Le budget 2024 du gouvernement prévoit de financer en partie les entreprises de l'industrie de la défense avec l'argent du Livret A, du LDDS et du LEP. Selon un sondage réalisé par l'institut YouGov pour MoneyVox, 54% des personnes interrogées ne sont pas favorables à cette idée, comme le ministre de l'Economie Bruno le Maire.

C'est une nouveauté qui est loin de faire l'unanimité. Dans le cadre du projet de loi de finances 2024 adopté sans vote par l'Assemblée nationale en première lecture, suite au recours à l'article 49.3 de la Constitution par la Première ministre, il est prévu que l'épargne placée sur le Livret A, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) et le livret d'épargne populaire (LEP) puisse aussi être fléchée vers les PME de l'industrie de défense.

Selon un sondage (1) réalisé par l'institut YouGov pour MoneyVox, 54% des Français ne sont pas favorables à cette mesure. Un pourcentage qui grimpe à 58% chez les femmes, contre 49% pour les hommes. Au final, à peine un tiers des personnes interrogées (29%) sont pour l'utilisation d'une partie de l'épargne réglementée pour soutenir la défense.

Des résultats qui n'étonnent pas l'économiste Philippe Crevel : « Le Livret A est un symbole, un totem en France. Il est associé au logement social, son affectation principale. Toute modification de ce produit d'épargne créée une suspicion. Et financer l'armée ce n'est pas une valeur positive en soi comme l'est le logement social. Il n'est pas certain que cela rentre dans la philosophie du Livret A. »

« Les ressources du Livret A sont convoitées »

Interrogés sur les secteurs d'intérêt général que le Livret A serait susceptible de financer, les sondés préfèrent avant tout que cet argent bénéficie à l'hôpital public (61% d'approbation), à l'école (43%), à la police (21%), à la dépendance (20%) ou encore à la culture (18%).

« Les ressources du Livret A sont convoitées. Des demandes ont été formulées afin qu'elles puissent financer le programme de construction des centrales nucléaires françaises et la transition énergétique », rappelle Philippe Crevel. Selon un précédent sondage réalisé par YouGov pour MoneyVox, le financement du nucléaire était loin de faire l'unanimité chez les Français, même si le taux d'approbation était supérieur (45%).

Aujourd'hui, environ 60% des plus de 500 milliards d'euros d'épargne réglementée sont centralisés au sein du Fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts, qui finance notamment des prêts destinés à la construction de logements sociaux. Mais 40% de l'encours est conservé par les banques qui distribuent les produits réglementés.

Une manne évaluée à 225 milliards d'euros fin 2022 et que les banquent doivent distribuer sous forme de prêts pour soutenir la création et le développement de petites et moyennes entreprises (PME), le financement de projets contribuant à la transition énergétique ou encore l'économie sociale et solidaire. Et bientôt, peut-être, le financement de l'industrie nationale de défense.

Concrètement, l'amendement porté par 3 députés, dont le président de la commission de défense de l'Assemblée nationale, Thomas Gassilloud, entend faciliter le financement des « entreprises, notamment petites et moyennes, de [la] Base industrielle et technologique de défense (BITD) » qui « sont de plus en plus confrontées à des difficultés d'accès aux financements privés ».

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Bruno Le Maire pas favorable non plus

Un argument qui ne convainc donc pas une majorité de Français, pas plus que le ministre de l'Economie. « Le Livret A, pour moi, c'est le logement social et ça doit le rester. Je me suis battu pour que le LDDS serve exclusivement les investissements verts et je souhaite que ce soit le cas », a expliqué Bruno Le Maire la semaine dernière sur France Info.

L'idée de financer la défense avec l'argent du Livret A suscite aussi des interrogations chez Philippe Crevel : « Cette transformation d'une épargne de court terme en ressources longues, des emprunts de 30 à 50 ans est une spécificité française qui n'est pas sans défaut. Les établissements financiers doivent en permanence avoir un volant de liquidités suffisant pour faire face aux demandes de retrait des ménages. »

« On peut trouver d'autres façons de financer les forces de défense », estime d'ailleurs Bruno Le Maire. Il espère d'ailleurs que cette proposition soit mise de côté par les parlementaires avant l'adoption finale, d'ici la fin décembre, du projet de loi de finances 2024.

Les sénateurs avaient justement proposé cet été la création d'un livret d'épargne souveraineté pour financer les entreprises de défense dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM). Une solution finalement effacée au profit du recours à l'argent du Livret A. Mais cette disposition avait été alors retoquée par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif ». Il avait alors estimé que la mesure n'était pas à sa place dans une loi de programmation militaire.

(1) L'enquête a été réalisée sur 1055 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Le sondage a été effectué en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France du 28 au 29 novembre 2023.