Chargée de clientèle particuliers, Mélanie est en train de faire son « An 01 » personnel. Elle s'est arrêtée, elle a réfléchi sur ce qu'était devenu son métier et elle s'apprête à faire son pas de côté pour en finir avec la pression du chiffre. Témoignage d'une banquière en colère.

A 34 ans, Mélanie* a déjà 10 ans d’expérience dans la banque. Après plusieurs années passées en tant que chargée de l'épargne au siège de la banque mutualiste pour laquelle elle travaille, elle a décidé en 2015 de quitter son poste afin d’être au cœur de l’action et au plus proche des clients. C’est-à-dire de devenir conseillère bancaire en agence. En charge du suivi de 800 clients patrimoniaux, Mélanie porte un regard très critique sur l’évolution du métier. Elle raconte à MoneyVox son désabusement à l'image d'une profession parfois au bord de la crise de nerf comme le révéle MoneyVox chiffres exclusifs à l'appui.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir conseillère bancaire ?

Mélanie : « Avant d’être en agence, j’ai travaillé 5 ans au siège régional où j’occupais un poste dans le domaine de l'épargne. Mon rôle était d’accompagner les conseillers en rendez-vous avec leurs clients quand des problématiques d’épargne complexes se posaient. C’était terriblement frustrant de n’être là qu’en appui et de m’effacer quand ils commençaient à évoquer leurs autres projets, comme l’acquisition immobilière. J’aimais également le rythme de travail du conseiller. Alors que moi, mon activité était très cyclique, lui était toujours dans l’action. Cela correspondait mieux à mon tempérament dynamique. Et puis, même si ce n’était pas ma motivation première, il est très bien vu d’avoir une expérience en agence pour voir évoluer sa carrière et pouvoir ainsi dire que je ne suis pas une planquée du siège. »

Dans votre réponse à notre appel à témoignages, vous insistiez beaucoup sur la pression commerciale qui repose sur vous. Comment se matérialise-t-elle ?

« En ce moment, mon devoir de conseil se heurte aux objectifs qui m’ont été fixés »

Mélanie : « J’ai des objectifs commerciaux à réaliser qui sont suivis depuis un outil informatique. Parmi ces objectifs, il y a ce que ma hiérarchie nomme les lignes importantes composées des produits qui apportent le plus de revenus à la banque. Il s’agit des assurances, de la prévoyance, du crédit à la consommation, des placements sur les marchés financiers et des nouveaux clients attirés. Ces produits font l’objet d’objectifs annuels de vente qui sont donnés en début d’année. Chaque mois, j’ai accès à un compte-rendu pour voir à quel niveau je suis. Mais cela ne va jamais assez vite. Par exemple, au retour de mes congés mi-janvier, on nous disait déjà que l’on était en retard sur nos objectifs de l’année 2021. Mais pour moi, la pression commerciale n’est pas là. Là où elle se matérialise, c’est lors des semaines et des journées dites coups de poing, des jours durant lesquels de nouveaux objectifs chiffrés, sur un domaine spécifique, sont donnés. Par exemple, il y a peu, on était en semaine garantie accidents de la vie et chaque conseiller devait vendre 4 produits de cette famille. Souvent, nos clients ne nous évoquent pas directement avoir besoin du produit en question. Donc, c’est à nous de détecter le besoin, de passer des coups de fil pour tenter d’atteindre les objectifs. Cette tâche s’ajoute aux 25 rendez-vous client que je fais chaque semaine. »

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Dans ces conditions, est-ce qu’il est toujours possible de respecter le devoir de conseil ?

Mélanie : « C’est parfois compliqué. Cette année, on me demande notamment de placer 700 000 à 800 000 euros sur les marchés financiers, pour 1 à 1,2 million d’euros de versements sur l’assurance vie. Or, actuellement, je trouve que les marchés financiers sont un peu trop hauts. C’est pourquoi, je pensais attendre un peu avant de proposer à mes clients d’investir. Mais on m’a finalement demandé de faire la moitié de cet objectif sur le premier trimestre. Donc, en ce moment, mon devoir de conseil se heurte aux objectifs qui m’ont été fixés. »

Qu’est-ce qui se passe si vous ne remplissez pas vos objectifs ?

Mélanie : « Nous n’avons pas à proprement parler de sanction individuelle. Nous recevons des primes collectives en fonction de nos résultats commerciaux. Pour que l’on ait une belle enveloppe au niveau de notre agence, il faut que tous les conseillers réalisent les objectifs. S’ils n’y parviennent pas l’enveloppe est moins importante et, du coup, la part qui revient à chaque salarié est plus faible. Autrement dit : si je ne fais pas mes objectifs, je pénalise le collectif. Cela génère une pression de plus vis-à-vis de mes collègues. A plus long terme, ne pas respecter les objectifs limitent vos perspectives d’évolution, ce, même si le passage à vide est ponctuel. Vous pouvez en effet être un excellent élément et, ponctuellement, avoir un coup de mou. Ça arrive. Eh bien, si vous avez moins vendu que l’année d’avant, les évolutions prévues pour vous peuvent être remises en cause parce qu'un jeune loup prend votre place. »

D’après vous, depuis quand la course aux chiffres s’est accentuée ?

