Avec la remontée des taux, l'argent des comptes courants redevient profitable pour les banques. Aucune, pourtant, ne semble disposée à partager cette manne avec ses clients, en rémunérant leurs dépôts ou en baissant le prix de ses services.

Bunq et Wise, vous connaissez ? Les deux marques font partie de ces services financiers 100% numériques venus de l'étranger (des Pays-Bas pour la première, de Belgique pour la seconde) autorisés à exercer leurs activités en France grâce à un passeport européen. Mais ce n'est pas leur seul point commun. Toutes deux ont annoncé récemment qu'elles rémunéreraient désormais l'argent déposé par leurs clients sur leurs comptes courants : 1,31% brut chez Bunq et 0,65% brut chez Wise. Mieux, ces intérêts sont calculés au jour le jour, et non pas par quinzaine, comme il est de coutume en France. Ils sont également capitalisés tous les mois sur les comptes, générant ainsi à leur tour des intérêts.

Pourquoi ce choix ? Julie Arnoux, porte-parole France chez Wise, l'explique dans un communiqué : « Après des années où les taux d'intérêt étaient faibles ou négatifs, les banques centrales du monde entier les augmentent. Par conséquent, l'entreprise commence à générer des revenus à partir de l'argent que nos clients détiennent sur leur compte Wise. (...) C'est donc logique que nous ayons décidé de partager ces bénéfices avec eux. »

Pour ces deux marques peu connues en France, c'est évidemment un joli coup de pub, de nature à attirer à elles de nouveaux clients soucieux de faire travailler leur argent. Elles profitent ainsi du tournant opéré en 2022 par les politiques monétaires des banques centrales du monde entier, parmi lesquelles la Banque centrale européenne (BCE). Face au retour de l'inflation, ces dernières ont mis un terme à plus d'une décennie de taux bas, voire négatifs. Depuis le 27 juillet dernier, le taux de dépôt au jour le jour de la BCE est repassé en positif. Il est fixé actuellement à 2%. En clair, quand Bunq ou Wise placent les liquidités de leurs clients, ils récoltent 2% d'intérêts, dont ils redistribuent une partie.

Les dépôts gratuits, une aubaine pour les banques

Cette aubaine, votre banque, celle que vous utilisez au quotidien pour payer et être payé, en profite aussi. En plaçant l'argent de votre compte courant auprès de la BCE ou en utilisant cette ressource quasi gratuite pour financer les crédits qu'elles accordent. Les taux de ces derniers, qu'ils soient immobiliers ou à la consommation, remontant en flèche actuellement, ces dépôts lui permettent de gonfler sa marge nette.

Pourtant, aucun grand réseau bancaire n'emboîte le pas de Bunq et Wise. Interrogé sur le sujet par MoneyVox, aucune, à l'heure de publier cet article, n'avait souhaité répondre. RAS non plus du côté des banques en ligne, qui pourraient pourtant en faire un atout supplémentaire dans leur quête de nouveaux clients. « Nous avons la chance d'avoir une gamme complète de produits d'épargne, notamment un nouveau Livret Bourso+ rémunéré à 2% jusqu'à 30 000 euros, qui permet à nos clients de placer leurs liquidités en quelques clics », explique Xavier Prin, directeur marketing de Boursorama Banque. « Donc, non, nous n'avons pas en projet de rémunérer les comptes à vue. »

De manière plus surprenante, la revendication ne figure pas non plus à l'agenda de l'association de consommateurs CLCV. « Nous n'y sommes pas particulièrement favorables », explique Jean-Yves Mano, son président. « Les ménages ont de nombreuses possibilités pour placer leurs liquidités non utilisées. Et il y aurait un risque de rattrapage de la part des banques. Notre priorité reste à la limitation des frais bancaires. »

Le « ni-ni » a vécu

Rémunération des dépôts contre frais bancaires. Le lien mis en avant par Jean-Yves Mano ne sort pas de nulle part. Il est même historique, souvent résumé en une expression, le « ni-ni » : ni facturation des chèques et de la tenue de compte, ni rémunération des dépôts. Ce contrat tacite passé entre le secteur bancaire et les pouvoirs publics remonte à la fin des années 1960, plus précisément aux lois dites Debré de 1966-67.

