Plusieurs SCPI majeures ont annoncé une baisse importante de la valeur de leurs parts. Une situation inédite depuis 3 décennies. Pour les spécialistes, cette correction va permettre d'assainir le marché. Mais elle ne remettra pas en cause ces produits d'investissement aux 80 milliards d'euros d'encours.

« Certaines problématiques sont constatées sur plusieurs anciennes SCPI. (...) Nous vous préconisons de faire le point afin de vous proposer un arbitrage gratuit vers le support de votre choix. » Cet été, un mail envoyé par un courtier en assurance vie a eu de quoi inquiéter les investisseurs. Il fait référence à plusieurs SCPI majeures, dont la valeur des parts se contracte : -8,44% pour Laffite Pierre (AEW Ciloger), -12,42% pour Rivoli Avenir Patrimoine, -13,92% pour Edissimo, -17,04% pour Génépierre (Amundi), -17,07% pour Accimmo Pierre (BNP Paribas REIM)...

Et ce n'est que le début. Selon nos informations, des produits réputés comme PFO2, Patrimmo Commerce et plusieurs véhicules de Primonial seraient en « phase d'expertise » en vue d'une possible dépréciation.

D'autres pourraient suivre. Le recul est important pour ces titres de pierre-papier, réunissant des biens immobiliers, accessibles en direct ou en assurance vie. Les concernés sont des poids lourds, dépassant souvent le milliard d'euros de capitalisation.

Investir en SCPI : en direct ou via l'assurance vie ?

Crise de l'immobilier

Comment l'expliquer ? « Comptablement, la valeur des parts de SCPI doit correspondre à plus ou moins 10% de la valeur de reconstitution du portefeuille si tous les biens étaient vendus », détaille Jean-Marc Chevassus, responsable du Master 2 gestion de patrimoine à l'IAE Lyon. La référence, c'est la valeur de marché.

Or avec la remontée des taux, l'immobilier est en baisse. On approche déjà des -10% dans certaines grandes villes. Les investisseurs, refroidis par le coût des crédits, attendent une baisse des prix pour acheter. Dans le même temps, les banques deviennent plus frileuses pour prêter de l'argent. Les SCPI, corrélées au prix du marché, suivent donc cette tendance.

Immobilier locatif : les SCPI peuvent-elles résister en cas de baisse des prix immobiliers ?

« On assiste à une décote des SCPI à la paille de fer ! »

Pourtant l'immobilier n'a pas perdu entre 12 et 17%. En interne, une source offre un éclairage : « Ce n'est pas un simple réajustement. On assiste à une décote à la paille de fer ! Les SCPI des grands groupes se sont moins bien vendues récemment, les hypothèses les plus drastiques ont donc été privilégiées. »

De son côté Stellane Cohen, présidente du courtier en ligne Altaprofits, assure que cette situation n'a rien d'étonnant. « C'est la chronique d'une histoire annoncée ! Depuis 2020, on savait que le marché immobilier allait baisser... » On dit souvent qu'une crise immobilière suit en décalé une crise économique. Il est logique que des véhicules déclinent cette année... Voire, selon les experts, l'année prochaine.

Un marché hétérogène

Tout le monde n'est pas concerné. Sofidy, Primaliance, Norma capital ou Kyaneos ont annoncé une « stabilité de leurs parts en 2023 ». Cette disparité montre un nivellement des produits. « On passe d'une classe d'actifs immobiliers très homogène à un marché hétéroclite, estime Yves Conan, directeur général du courtier en ligne Linxea. Certains vont tirer leur épargne du jeu, d'autres vont tirer la langue. »

Un avis partagé par la présidente d'Altaprofits. « Il y a SCPI et SCPI. Tout dépend ce qu'on y trouve. » Elle ne mâche pas ses mots : « Moi, vous me payez, je n'aurais jamais acheté des parts de certaines grosses SCPI ! » Car les portefeuilles ne sont pas forcément optimisés. « Vous y trouvez souvent des actifs qui sont un peu décotés. On a envie de s'en débarrasser, on les met en SCPI ! »

« Ce n'est pas parce que le marché immobilier baisse que toutes les parts vont baisser »

Tous les gestionnaires n'ont pas en stock des sièges sociaux du Cac 40, des hôtels de luxe... mais à l'inverse, des zones commerciales désertées en province, ou des bureaux vides à la Défense ! « On n'a pas toujours des SCPI avec des biens prime », poursuit Stellane Cohen.

