La Commission européenne a dévoilé mercredi 28 juin une proposition législative visant à créer un euro numérique. Mais, quel est exactement ce nouvel instrument de paiement ? A quoi pourrait-il vous servir ? Qu'est-ce qu'il apporterait par rapport à ce qui existe déjà ? On tente de répondre à vos questions.

L'euro numérique, qu'est-ce que c'est ?

Aujourd'hui, l'euro, c'est-à-dire la monnaie émise par la Banque centrale européenne (BCE), existe uniquement sous une forme : les pièces et les billets. Il faut, en effet, le rappeler : l'argent que vous détenez sur votre compte bancaire n'est pas exactement de même nature.

Pour le dire vite, il est « créé » par votre banque. C'est donc elle qui le garantit, pas la BCE. Si votre banque vient, par exemple, à faire défaut, cet argent peut se retrouver inaccessible. Il existe bien un dispositif de garantie des dépôts, incarné en France par la FGDR, mais il n'est pas illimité : 100 000 euros maximum par déposant et par banque.

Compte bancaire : cette garantie encore trop méconnue qui protège votre argent

A l'inverse, l'accès et valeur des euros en pièces et billets est garantie par la BCE. Cet euro sonnant et trébuchant est d'ailleurs le seul à avoir cours légal. C'est pour cela que, contrairement à la carte bancaire ou au chèque, un commerçant n'a pas le droit de vous refuser un paiement en cash.

Le problème, c'est que l'usage de ces espèces, s'il reste largement majoritaire dans les paiements du quotidien, a tendance à reculer, au profit d'autres instruments de paiement, et notamment de la carte de paiement. Et pour cause : il est totalement inadapté à l'univers numérique, où se déroule un nombre croissant de transactions. D'où la volonté de la BCE, relayée par la Commission européenne, de créer un euro dématérialisé, adapté à ce nouvel âge, tout en disposant des mêmes caractéristiques que l'euro physique.

« Avec les espèces, les banques centrales proposent déjà un moyen de paiement sans risque, largement accessible, facile à utiliser et inclusif. Mais la numérisation rapide de nos économies implique que nous les complétions par un moyen de paiement adapté : l'euro numérique », résume Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, dans un discours adressé, le 24 avril dernier, à la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

Pourquoi la BCE veut-elle créer un euro numérique ?

Il s'agit, pour résumer, d'une question de souveraineté et de confiance. Dans le même discours, Fabio Panetta explique : « En tant que banque centrale, nous devons nous préparer aux évolutions futures et veiller à ce que la monnaie que nous émettons garde son rôle de point d'ancrage monétaire à l'ère numérique, en nous assurant qu'un euro est un euro, quelle que soit sa forme et où que l'on se trouve. Nous renforçons ainsi la confiance du public en notre monnaie. »

« L'électrochoc a été le projet de Facebook de lancer Diem, une monnaie numérique utilisable dans son écosystème », ajoute Nicolas Miart, directeur du consulting chez Galitt. L'initiative du géant du numérique n'a finalement pas abouti. Mais « l'émergence de ce type de stablecoins (1) privées à portée supranationale représente une menace pour la souveraineté des monnaies », poursuit l'expert des paiements.

A quoi cela pourrait-il ressembler ?

La manière dont cet euro numérique sera utilisable au quotidien, s'il vient à voir le jour, est encore assez floue. Toutefois, un rapport d'étape de la BCE, publié le 24 avril dernier suite notamment à consultation des citoyens sur leurs attentes, fournit quelques pistes.

Selon toute vraisemblance, ces euros numériques pourront être stockés dans les applications bancaires existantes. Il est, en effet, probable que les banques, et plus généralement les prestataires de services de paiement, aient l'obligation de distribuer, gratuitement, ces euros numériques à leurs usagers, ainsi qu'un ensemble de services de base permettant de les utiliser. La BCE pourrait également proposer son propre portefeuille numérique. Ce qui permettrait aux personnes non (ou mal) bancarisées d'utiliser aussi l'euro numérique.

