Seule banque en ligne, parmi les historiques, à avoir choisi d'investir massivement dans sa croissance, Boursorama se retrouve dans une position singulière, sans réel concurrent direct. Comment en est-elle arrivée là ? Qu'est-ce qui fait l'originalité de son modèle ?

Retour six ans en arrière. Le jeudi 26 novembre 2015, ING Direct remplit l'Olympia, à Paris, pour fêter un événement : son millionième client français. Elle est la première banque en ligne à atteindre ce chiffre symbolique. A l'époque, les néobanques n'existent pas encore ou s'inventent tout juste. Le marché français de la banque sans agences se joue entre six acteurs. ING Direct en est donc le leader et son premier challenger s'appelle Boursorama Banque, avec un peu plus de 750 000 clients. Derrière eux, Fortuneo, Hello Bank, BforBank ou encore Monabanq.

Il faudra attendre début 2017 pour voir Boursorama atteindre à son tour le million de clients et rattraper ING Direct. Mais, contrairement à sa concurrente, la filiale de la Société Générale ne s'est pas arrêtée là. Depuis cette date, elle a réussi à capter 2 millions de clients supplémentaires. Soit bien, bien plus que l'addition des gains de toutes ses concurrentes directes sur la période.

Résultat : 4 ans plus tard, Boursorama Banque semble boxer seule dans sa catégorie. Plus vraiment une banque challenger, même si son modèle économique n'a pas fondamentalement changé. Un peu plus qu'une néobanque, même si sa croissance rapide l'en rapproche. Pas encore une banque grand public, même si elle sert plus de clients que bien des enseignes régionales.

Une croissance rapide... et coûteuse

Quelles sont les recettes du modèle Boursorama ? Dans son histoire, qui remonte tout de même à 2003, il y a un avant et un après 2016. Avant, la banque en ligne avait le choix de la croissance rentable : grandir, certes, mais sans trop se mettre dans le rouge. Une stratégie qui reste aujourd'hui celle des Fortuneo, ING ou Monabanq.

En 2016, Boursorama Banque prend, elle, un tournant. Elle fait le choix de la course à la taille en investissant massivement dans la conquête de nouveaux clients. Cela passe notamment par l'abandon des conditions de revenus qui barraient jusqu'ici l'accès à certaines catégories de la population, les jeunes notamment. A coup de cartes bancaires gratuites pour tous et de primes à l'entrée en relation, mais également de publicités haut de gamme, Boursorama a réussi depuis à « multiplier sa base de clients par 4 et ses encours par plus de 3 », se félicite Benoît Grisoni, le CEO de Boursorama.

Ce choix a une conséquence : depuis 2016, Boursorama a accumulé plus de 230 millions d'euros de pertes. Des pertes ou de l'investissement ? « Nous pourrions être rentables demain matin », assure Benoît Grisoni. « Nous sommes structurellement rentables, nos pertes sont conjoncturelles, liées à notre choix de croître fortement ». Dès 2024, la banque en ligne, qui devrait d'ici là approcher des 4 millions de clients, a prévu de « normaliser sa conquête », d'atteindre alors un taux de rentabilité sur capitaux propres supérieur à 25% et enfin d'afficher un résultat net de 200 millions d'euros en 2025.

Un modèle alternatif pur

A l'inverse de certaines néobanques, dont la majorité des clients souscrivent dans des points de vente physiques (Orange Bank, Ma French Bank), ou de certaines banques en ligne qui jouent la carte de la complémentarité avec les réseaux de leurs maisons-mères (Hello Bank, Monabanq), Boursorama revendique un modèle radicalement alternatif à celui de la banque de détail traditionnelle.

Au cœur de l'équation, l'autonomie du client. « Nous n'avons qu'une promesse : nous allons vous donner les moyens de gérer votre argent par vous-même », explique Benoit Grisoni. C'est un impératif : pour pouvoir proposer des tarifs parmi les plus bas du marché, autre pilier du modèle, Boursorama doit limiter sa base de frais généraux. Notamment sa masse salariale. « Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un haut niveau d'efficacité opérationnelle », poursuit le patron de la banque en ligne. « Nous gérons plus de 3 millions de clients et un peu plus de 45 milliards d'euros d'encours avec moins de 850 personnes ».

