poser en alternative à la sacro-sainte carte. Il en a le potentiel, au moins sur certains usages. « Le virement instantané permet de faire des choses que la carte ne permet pas », confirme Nicolas Miart. « Des paiements sécurisés entre particuliers dans l'économie collaborative (seconde main, location de pair à pair), par exemple. Ou encore des achats en magasin de gros montant (électronique, meubles, électroménager), en éliminant le problème souvent posé par les plafonds de paiements de la carte bancaire. »

Pour autant, il n'a pas vocation à se substituer à la CB. « Elle a encore de beaux jours devant elle. Nous sommes plutôt dans une logique de coexistence, avec une substitution sur certains usages. » EPI, en revanche, pourrait aider les banques et les pouvoirs publics à faire aboutir un projet de longue date : se débarrasser définitivement du chèque, en déclin, mais toujours bien vivant en France.

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Dernière chance pour les banques

Avant d'y parvenir, toutefois, EPI va devoir se faire une place dans notre quotidien. Et ce n'est pas gagné, tant est grande l'inertie dans les habitudes de paiement des Français. Il a fallu, par exemple, plus de 10 ans (et une pandémie) au paiement sans contact par carte bancaire pour parvenir à lever les réticences des usagers et à devenir, aujourd'hui, majoritaire aux caisses des magasins. Les banques, à l'origine du projet EPI, ont donc désormais une mission : convaincre leurs clients - les particuliers, mais aussi et surtout les commerçants - de la pertinence de leur joujou.

« Les solutions qui gagnent sont celles qui sont les plus simples pour l'usager et les plus efficientes pour les marchands »

Pour cela, un impératif : proposer une expérience de paiement qui rivalise avec la carte bancaire mais aussi avec les wallets mobiles des géants technologiques comme Apple Pay ou Google Pay. « Les solutions qui gagnent sont celles qui sont les plus simples pour l'usager et les plus efficientes pour les marchands », estime Nicolas Miart. « Les banques ont compris que ça se jouait là-dessus. C'est leur dernière chance : si elles se manquent, d'autres acteurs vont le faire à leur place, notamment les GAFAM (1) ».

La partie est loin d'être gagnée. Plusieurs obstacles se présentent, en effet, sur le chemin d'EPI. A commencer par l'agenda de son déploiement, qui reste flou. Nous l'avons vu : le lancement du paiement entre particuliers est prévu pour 2024, mais aucune date n'a été communiquée pour les autres services. Or le temps presse. Visa et MasterCard ne cessent d'améliorer l'expérience de la carte bancaire en supprimant les frictions qui existent dans le monde numérique. Les deux réseaux devraient, par exemple, lancer très prochainement en France, Click To Pay, une fonctionnalité permettant de sauter l'étape irritante du partage de ses identifiants de carte lors d'un achat en ligne.

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Côté Gafam, Apple Pay continue d'enrichir son écosystème, avec le lancement récent (mais aux Etats-Unis seulement, pour l'instant) de facilités de paiement et d'un compte épargne.

L'autre écueil est celui de l'acceptation. EPI aime à se présenter comme un moyen de paiement paneuropéen, mais son lancement n'est prévu aujourd'hui que dans 5 pays : la France, l'Allemagne, la Belgique, avant les Pays-Bas et Le Luxembourg. Qu'en est-il de l'Europe du Sud (l'Italie, l'Espagne), de l'Est (Autriche, Pologne, République tchèque, Croatie) ou du Nord (Danemark, Suède, Norvège) ? Dans l'immédiat, rien à signaler.

Comment obtenir une carte bancaire gratuite ?

(1) Acronyme qui désigne les principales sociétés technologiques mondiales, toutes états-uniennes : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.