Une enseigne grand public a décidé récemment de taxer les dépôts de ses nouveaux clients supérieurs à 50 000 euros. Cette décision va-t-elle faire boule de neige alors que la situation financière des banques françaises se complique ?

C'est une première pour une banque grand public en France. L'enseigne N26 - qui compte 1,6 million de clients - taxe à 0,5% le montant des dépôts qui excède 50 000 euros pour ses nouveaux clients à compter du 19 octobre. Pour un dépôt de 70 000 euros, la facture s'élève ainsi à 100 euros par an. Un coup de tonnerre, alors que jusqu'ici, seules certaines banques privées, destinées à un public très aisé, avaient mis en place une telle mesure pour des dépôts dépassant le million d'euros.

L'ensemble des clients des banques doivent-ils craindre que la décision de N26 ne fasse tâche d'huile ? La question a le mérite d'être posée au moment où les particuliers remplissent leurs comptes courants. « L'encours des dépôts à vue dépasse les 450 milliards d'euros en France, soit deux fois plus qu'en 2009 », rappelle Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne. Un phénomène amplifié par la crise du coronavirus qui entraîne une surépargne de près de 100 milliards d'euros pour cette année. Confinés et reconfinés, une partie des Français ont fait des réserves et préfèrent en partie les laisser à disposition sur leur compte courant.

De l'argent qui dort et qui coûte cher

Mais cet afflux de liquidités coûte très cher aux banques. Celles qui en ont trop doivent en déposer une partie à la Banque centrale européenne (BCE), qui prélève une commission de 0,5%. La BCE veut ainsi encourager les établissements à prêter aux ménages et aux entreprises, sauf que la situation économique ne les poussent pas à s'endetter pour de nouveaux projets. Le taux d'épargne en France devrait ainsi dépasser les 20% en 2020.

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D'après Goldman Sachs, les taux négatifs pratiqués par la BCE ont coûté, en 2018, 7 milliards d'euros aux banques européennes, dont 2 milliards d'euros pour les banques françaises. D'où la tentation pour elles de se tourner vers leurs clients. « Aujourd'hui on est dans un monde où les taux interbancaires sont négatifs. En tant que banque, cela a un coût », explique Jérémie Rosselli, le directeur général de N26, dans une interview accordée la semaine dernière à MoneyVox. Une situation qui justifie, à ses yeux, la taxation des dépôts de 0,5% au-delà de 50 000 euros auprès des clients français de la banque allemande, mais aussi sur l'ensemble des marchés où elle opère, sauf en Espagne et au Portugal où cela n'est réglementairement pas possible.

En Suisse, en Italie, au Danemark, mais aussi en Allemagne, la pratique est courante parmi les établissements financiers. Outre-Rhin, près de 200 banques y ont recours, principalement auprès des clients avec des dépôts supérieurs à 100 000 euros. Mais la Volksbank Raiffeisenbank de la ville de Fürstenfeldbruck, près de Munich, prélève un taux de -0,5% dès le premier centime d'avoir, par exemple.

Les banques françaises en phase d'observation

En France, il y a un peu plus d'un an, la directrice de la banque de détail de la Société Générale indiquait que « la question se pose, fatalement, pour les très gros dépôts ». Interrogée par MoneyVox, la banque rouge et noir n'a toujours pas pris de décision : « Nous observerons bien entendu les comportements des différents acteurs traditionnels et digitaux en la matière mais le sujet n'est pas à l'ordre du jour chez nous. » Même son de cloche chez Orange Bank ou bien encore chez ING par exemple. Pourtant la filiale belge de la banque néerlandaise a annoncé une taxation de 0,5% à partir de janvier pour les comptes crédités de plus de 2 millions d'euros.

La décision de N26 reste donc isolée à ce stade. « Dans les faits, les banques pourraient appliquer des taux négatifs mais elles ont, pour le moment, préféré jouer sur la rémunération des services qu'elles offrent plutôt que le taux des dépôts pour maintenir leur rentabilité. La question pourrait se poser sur les dépôts les plus importants. Pour le moment, le caractère concurrentiel du marché bancaire limite les tentations », analyse Philippe Crevel. Pourtant, « le ministère de l'Economie mais également l'ACPR, le régulateur du secteur financier, pourraient avoir intérêt à une réduction de l'encours des dépôts à vue afin de relancer la consommation mais aussi afin d'améliorer la rentabilité des banques qui pourraient être mise à mal en cas de multiplication des faillites et donc des créances douteuses. »

L'arme des frais bancaires

En effet, comme le montre l'enquête réalisée récemment par MoneyVox, la solidité des établissements financiers pose question. Mais difficile d'imaginer, dans le contexte actuel, que le gouvernement les poussent à mettre en place une telle taxation des comptes courants. « Elle serait très impopulaire. Elle pourrait conduire les clients soit à segmenter leurs dépôts sur plusieurs banques, soit à retirer une partie de leurs liquidités pour conserver du numéraire. Elle risquerait d'atteindre un objectif contraire à celui recherché, augmenter la défiance et donc la non-consommation. »

Plutôt que de taxer directement les dépôts, les banques ont donc une autre corde à leur arc : les frais bancaires. Certains ont explosé cette année, comme les frais de tenue de compte, et le rythme pourrait se poursuivre en 2021 au regard des premières brochures tarifaires compilées par MoneyVox.

Pour éviter de trop banquer, heureusement, il existe des établissements moins gourmands en frais que d'autres, notamment les banques en ligne. L'occasion aussi pour un acteur comme Cashbee de chercher à tirer son épingle du jeu : cette application mobile pousse les particuliers à mettre de l'argent de côté dès que possible sur un livret rémunéré à 2% pendant les deux premiers mois, plutôt que de le laisser dormir sur un compte courant.

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