Quels seraient ses services de base obligatoires ? Probablement, d'abord, les transferts d'argent de personne à personne. Mais aussi, on peut l'imaginer, les paiements en points de vente, y compris en l'absence de connexion à internet, comme le permet aujourd'hui l'euro papier. Les paiements en ligne, enfin, puisque c'est tout l'intérêt de ce nouvel euro de pouvoir être utilisé dans le monde numérique.

Les banques, toutefois, seraient encouragées à proposer d'autres services, éventuellement payants s'ils apportent une valeur ajoutée, comme le paiement fractionné, le paiement à la livraison, etc.

Qu'est-ce que l'euro numérique apporterait de plus ?

Transférer de l'argent à des proches, payer en ligne ou en magasin : rien que ne puisse déjà faire aujourd'hui quiconque est équipé d'un compte bancaire (98% de la population) et/ou d'une carte de paiement (plus de 76 millions de cartes bancaires CB en circulation fin 2022).

L'euro numérique pourrait cependant apporter quelques plus, par rapport à l'éventail des instruments de paiement aujourd'hui disponibles. Au premier rang, l'universalité. Comme l'explique Fabio Panetta dans le discours déjà cité, « il n'existe actuellement aucun moyen de paiement numérique européen qui soit universellement accepté dans la zone euro. »

Autre sujet d'importance pour la BCE : l'inclusion financière. « Avec l'euro numérique, tous les citoyens de l'UE pourraient disposer d'une monnaie digitale facilement utilisable, même s'ils ne sont pas bancarisés », analyse Nicolas Miart, de Galitt. « Ce n'est pas le cas avec le cash, qui ne permet pas, par exemple, de faire des paiements de type “prélèvement“. »

Un autre atout, enfin, pourrait plaire aux défenseurs des libertés individuelles. Comme sa version physique, l'euro numérique devrait permettre de payer de manière confidentielle, sans laisser de traces. Ce qui, évidemment, poserait quelques défis, en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Quels sont les freins éventuels ?

Né de la volonté de la BCE et de la Commission européenne, l'euro numérique a toutes les chances de voir le jour. Cela ne garantit pas son succès.

On l'a déjà évoqué : l'adoption par le grand public de ce nouvel instrument n'est pas évidente, dans la mesure où il n'apportera pas de grandes avancées par rapport à ce qui existe déjà. Au contraire, Nicolas Miart estime qu'il pourrait créer de l'anxiété : « Son arrivée va contraindre les citoyens à prendre conscience qu'un euro en cash n'a pas exactement la même valeur qu'un euro déposé sur leur compte en banque. C'est particulièrement anxiogène ».

Cette prise de conscience pourrait entraîner des risques pour la stabilité du secteur bancaire. Le risque, en effet, serait de voir les usagers retirer massivement l'argent de leur compte bancaire pour le convertir en euros numériques. « C'est pour cette raison que le règlement devrait empêcher les citoyens de thésauriser, en limitant la détention d'euros numériques à 3 000 euros maximum », annonce Nicolas Miart.

Le gouverneur de la Banque de France précise les contours de l'euro numérique

Quand l'euro numérique deviendra-t-il une réalité ?

Ce n'est pas pour maintenant. Pour que son projet devienne une législation, la Commission européenne doit, en effet, s'entendre sur un texte commun avec le Conseil européen, qui représente les gouvernements de l'Union, et le Parlement européen, qui représente les citoyens. C'est ce que l'on appelle le « trilogue », qui est à la base de la fabrication de la loi dans l'Union européenne. La proposition de règlement va donc être examinée, dans les mois à venir, et éventuellement retravaillée par les trois institutions, jusqu'à parvenir à un accord.

Il faudra ensuite le temps de la mise en œuvre effective du texte, qui prendra plusieurs années. Ainsi, si la proposition d'euro numérique venait à être adoptée avant la fin de l'année 2023, le nouvel instrument de paiement ne deviendra pas une réalité avant 2026 ou 2027.

(1) Selon la définition de La Finance Pour Tous, le site d'éducation financière de la Fédération bancaire française, un stablecoin est « un type particulier de crypto-actifs, (...) adossés à des actifs de réserve, comme des devises (dollar, euro, yen, etc.) ou d'autres crypto-actifs (Bitcoin, Ethereum, etc.), ce qui est censé leur permettre de conserver une valeur stable dans le temps. »