Elle invite à regarder sous le capot des véhicules. « Il faut analyser ce qu'il y a à l'intérieur. À un moment, il peut y avoir des déséquilibres. Ce n'est pas parce que le marché immobilier baisse que toutes les parts vont baisser. »

Vulnérabilités

En tout cas, cette situation est une première depuis 30 ans, et la crise du début des années 90. « Les SCPI avaient perdu jusqu'à 40 ou 50% », se souvient Jean-Marc Chevassus. En 10 ans, l'immobilier vient d'exploser. Comme le dit l'adage, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel !

Les produits en baisse sont les plus exposés à certaines classes d'actifs : bureaux, logistique... « Investir sur une SCPI spécialisée sur une thématique donnée, c'est se mettre dans une situation de vulnérabilité », met en garde Stellane Cohen. L'exception, c'est l'hôtellerie. Selon Yves Conan, « ce sont celles qui performent le mieux. Car les loyers s'ajustent tous les jours ! »

Les principales victimes sont les investisseurs. Du jour au lendemain, la valeur de leur épargne a fondu ! En assurance vie, il est possible de réagir : les contrats garantissant la possibilité de vendre les actifs à tout moment, on peut tenter de compenser la perte avec d'autres solutions. Ce n'est pas la même chose pour ceux qui ont acheté des parts en direct. « Tout le monde oublie que les SCPI ne sont pas du tout liquides, lance Jean-Marc Chevassus. C'est du gré à gré. » Pour vendre une SCPI, il faut trouver un acheteur. Ce qui est plus ardu en phase de baisse. Lors de la précédente crise, il a fallu jusqu'à trois ans pour vendre ses parts, à prix cassé !

Ne pas oublier les loyers

Linxea a logiquement été sollicité par des clients inquiets. « Il y a deux solutions : soit on les affole, soit on leur dit que c'est juste une situation pas agréable », explicite Yves Conan. « Ce n'est pas parce que deux énormes acteurs baissent que cela concerne tout le marché ! » Il critique le mail de son concurrent. « Un courtier qui sonne l'alarme, invite à fuir, ce n'est pas réaliste. » « Des messages un peu catastrophistes, ce n'est pas une bonne chose, rebondit Stellane Cohen. Cela peut faire peur, créer des mouvements de panique. » Car des rachats massifs et peu de collecte pourraient forcer les gestionnaires à vendre les actifs en moins-value, aggravant la baisse des parts !

Yves Conan invite donc à prendre de la hauteur. Une SCPI livre des loyers qu'il faut intégrer à l'équation. « Beaucoup de gens ont acheté des parts il y a 5 ans ou plus. Si on leur montre le tableau réel, la valeur d'achat et les loyers, le plus souvent, le solde est positif. » Ou à minima à l'équilibre, même pour une décote à 17% ! « Le client qui aurait investi à la même date sur un mauvais fonds en euros ou un produit actions de qualité moyenne serait au mieux au même niveau. Ce ne serait pas le placement le plus rentable, mais cela permet d'atténuer la déconvenue. »

Chez Altaprofits, les retraits restent sporadiques. Stellane Cohen suggère que c'est lié à la stratégie d'épargne. « Quand on investit sur des unités de compte, on ne part pas pour un an ou deux. L'horizon de placement est beaucoup plus long que si l'on investit sur les fonds en euros. » La durée de détention recommandée dépasse les 8 ans. « Le trésor, c'est que l'on touche des loyers relativement stables », ajoute Yves Conan. En une décennie, cela préserve de mauvaises surprises.

Méconnaissance

Le principal souci, c'est que des clients « défensifs » ont misé sur ce produit. « Avec l'interdiction de verser 100% sur le fonds euros, il a fallu choisir des unités de compte, indique Jean-Marc Chevassus. On a fait sortir du bois des gens très sécuritaires. » Les réseaux de distribution ont alors vendu « massivement » ces titres, réputés stables et sans danger. « Beaucoup de Français ne comprennent pas que pour avoir du rendement, il faut du risque », rappelle Jean-Marc Chevassus. Il y a des incertitudes, comme pour tout actif financier.

« Suivre un courant ou une mode, c'est être certain d'être un jour démodé ! »

« Si les clients le découvrent, ils ont été mal conseillés, regrette Stellane Cohen. Ou ils n'ont pas lu tous les documents contractuels. » Jean-Marc Chevassus ne veut pas accabler les épargnants. « On fait signer des papiers dans tous les sens. Donner toute cette information à ceux qui n'ont pas de culture financière, cela ne sert pas à grand-chose. » Yves Conan suppose qu'il y a pu avoir « un problème dans le process de vente », voire « des ventes agressives ».

Des conseils biaisés ?

