Les banques françaises se sont engagées à mettre en place, d’ici février, un plafonnement, à 25 euros par mois, des frais d’incidents de paiement pour les clients dit « fragiles ». Mais qui sont ces clients ? Et selon quels critères sont-ils distingués ?

3,6 millions : c’est l’estimation la plus récente (fin 2017) du nombre de clients bancaires en situation de fragilité financière. Un chiffre publié par l’Observatoire de l’inclusion financière de la Banque de France, chargé de suivre l’application de la réglementation en la matière. Depuis 2013 en effet, les banques ont l’obligation de détecter ceux parmi leurs clients qui sont en difficultés financières, et de les accompagner dans leur redressement, en leur proposant notamment un package bancaire à faible coût (2 euros par mois maximum), « l’offre spécifique clients fragiles » (OCF).

Cette obligation de détection, contenue dans une charte d’inclusion, est toutefois en train de prendre une nouvelle dimension. Fin 2018, dans le contexte de la crise des Gilets jaunes, les banques se sont en effet engagées, auprès du président de la République Emmanuel Macron en personne, à mettre en place un nouveau plafonnement mensuel des frais bancaires liés aux incidents de paiement (rejet de chèques ou de prélèvement, etc.), à hauteur de 25 euros. Une mesure de nature à contenir l’avalanche de frais qui s’abat à chaque dépassement de découvert autorisé, même ponctuel, mais qui ne s’appliquera, selon la doctrine officielle définie par la Fédération bancaire française (FBF), qu’aux « clients identifiés comme fragiles financièrement et donc éligibles à l’offre spécifique au regard de la loi ».

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Des critères objectifs, d’autres moins

Quels sont les critères qui définissent ce statut de « client identifié comme fragile » ? Pour le savoir, il faut se reporter au Code monétaire et financier (CMF), plus précisément à son article R 312-4-3.

La règle est assez claire dans deux cas de figure :

  • lorsque vous êtes inscrit depuis au moins trois mois consécutifs au « fichier de la Banque de France centralisant les incidents de paiement de chèques ». En clair, lorsque que vous êtes « interdit bancaire », c’est-à-dire que vous avez l’interdiction d’émettre des chèques.
  • lorsque vous avez déposé auprès de la Banque de France un dossier de surendettement, et que celui-ci a été jugé recevable.

Mais il existe aussi une autre série de critères, ceux-là plus sujets à interprétation. Vous devez en effet être considéré comme fragile financièrement « en cas d’existence d'irrégularités de fonctionnement du compte ou d'incidents de paiement » et que le « caractère répété » de ces incidents a été « constaté pendant trois mois consécutifs ». A combien d’incidents précisément correspond ce « caractère répété » ? Le CMF ne le dit pas. De même, la fragilité financière peut s’apprécier en confrontant le « montant des ressources portées au crédit du compte » aux « dépenses portées au débit du compte », dont le déséquilibre est « de nature à occasionner des incidents de paiement ». Sans plus de précisions.

Les banques font-elles le job ?

Résultat : malgré l’existence d’un cadre réglementaire, les banques disposent d’une assez large marge de manœuvre pour déterminer qui est un client fragile, et qui ne l’est pas. Si toutes les enseignes ont, depuis 2013, communiqué sur leurs efforts en la matière, certaines se contentent encore de proposer le statut aux clients surendettés. D’autres font preuve de meilleure volonté, mettent en place des dispositifs dédiés à la détection et l’accompagnement des clients en difficulté - le Crédit Agricole avec les « points passerelle », La Banque Postale avec « L’Appui », etc. Mais il reste difficile d’objectiver la réalité de ces efforts. L’Observatoire de l’inclusion bancaire publie des chiffres globaux sur le sujet, mais pas de statistiques enseigne par enseigne.

Une chose est certaine : « l’offre spécifique clients fragiles », en tant que telle, est très peu distribuée, malgré ses avantages. Selon l’Observatoire de l’inclusion bancaire, fin 2017, seuls 351 000 clients, sur les 3,6 millions éligibles, avaient choisi de basculer sur cette offre à bas coût. Moins de 10% donc.

En cause, les réseaux bancaires, « organisés de telle façon que ce sont les clients qui ont le plus besoin d’être accompagnés qui ont le moins de conseillers face à eux », déplore Aurélien Soustre, cadre commercial dans la banque de détail et membre de la direction fédérale de la CGT banques assurances. Mais aussi l’offre en elle-même, telle qu’elle a été conçue par le législateur. Sans chéquier, sans découvert autorisé, avec une carte à autorisation systématique qui limite le recours aux facilités de paiement, les clients en difficultés ont peur de ne pas réussir à s’en sortir. Sans compter la dimension stigmatisante du statut de « client fragile ». L’existence du nouveau plafonnement de 25 euros va-t-il réussir là où l’OCF a échoué ? Réponse dans les prochains mois.