Dix ans après la généralisation de sa distribution à l’ensemble des banques françaises, le Livret A est plus que jamais le fer de lance de l’épargne populaire en France. Un essor qui s’est fait aux dépens des autres produits. La preuve en chiffres.

Dix ans ! Voilà une décennie que le Livret A n’est plus la chasse gardée de trois banques - La Caisse d’Epargne, la Banque Postale, le Crédit Mutuel dans sa version Livret Bleu. C’est en effet le 1er janvier 2009 qu’est entrée en vigueur une réforme voulue par le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, et la mesure phare de sa Loi de modernisation de l’économie (LME) : la généralisation de la distribution du Livret A à l’ensemble des enseignes bancaires qui le souhaitent. Une décision politique qui a changé la structure de l’épargne en France.

A consulter : Le Livret A, le livret d'épargne défiscalisé accessible à tous

Le Livret A, les vertus de l’universalité

140 milliards d’euros d’encours en décembre 2008, à l’aube de la généralisation, 260 milliards dix ans plus tard, en décembre 2018 (1) : c’est peu dire que le Livret A a profité de la réforme de 2009. La preuve : en dix ans, le produit a capté 120 milliards d’euros d’épargne supplémentaires, contre 31 milliards d’euros seulement sur la décennie 1998-2008. 4 fois plus donc !

Evolution de l'encours du Livret A entre 1999 et 2019
Evolution de l'encours du Livret A entre 1999 et 2019 / Banque de France

Cette croissance, toutefois, n’a pas été linéaire. Le graphique ci-dessous, qui met en évidence les flux mensuels depuis 2004, montre bien - outre des pics réguliers correspondant à la capitalisation annuelle des intérêts - l’impact de la généralisation de la distribution.

Janvier 2009 a ainsi été, et de loin, le meilleur mois de collecte de la longue histoire du Livret A (plus de 200 ans tout de même !) : 17,4 milliards d’euros de flux positifs. A titre de comparaison, la collecte nette de l’ensemble de 2018, plutôt une bonne année par ailleurs, a légèrement dépassé les 10 milliards (2) … La conséquence de l’ouverture de centaines de milliers de nouveaux Livrets A - dont certains en doublon - dans des grandes enseignes jusque là en manque d’épargne populaire : au Crédit Agricole, chez BNP Paribas, à la Société Générale….

Collecte nette du Livret A entre 2004 et 2019
Collecte nette du Livret A entre 2004 et 2019 / Banque de France

Mais le graphique met en évidence un autre pic, fin 2012 début 2013. Là encore, lié à une décision politique : celle prise par François Hollande, qui a succédé en 2012 à Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, de relever le plafond de versements du Livret A. Lors de la campagne qui a précédé son élection, Hollande avait en effet promis de doubler ce plafond (15 300 euros à l’époque). Il n’ira pas tout à fait au bout de sa promesse, mais relèvera tout de même ce plafond en deux temps : à 19 125 euros le 1er octobre puis à 22 950 euros le 1er janvier 2013.

28 milliards d’euros en 2012

C’est d’ailleurs grâce à ce relèvement que le Livret A a connu les meilleures années de collecte de son histoire. Le pic de janvier 2009 avait en effet été sans lendemain : au final, la collecte nette 2009 avait atteint 16,5 milliards d’euros. En revanche, le Livret A a capté en 2012 plus de 28 milliards d’euros, après 17,4 milliards en 2011 et avant 12,1 milliards en 2013.

Forcément, de telles sommes ne sont pas seulement sorties du bas de laine des Français. D’où est venu cet afflux de liquidités ? Principalement des autres produits d’épargne réglementée, si l’on en croit les statistiques. Ceux-là même qui avait été inventés pour pallier l’absence du Livret A dans certaines enseignes !

Le LDDS, sauvé par le doublement du plafond

Même taux, même liquidité, même (absence de) fiscalité : le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) est un véritable clone du Livret A. A une différence près : il est réservé aux contribuables domiciliés fiscalement en France. Cette similitude n’est pas un hasard : c’est précisément pour compenser l’absence du Livret A à leur catalogue que les banques ont obtenu en 1983 la création du Codevi (compte pour le développement industriel), rebaptisé Livret de développement durable (LDD) en 2007, puis LDDS en décembre 2016.

Un bond de 21 milliards grâce à Hollande

En toute logique, le LDDS aurait dû être la première victime de la généralisation du Livret A. Ce fut le cas dans un premier temps. Le produit a en effet connu des collectes nettes négatives ou nulles : -3,3 milliards d’euros en 2009, -2,2 milliards en 2010, +0,1 milliard en 2011… avant que l’élection de François Hollande en 2012 ne lui sauve la mise.