Les conseillers ont-ils été trop confiants ? « Ce ne sont pas des comportements avisés, raisonne Stellane Cohen. Quand on conseille les clients, on ne se concentre pas sur une classe d'actifs, mais on regarde la situation personnelle, l'horizon de placement, l'âge, l'aversion au risque... »

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L'erreur peut être de concentrer son épargne sur peu de produits. « C'est irresponsable de la part des conseillers ! Dans notre métier, on doit avoir une éthique dans la façon d'accompagner les clients. » Elle souligne qu'il faut se méfier des « comportements moutonniers » : « Suivre un courant ou une mode, c'est être certain d'être un jour démodé ! »

Mais Jean-Marc Chevassus subodore qu'il n'y a pas de hasard. « Le biais de distribution, ce sont les frais d'entrée. » Pour les SCPI, ils peuvent atteindre 12%. « Cela veut dire que le réseau de vente, d'intermédiaires, va percevoir 6 à 10% de commission. » Il est forcément tentant de placer un produit facile à vendre et très rémunérateur. « Certains ont pu dire que la SCPI, c'est facile, on peut en sortir au même prix dans 3 ans avec des coupons de 5%. »

Vu la situation actuelle, l'opération n'est pas aussi juteuse ! Yves Conan prône un conseil : tester son conseiller ! « S'il est capable d'expliquer comment marche la SCPI, cela veut dire que le produit est bien vendu. Sinon, il faut se poser des questions ! »

Patience !

Y'a-t-il urgence à vendre ? Jean-Marc Chevassus prévient les investisseurs : ceux qui ont investi au plus haut « vont perdre sur tous les tableaux. Ils auront payé 10% de frais d'entrée, et sortiront avec une décote de 15%. Cela fait beaucoup ! » Yves Conan appelle à la patience. « Les gens rentrés l'an dernier sur des véhicules qui se décotent ont intérêt à ne pas se précipiter. » En quelques années, les loyers peuvent rattraper les pertes. Si l'on tolère des lignes rouges sur son relevé !

Pour une épargne équilibrée, Stellane Cohen énonce un principe de base : « La première règle, c'est la diversification. Entre les actifs, mais aussi entre les SCPI. » Seul ou avec l'aide de spécialistes, le mieux est de décortiquer le contenu de chaque SCPI, la gestion, les réserves... Altaprofits organise chaque année plusieurs rencontres entre gestionnaires et investisseurs. Un bon moyen de mieux comprendre le marché.

« Un timing idéal pour performer sur les prochaines années, en acquérant des biens qui décotent »

S'il n'y a pas de « martingale », la crise actuelle permet de comprendre que l'immobilier n'est pas sans risque. Mais les SCPI restent intéressantes pour miser sur la pierre, selon les spécialistes : « Ce sont des véhicules mutualisés, sans problème de gestion, de locataires, de travaux... »

Un moment pour investir

L'enjeu est donc de ne pas fuir, mais respecter l'esprit « long terme » de ce produit. Si l'on évite de spéculer, miser sur les SCPI reste une stratégie pertinente. « Avec les valeurs d'expertises, qui sont publiques, un spécialiste peut analyser la tendance à venir, note Yves Conan. En assurance vie, il est facile de rediversifier. Dans les temps actuels, il ne faut pas faire l'autruche ! » Car des opportunités existent à ses yeux : de nouveaux véhicules en plein « boom », comme Corum, Remake Live, Iroko... « Pour eux, c'est un timing idéal pour performer sur les prochaines années, en acquérant des biens qui décotent. On va assister à un tri entre ceux qui ont le vent en poupe et d'autres dans une situation un peu plus délicate. »

Même si Jean-Marc Chevassus tempère cette perspective : « Les nouvelles SCPI investissent à l'étranger. La crise commence en France, mais il n'y a pas de raison qu'elle ne s'étende pas ailleurs. » Et dans ce cas, elles pourraient avoir plus de mal à gérer la situation qu'un groupe historique.

À l'inverse, il avance que le moment est intéressant pour investir. « Acheter des parts en baisse, c'est augmenter le taux de rendement des loyers », certifient nos experts. On est donc loin de la catastrophe.

Jean-Marc Chevassus fait un simple calcul « si dans votre épargne globale, vous avez 10% de SCPI, et qu'elles perdu 20%, au final, vous avez perdu 2% ! » Yves Conan ne croit d'ailleurs pas au « grand soir de décote, avec 30 ou 40% de baisse. Cela va durer un an ou deux, mais le modèle ne va pas s'effondrer. » Après un incendie, les arbres finissent par repousser.