« Au départ, il n'y avait que 1 ou 2 semaines coups de poing par an. Maintenant, il y a souvent quelque chose de plus à vendre »

Mélanie : « Dans ma banque, les semaines « coups de poing » existent depuis 5 ans. Mais au départ, il y en avait une ou deux par an pour tenter de rattraper une année maussade. Mais cela a tellement bien marché que la pratique est devenue normale. Désormais, il y 3 semaines par an de crédit conso, 3 semaines pour la prévoyance, 3 semaines pour l’assurance… En fait, il y a désormais souvent quelque chose de plus à vendre. »

D’autres conseillers bancaires m’ont parlé du manque d’autonomie et d’un suivi systématique de la part de leur manager. Est-ce que vous ressentez cela aussi ?

Mélanie : « Oui, absolument. J’ai 2 à 3 réunions par semaine pour le suivi de mon activité et de celle de l’agence. J’ai une réunion commerciale d’une heure tous les mardis que je trouve particulièrement pénible. Il faut décrire comment on anticipe la semaine, nommer ses objectifs, expliciter ses faiblesses et expliquer comment on compte les résoudre. A cette réunion, s’ajoute celle du jeudi qui est collective. Son objectif est de faire le point sur les résultats commerciaux de l’agence par rapport à son secteur et éventuellement de mettre en place des actions correctives, c’est-à-dire, en pratique, de nouvelles semaines coups de poing... Et enfin, les jeunes collègues peuvent avoir un entretien supplémentaire hebdomadaire, présenté comme une façon de discuter de leurs problèmes afin de les aider à réaliser leurs chiffres. »

D’après un témoignage diffusé dans l’émission Cash investigation sur le business des frais bancaires, il arrive que les conseillers soient classés et que ce classement soit accessible à tous. Est-ce le cas dans votre agence ?

Mélanie : « Non, nous n’avons pas accès aux performances de nos collègues. Les résultats individuels sont destinés aux managers uniquement. Par contre, nos responsables font des réunions avec l’ensemble des directeurs d’agences durant lesquelles ils comparent les conseillers entre eux. Et parfois, ce qu’ils disent peut revenir aux oreilles des conseillers. La faute, aussi, à des managers maladroits, également sous pression. »

La plupart des groupes bancaires se sont mis à vendre des produits qui n’avaient rien à voir avec la palette habituelle d’un banquier. Cela vous dérange-t-il ?

« Je suis passée de banquière à banquière-assureuse. Au départ, j’ai eu beaucoup de mal »

Mélanie : « Ce qui est sûr est que de banquière, je suis passée à banquière-assureuse. Au départ, j’ai eu beaucoup de mal à vendre de la prévoyance et de l’assurance car je ne connaissais pas ces produits. Les formations organisées ont été précieuses. Après, par rapport à d’autres enseignes, notre gamme de produits reste plus modérée. On ne vend pas d’assurance pour les animaux de compagnie par exemple. En fait, je pense que mon groupe bancaire reste mesuré sur les nouveaux produits car il raisonne en PNB [produit net bancaire, équivalent du chiffre d’affaires pour les banques, ndlr]. Or, l’un des produits qui rapporte le plus, c’est l’épargne placée sur les fonds d’investissement, ce, grâce aux rétrocommissions de 0,66%. Rendez-vous compte, à chaque fois qu’un client verse 100 euros sur des fonds dans son compte titres, son PEA ou son assurance vie, la banque reçoit 66 centimes. A l’échelle du groupe, c’est colossal ! »

Vos clients, justement, comment sont-ils avec vous ?

Mélanie : « Les clients pensent que l’on est toujours dans les années 80 lorsque le conseiller avait seulement une cinquantaine de clients à gérer. Aujourd’hui j’ai un portefeuille de 800 clients et plutôt des clients patrimoniaux, donc exigeants. Tout est urgent pour eux ! Parfois je les vois une heure juste pour un virement. De plus, les préjugés à l’encontre des banquiers qualifiés de voleurs ou de nantis n’aident pas. C’est pourquoi, désormais, je n’hésite plus à montrer mes comptes à mes clients. Et ils sont choqués de voir combien je gagne. J’aimerais les accompagner plus mais c’est physiquement impossible. Et la dureté de la chose est que les banques ne feront jamais machine arrière. Elles n’embaucheront pas plus de personnel car, avec peu de conseillers, elles arrivent à faire beaucoup de chiffre. La pression va donc s’accentuer. »

Comment voyez-vous l’avenir ? Voulez-vous continuer à être conseillère en agence ?

« J'aspire à devenir indépendante pour faire mon travail correctement »

Mélanie : « Non. Je gagne aujourd’hui 1 600 euros par mois, alors que cela fait 10 ans que je travaille en banque. J’ai eu des postes d’expertise. J’ai été conseiller financier. Je me suis beaucoup donnée. J’ai fait beaucoup d’heures supplémentaires non payées. Certes, j’ai des avantages à travailler dans un grand groupe comme, par exemple, 7 semaines de vacances par an. Mais c’est trop cher payé. Désormais, j'aspire à monter ma structure en indépendante, vendre les placements et les assurances par moi-même sans pression commerciale pour faire mon travail correctement. Au moins le matin, je pourrai me regarder dans le miroir. Ma situation n’est pas anecdotique. La moitié des collègues que j’ai côtoyés ont quitté la banque. Ils sont devenus conseillers patrimoniaux ou courtiers à leur compte. Et, en général, ce sont les bons conseillers qui partent car nous sommes déçus à la hauteur de notre investissement personnel. »

*Son prénom a été modifié