A cette époque où les salaires sont encore souvent versés et dépensés en liquide, le pouvoir veut accélérer la bancarisation de la population française et faire entrer leur argent dans les circuits financiers. L'ouverture de guichets bancaires est facilitée, les salaires sont progressivement mensualisés et payés par virement.

Pour encourager les Français à ouvrir un compte, l'exécutif gaulliste demande aussi aux banques de ne pas faire payer les services de base, notamment la tenue de compte et le chèque, dont la facturation est d'ailleurs interdite par loi. En échange, la rémunération des comptes courants est interdite, permettant aux banques d'accéder à une ressource gratuite. Tout le monde y trouve son compte.

« La banque est toujours perçue comme un service public »

Cinquante ans plus tard, ce contrat tacite, pourtant, a vécu, et plutôt aux dépens des usagers. S'ils restent attachés à la gratuité du chèque, ce dernier ne représente plus, fin 2021, que 6% de leurs paiements hors espèces, supplanté par la carte bancaire qui est, elle, payante. La tenue de compte est désormais très largement facturée (par 9 banques sur 10 environ) et de plus en plus chère : plus de 27 euros, en moyenne, début 2023, contre 7 euros dix plus tôt.

Quant à l'interdiction de la rémunération des comptes courants, elle a été abrogée depuis 2007, sous la pression de la justice européenne. Pourtant, malgré la forte remontée des taux, aucune banque ne semble disposée à introduire une forme de rééquilibrage, en partageant avec leurs clients une partie des revenus générés par leurs dépôts.

Le comparatif des frais de tenue de compte

Une opportunité à saisir

Certaines, comme Bunq et Wise, pourraient y voir une opportunité. « Une banque de détail qui aurait envie de dynamiser sa collecte de dépôts pourrait être tentée de rémunérer les comptes courants. C'est une proposition de valeur puissante, car très simple à expliquer », analyse Marc Tempelman, co-fondateur de l'application Cashbee. Dans les années 2000, quelques enseignes avaient d'ailleurs tenté le coup, dont un mastodonte, la Caisse d'Epargne. Mais aucun autre grand réseau n'a suivi le mouvement et l'Ecureuil a fini par renoncer lorsque les taux se sont écroulés, à la suite de la crise financière de 2007.

Certains pourraient-ils se lancer, maintenant que les taux remontent ? Marc Tempelman en doute. « Si une grande banque de réseau venait à le faire, elle aurait de grandes chances de capter plus de dépôts, aux dépens des autres. Toutes, sans doute, devraient donc suivre et l'avantage compétitif serait de courte durée », analyse le porte-parole de Cashbee. « En revanche, cela aurait pour conséquence de renchérir le coût de leur financement. De façon massive, car ce taux va, à la fois, s'appliquer aux nouveaux dépôts, et au stock. A quoi bon se tirer une balle dans le pied pour un avantage compétitif qui ne durerait que quelques semaines ou même quelques mois... »

Une compensation sur les frais bancaires ?

Les banques disposent d'un autre levier pour partager avec leurs clients le fruit de la hausse des taux : ralentir sur la facturation de leurs produits et services. En 2023, les hausses ont été faibles, à la suite de l'engagement de modération pris par le secteur bancaire sous la pression de l'exécutif. Qu'en sera-t-il en 2024 ? Certaines marques renonceront-elles, par exemple, à facturer les frais de tenue de compte ?

L'occasion semble belle, en tout cas, de faire évoluer certaines pratiques tarifaires. Instaurer, par exemple, des plafonds annuels de frais, réclamés de longue date par les associations de consommateurs, pour tous les clients et pas seulement ceux qui remplissent les critères de fragilité financière. « Certaines banques le font déjà, pourquoi pas les autres ? », s'interroge Jean-Yves Mano, président de la CLCV.

Le classement des banques les moins chères