Comme toutes les entreprises, Boursorama Banque a basculé dans une situation inédite depuis le début du confinement. Comment la banque en ligne s’est-elle adaptée ? Comment ont réagi ses clients ? Son modèle sans agences est-il plus résilient dans ce contexte ? Les réponses de Benoît Grisoni.

Benoît Grisoni, CEO de Boursorama, en avril 2020

Benoît Grisoni est CEO de Boursorama

Benoît Grisoni, que s’est-il passé chez Boursorama le 12 mars dernier, dans les heures et les jours qui ont suivi l’annonce du confinement ?

Benoît Grisoni : « La priorité a été de protéger nos collaborateurs en leur permettant de travailler à distance. La grève des transports, en décembre dernier, nous avait déjà permis de faire des tests dans certaines équipes, mais pour le reste, il y avait peu de télétravail chez Boursorama. Nous avons donc dû nous adapter rapidement : en une journée, le nombre de postes de travail à distance est passé d’un centaine à 700, ce qui permet à 90% de nos collaborateurs de rester chez eux. Pour les 80 collaborateurs environ, principalement au sein du service clients téléphonique, qui continuent à venir tous les jours sur le site, nous avons pris une série de mesures, en leur proposant des solutions alternatives aux transports en commun, un accès à du gel hydroalcoolique, une distance de 3 mètres entre les postes de travail, des repas pris individuellement, etc. »

Le confinement a-t-il un impact sur la continuité de vos services ?

Benoît Grisoni : « Nous avons, par définition, l’habitude de la distance, et tous nos produits restent ouverts à la souscription, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour 100% des banques. Nous avons seulement dû faire quelques ajustements, notamment pour se passer de papier sur les quelques parcours où il était encore présent : l’envoi de l’identifiant d’un nouveau client, par exemple, se fait maintenant par courriel, et plus par courrier postal. »

On imagine néanmoins que l’activité n’est pas la même qu’à l’accoutumée…

Benoît Grisoni : « Effectivement, l’activité a globalement baissé, nous avons moins de contacts avec les clients. Cela touche surtout les paiements, et c’est évidemment lié à la baisse de la consommation. Il y a une chute notable du nombre de transactions, même si les achats en vente à distance progressent. En revanche, il y a une très forte hausse du panier moyen : nos clients payent moins souvent mais des montants plus élevés. »

Avez-vous constaté comme d’autres une forte activité sur les produits boursiers ?

« Une activité hors normes sur la bourse »

Benoît Grisoni : « Oui, l’intérêt croissant de nos clients pour la bourse était déjà sensible avant la crise du coronavirus mais, au mois de mars, on peut vraiment parler d’activité hors normes. Par rapport à nos moyennes mensuelles 2019, nous avons doublé le nombre de visites sur notre portail financier, quadruplé le nombre d’ordres passés et quintuplé les ouvertures de compte bourse. On voit bien que certains, qui hésitaient à se lancer en bourse, ont franchi le pas en espérant profiter du rebond. Plus généralement, nos clients se posent beaucoup de questions sur l’épargne financière, l’assurance vie… Nos webinaires [séminaires en ligne, NDLR] sur le sujet ont eu 10 fois plus de succès que d’habitude. »

Qu’en est-il de vos autres activités ?

Benoît Grisoni : « Si on la compare à l’année dernière à la même époque, la collecte sur les comptes à vue et les livrets, en particulier les Livrets A et les LDDS, est en forte hausse. Il y a logiquement un réflexe mécanique de protection, d’attente, d’anxiété sans doute. L’assurance vie résiste plutôt bien : si la collecte a baissé, elle reste positive. On constate pas mal d’arbitrages : certains profitent du confinement pour faire du réaménagement de placements. Sur les crédits conso et immo, les volumes sont évidemment en forte baisse, mais pas inexistants. Nos parcours de souscription restent ouverts, et certains profitent du moment pour racheter un crédit à la concurrence ou pour finaliser un projet entamé avant la crise. »

Constatez-vous déjà un impact sur les ouvertures de comptes courants ?

Benoît Grisoni : « Pas encore sur les chiffres du 1er trimestre, qui sont en ligne avec ceux, record, du 4e trimestre 2019. Ce sera peut-être différent au 2e trimestre, difficile de savoir si les gens auront la tête à ouvrir un compte courant ou à changer de banque. Mais je pense qu’on va très bien résister étant donné ce que nous constatons depuis le début de la crise. »

Pensez-vous que votre modèle, 100% à distance et centré sur les particuliers, marque des points dans le contexte actuel ?

« Une trentaine de produits 100% en digital »

Benoît Grisoni : « Ce qui est probable, c’est qu’il est plus adapté par nature à ce type de crise car conçu pour pouvoir tout faire depuis chez soi. Cela met en évidence notre capacité à proposer une offre complète - une trentaine de produits disponibles, un millier de fonctionnalités - 100% en digital. »

Boursorama est engagée depuis 4 ans dans une croissance ultra-rapide, avec un nombre de clients qui croît de 30% par an. La crise actuelle risque-t-elle de la perturber ?

Benoît Grisoni : « C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre aujourd’hui. Tout dépendra de la durée et de l’intensité de cette crise. De la manière aussi dont elle modifiera le contexte concurrentiel. Il y a eu ces dernières années une très forte augmentation du nombre d’acteurs sur le marché de la banque digitale. Certains ont atteint une taille critique et sont soutenus par des actionnaires solides. Que se passera-t-il pour les autres ? »

La crise actuelle peut-elle vous contraindre à viser la rentabilité plus rapidement ?

Benoît Grisoni : « C’est évidemment un sujet important autour duquel il y a, je trouve, beaucoup de confusion. La vraie question est la suivante : cette non-rentabilité est-elle la conséquence d’un problème structurel, ou de la mise en œuvre d’une stratégie ? Nous avons toujours été très transparents. Boursorama a été profitable, de manière continue, de 2003 à 2015. Depuis 2016, nous avons opté, à la différence de nos concurrents, pour une stratégie de croissance rapide. Elle a entraîné des pertes, à hauteur de 115 millions d’euros pour la France. C’est beaucoup d’argent, mais il faut regarder l’équation dans son ensemble. En face, il y a du tangible : 1,4 million de clients en plus, et 17 milliards d’euros d’encours supplémentaires. »

Vous espérez atteindre le cap des 3 millions de clients en 2021 ? Et que se passera-t-il ensuite ?

« Notre modèle n'est pas universel »

Benoît Grisoni : « Ce sera à notre actionnaire [la Société Générale, NDLR] d’en décider. Notre modèle n’est pas universel, nous n’avons pas vocation à servir tous les Français, dont beaucoup restent attachés à leurs conseillers. Il est donc certain que nous n’allons pas continuer à ce rythme pendant 20 ans. Ceci étant, notre base de clientèle potentielle va continuer à s’élargir, car les tendances de fond qui portent notre succès - l’attrait pour le digital, la volonté de payer le juste prix - ne vont pas disparaître du jour au lendemain, bien au contraire. »

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