En même temps qu’il relevait le plafond de versements du Livret A, le président socialiste choisissait également de doubler celui du LDDS, qui est passé de 6 000 à 12 000 euros le 1er octobre 2012. Résultat : une collecte nette de 21 milliards d’euros en 2012 (dont près de 14 milliards sur le seul mois d’octobre) puis de 7 milliards en 2013, qui ont permis au cousin du Livret A de passer le cap des 100 milliards d’euros d’encours, en dessous duquel il n’est jamais repassé depuis.

Plus d’informations sur le LDDS

Le Livret Jeune, victime collatérale

Ouvrez un Livret A à vos enfants dès leur naissance ! C’est l’un des arguments déployés en 2009 par les nouveaux distributeurs du Livret A. Une injonction qui a été suivie depuis par des centaines de milliers de Français et dont la victime collatérale a été le Livret Jeune.

Créé en 1996, lui aussi pour pallier l’absence du Livret A dans la plupart des enseignes, le Livret Jeune a connu un réel engouement à son lancement et trouvé sa place dans le paysage de l’épargne populaire. Il faut dire qu’il a un grand atout à faire valoir : son taux, d’abord supérieur d’un point à celui du Livret A, puis fixé librement par les banques à partir de 1998, mais forcément au-dessus du Livret A. Son encours a ainsi progressé de façon quasi ininterrompue jusqu’en… décembre 2008, où il atteint son apogée : 7,3 milliards d’euros.

Pas un hasard. La suite, après la généralisation du Livret A, est un long et régulier déclin, jusqu’à peser aujourd’hui 5,7 milliards d’euros seulement. Limité à 1 600 euros de versements, interdit d’ouverture avant les 12 ans de l’enfant, le Livret Jeune semble, malgré ses arguments, condamné à rester durablement dans l’ombre du Livret A.

Lire aussi : Le Livret Jeune est tombé aux oubliettes (et c'est bien dommage)

Le LEP, l’espoir d’un renouveau

-2,5 milliards d’euros au 1er trimestre 2009, -2 milliards en janvier 2013 : le Livret d’épargne populaire (LEP) lui aussi a subi de plein fouet les évolutions réglementaires bénéficiant au Livret A. Résultat : de 62 milliards d’euros d’encours en décembre 2008, il est retombé dix ans plus tard à 43 milliards. Et le nombre de livrets ouverts est passé de 11,8 millions début 2009 à 8,7 millions fin 2017.

Comme le Livret Jeune, il a pourtant l’atout de son rendement. La réglementation fixe en effet son taux un demi-point au dessus de celui du Livret A. Soit 1,25% net actuellement, un taux imbattable pour un produit cumulant risque zéro et disponibilité immédiate.

Oui mais voilà, le LEP n’est pas ouvert à tout le monde. seuls les ménages ne dépassant un certain seuil de revenu fiscal de référence (RFR) peuvent en détenir un. Conséquence : pour l’ouvrir et le maintenir ouvert, il faut communiquer chaque année à sa banque son avis d’impôt de l’année N-2. Trop contraignant : le LEP ne fait pas le poids face à la simplicité et l’universalité du Livret A.

Des courriels pour les éligibles

Il existe pourtant l’espoir d’un renouveau. Ces derniers jours, l’administration fiscale a envoyé à 7 millions de contribuables un courriel les informant de leur éligibilité au PEL et de la marche à suivre pour en ouvrir un. Une première, qui correspond à la volonté des pouvoirs publics de relancer le LEP et d'en faire un dernier rempart contre la hausse des prix. L’effort sera-t-il couronné de succès ? Réponse dans les prochains mois.

Moins d’impact sur les livrets ordinaires

Reste le cas des « livrets ordinaires », c’est-à-dire des livrets d’épargne fiscalisés et à taux de marché proposés par les banques. Ont-il subi la concurrence du Livret A ? Peu en 2009, dans le contexte de la généralisation : la baisse de l’encours est restée limitée. En revanche, ils ont subi durement la hausse des plafonds du LDD et du Livret A : 25 milliards d’euros de décollecte nette en l’espace de 6 mois, au 4e trimestre 2012 et au 1er trimestre 2013.

Un phénomène accentué par l’entrée de la conjoncture de taux bas, dans laquelle nous nous situons encore aujourd’hui. Pourtant, contrairement aux Livrets Jeunes et aux LEP, les livrets ordinaires ont réussi à inverser la tendance, en renouant avec la croissance depuis le 3e trimestre 2016, malgré des taux toujours au plus bas.

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(1) Tous les chiffres cités dans cet article, sauf mention contraire, sont issus des statistiques de la Banque de France. (2) Source : Caisse des dépôts