Satisfaire un client tout en lui demandant de se débrouiller seul autant que possible n'a toutefois rien d'évident. « Dans le secteur bancaire, il y a beaucoup de jargon, de technique, de changements incessants liés à la réglementation », constate Benoît Grisoni. « La dimension pédagogique est donc essentielle : il faut rendre simple ce qui est objectivement compliqué ». Pour y parvenir, Boursorama s'appuie notamment sur son portail web d'informations financières pour créer des contenus de vulgarisation : FAQ, simulateurs, webinaires, vidéos...

Ce faisant, elle cherche aussi à dédramatiser le sujet. « Le secteur bancaire a souvent tendance à s'excuser d'exister, alors que c'est un secteur de la vie de tous les jours », estime Benoît Grisoni. « Nous essayons de casser cette distance avec les gens ». Cela semble fonctionner : « Seulement 17% des clients des banques directes estiment que l'autonomisation fragilise leur relation avec leur banque, contre 30% dans l'ensemble des banques », analyse Baudoin Choppin de Janvry, spécialiste du secteur bancaire chez Onepoint.

Un catalogue complet

C'est une autre différence de Boursorama, qui la distingue notamment des néobanques à forte croissance comme N26, Revolut et dans une moindre mesure Orange Bank : la banque en ligne a l'ambition, comme une banque traditionnelle, de répondre à tous les besoins de ses clients. Elle couvre ainsi les quatre grands pôles de la banque de détail : la tenue de compte et les moyens de paiements, le crédit, l'épargne et l'assurance. Seules quelques banques en ligne historiques - Fortuneo, Monabanq ou Hello Bank - peuvent en dire autant. « C'est tout sauf facile de proposer un tel catalogue », rappelle Benoît Grisoni. « C'est d'ailleurs pour cela que les nouveaux arrivants sur le marché ne le font pas. »

Dernier exemple en date : en septembre, Boursorama a été la première banque en ligne à lancer un Plan d'épargne retraite (PER) maison, baptisé Matla. Un produit stratégique. En accélérant sa conquête, la banque en ligne a également rajeuni sa clientèle. De 41 ans en 2016, l'âge moyen d'un client est passé à 35 ans actuellement. Son objectif est désormais de fidéliser ses jeunes clients dans la durée, en leur apportant tout ce dont ils auront besoin à chaque étape de leur vie. Y compris, donc un support d'épargne destiné à préparer leur retraite.

Un modèle d'avenir

Benoît Grisoni en est conscient. Aussi cohérent soit-il, le modèle alternatif proposé par Boursorama n'a pas vocation à devenir hégémonique : « Il y aura toujours des clients qui auront besoin d'une agence et d'un conseiller ». Pour autant, il n'a sans doute pas encore atteint son apogée. « Il y a encore du potentiel de croissance pour les banques directes, dont Boursorama, notamment chez les plus de 15-24 ans, plus digitaux, et les 35-49 ans, plus autonomes », confirme Baudoin Choppin de Janvry. « Un tiers des clients des banques traditionnelles, s'ils devaient changer de banque, opteraient pour une banque directe. C'est beaucoup. »

L'évolution du modèle d'affaires des banques traditionnelles pourrait les y aider. « Plus les acteurs traditionnels pousseront leurs clients vers les canaux numériques, plus ces clients s'interrogeront sur l'intérêt qu'ils ont à rejoindre un acteur comme Boursorama », conclut ainsi Benoît Grisoni. A l'image de la Société Générale, la maison-mère de Boursorama, qui, à l'occasion de la fusion de son réseau avec celui du Crédit du Nord, compte bien mettre l'accent sur le « distanciel » pour les besoins bancaires du quotidien.

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