Quel est le point commun entre N26, Compte-Nickel ou encore Treezor ? Ces nouveaux acteurs du paiement ont tous misé sur Mastercard. Un choix plutôt étonnant car, en France, les cartes Visa sont plus répandues... BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole ou encore BPCE sont soit bi-réseau, soit ne commercialisent que des Visa. Alors pourquoi les néobanques ne font-elles pas le même choix ?

A l’exception d’Orange Bank, toutes les néobanques exerçant en France proposent des cartes bancaires de marque Mastercard. « Ce constat est bien réel », nous a confirmé Solveig Honoré Hatton, directrice générale de Mastercard France. « Compte Nickel, Morning, N26, Qonto, Ditto by Travelex, Treezor, Anytime, Revolut, Lydia… à une ou deux exceptions près, tous les acteurs qui se lancent dans le paiement font appel à Mastercard ». Selon la directrice de Mastercard France, ce choix est dû à la proximité qu’a su, très tôt, tisser la société avec cet écosystème. « Nous avons été extrêmement précurseurs dans le domaine des fintechs », souligne ainsi Solveig Honoré Hatton. « Au travers du programme Start Path, Mastercard collabore depuis 5 ans avec des start-ups du monde entier. Des partenariats qui donnent lieu notamment à des prototypes développés dans nos 7 labs ». Parmi eux, celui de Dublin est principalement dédié aux fintechs. Un quart des projets menés sont réalisés en collaboration avec ces start-ups.

En France, le réseau de paiement est aussi actif. Il est par exemple partenaire depuis sa première édition du Paris Fintech Forum, un forum mondial qui réunit les nouveaux acteurs de la finance. A l’occasion de cet événement, « nous organisons un déjeuner VIP avec l’ensemble de nos clients. 60 à 80 fintechs y participent. L’occasion pour elles de se faire connaître et de rencontrer nos partenaires bancaires », indique la directrice générale de Mastercard France.

Mastercard accompagne le développement des néobanques

Les start-ups mettent-elles vraiment en concurrence les deux réseaux de paiement ? Ou alors se tournent-elles naturellement vers Mastercard de part sa présence dans l'écosystème Fintech ? Non, répond Eric Lassus, directeur général de Treezor : « Mastercard n’était pas une évidence, nous nous sommes posés la question ». Créé en 2014, Treezor est un établissement de paiement qui fournit aux néobanques des cartes et des services associés en marque blanche. Il sert donc d’intermédiaire entre Mastercard et certaines jeunes pousses, dont Lydia et Qonto. En d’autres termes, c’est parce que Treezor est client de Mastercard que ces néobanques commercialisent des cartes Mastercard.

Pour le CEO de Treezor, c’est l’attitude « très proactive » et « très à l’écoute » de la société américaine qui a fait pencher la balance en sa faveur. Et ce dans un contexte où Visa ne s’intéressait pas encore aux nouveaux acteurs du paiement. Mastercard propose d'accompagner directement les fintechs dans leur stratégie de développement. Par exemple, via ses équipes réparties dans la plupart des pays, Mastercard peut les aider à déployer leur offre à l’étranger. Ce fut notamment le cas pour la néobanque britannique Revolut et l’Allemande N26 qui se sont notamment appuyées sur Mastercard France pour s’installer dans l’Hexagone selon Solveig Honoré Hatton.

Une offre complémentaire à celle des fintechs

Mastercard semble aussi convaincre les start-ups grâce à ses investissements massifs en recherche et développement. Autrefois, seulement émetteur de cartes bancaires, la société se revendique désormais comme une « vraie société technologique d’innovations dans les paiements », insiste Solveig Honoré Hatton. Une évolution qui ne laisse pas les start-ups indifférentes. Selon Eric Lassus de Treezor, « au moins 2 ans avant Visa, Mastercard a pris le tournant du numérique et a compris que le métier du paiement était en mutation ».

« Au moins deux ans avant Visa, Mastercard a pris le tournant du numérique »

Résultat, Mastercard est plus aguerri au fonctionnement open banking, aux API, et lance fréquemment de nouveaux produits liés au paiement (portefeuille électronique, service de cryptage…). La société propose par exemple aux néobanques sa propre offre de processing, ces serveurs qui autorisent une transaction en discutant avec le service monétique d’un commerçant et le système bancaire de la banque du client.

Pour Eric Lassus, « Mastercard rêverait de proposer aux start-ups des packages de services en API ». Un choix stratégique qui interroge car, en développant ainsi son offre, Mastercard risque de devenir concurrent de certaines fintechs clientes. Interrogé sur ce point, Mastercard préfère souligner la complémentarité des offres. Selon Solveig Honoré Hatton, « les fintechs sont très fortes dans l’expérience client, dans le fait de dénicher un besoin que le marché ne satisfait pas encore. Les technologies et l’expertise que nous apportons sont, elles, des facilitateurs qui vont permettre aux fintechs de réaliser leurs projets ». Par exemple, « notre plateforme de tokenisation permet à n’importe quelle entreprise financière de proposer le paiement mobile en toute sécurité. Treezor, qui l’a implémentée, peut du coup proposer à l’ensemble des fintechs, avec qui elle travaille, le paiement mobile », argumente la directrice générale du réseau en France.

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Visa adopte une stratégie différente

Dans ces conditions, Visa peut-il revenir dans la course ? Et le souhaite-t-il vraiment ? Contacté, Visa n’a pas pu donner suite à nos sollicitations. Mais le match n’est pas terminé. Visa vient en effet de contractualiser avec deux nouveaux acteurs de la banque. Pas des moindres : Orange Bank et la licorne britannique Revolut.

Lancée en novembre 2017, la banque mobile d’Orange envoie ainsi à ses clients des cartes Visa. Un partenariat qui découle du rachat par Orange de Groupama Banque, qui commercialisait déjà des cartes Visa. Du côté de Revolut, le choix paraît délibéré. La néobanque, qui passait autrefois par un intermédiaire, a récemment pris son indépendance monétique et fournit désormais à ses clients une Visa ou une Mastercard. Interrogé sur ce basculement, le porte-parole en France de Revolut nous a expliqué qu’il s’est fait dans l’intérêt de ses clients qui pourront à terme choisir l’émetteur de cartes qu’ils préfèrent. « Pour le moment, nous ne donnons pas encore le choix aux utilisateurs mais cela devrait venir dans le futur », précise en effet Emmanuel Boulade, responsable communication en France de la néobanque britannique.

« Visa a loupé le coche et essaie désormais de se rattraper »

Treezor également ne s’interdit pas de contractualiser avec Visa. « Notre système est agnostique et au service de nos clients. Nous pouvons travailler avec Visa. Si nos clients nous imposaient un schéma Visa, nous pourrions le faire », explique Eric Lassus. Ce dernier souligne par ailleurs que « Visa a bien conscience qu’il avait loupé le coche et essaie désormais de se rattraper. La société met vraiment le paquet... » Autre hypothèse, son attentisme serait délibéré. Et, plutôt que de contractualiser avec toutes les fintechs, Visa viserait celles amenées à se développer rapidement ou celles qui atteignent une taille importante… à l’image de Revolut dont la valorisation est estimée à quelque 1,7 milliard de dollars.