Si la Banque de France ne note pas de hausse des personnes en difficulté financière, de nombreux signaux montrent que certains ménages français peinent de plus en plus à payer leurs factures, qu'il s'agisse d'énergie, de logement ou même d'assurance.

Se dirige t-on enfin vers la fin de la hausse des prix ? Selon François Villeroy de Galhau, « nous avons en France passé le pic d'inflation ». Néanmoins, le gouverneur de la Banque de France estime qu'il ne s'agira « pas d'un pic, mais plutôt d'un haut plateau sur lequel nous devrons rester suffisamment longtemps ».

De fait, après avoir reflué à 4,3% sur un an en juillet, l'indice des prix à la consommation est repartie à la hausse en août (4,8%), selon l'Insee. Une mauvaise nouvelle, donc, pour de nombreux ménages qui font face à une baisse de leur pouvoir d'achat depuis de longs mois.

Dans le rapport annuel 2022 de son observatoire de l'inclusion bancaire, publié en juin, la Banque de France estimait à 4,1 millions, le nombre de clients « fragiles » au 31 décembre 2022, un chiffre stable par rapport à 2021.

Les différentes banques contactées par MoneyVox confirment cette tendance. Si LCL constate « une très légère hausse de l'usage des découverts autorisés depuis un an, le recours aux découverts non autorisés est stable sur la période ».

D'après notre sondage, réalisée en partenariat avec YouGov, plus d'un Français sur 3 est à découvert ou l'a été au cours des 12 derniers mois. Et le montant moyen de ces découverts a tendance à augmenter.

De son côté, le Crédit Coopératif assure que l'usage des découverts est en hausse depuis un an, mais que le nombre de cas de fragilité financière n'augmente pas, au contraire : « Nous avions 7 600 clients détectés en situation de fragilité financière à fin mai 2023, contre 8640 il y a un an », assure l'enseigne.

Une hausse des dossiers de surendettement

Mais les tous derniers chiffres semblent dessiner une hausse des difficultés. Le dernier baromètre mensuel de l'inclusion financière, publié mi-août par la Banque de France, montre que le nombre de dossiers de surendettement déposés est en hausse de 11% sur un an (10 075 en juillet 2023 contre 9 087 en juillet 2022).

En cumulé, à fin juillet, 71 628 dossiers ont été déposés depuis le début de l'année, contre 67 712 à la même période un an plus tôt. Le nombre de personnes nouvellement inscrites au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), qui recense les personnes qui ont rencontré des difficultés dans le remboursement d'un crédit ou en situation de surendettement, dépasse les 500 000 à la fin juillet, en hausse de 15% par rapport à juillet 2022.

De nombreux organismes font également état de difficultés croissantes des Français à payer leurs factures. La Banque de France note elle-même, dans son rapport, que « les associations membres de l'observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) témoignent de situations d'exclusion et de privation. Si celles-ci ne se traduisent pas par des difficultés bancaires significativement plus fortes, cela peut tenir à des arbitrages difficiles dans la consommation des ménages eux-mêmes. » En clair : alors que les prix sont toujours au plus haut, ces ménages se serrent la ceinture.

Mais il arrive tout de même que la couture craque. Télécoms, assurance, énergie... Les difficultés s'accumulent. Le médiateur de l'assurance explique, par exemple, rencontrer « une très forte hausse du nombre de dossiers à traiter (+80% au 1er semestre 2023 comparé au même semestre de 2022). »

Si cette hausse vient avant tout des difficultés des assureurs à gérer en deux mois une réclamation, comme demandé depuis le 1er janvier par l'ACPR, le gendarme du secteur, « il y a aussi des difficultés de pouvoir d'achat. Les hausses des réclamations se portent d'abord sur l'assurance auto, habitation, les assurances de téléphone portable », explique le médiateur.

Selon ce dernier, l'augmentation des litiges concernant la facturation peut également venir du fait que les gens sont plus regardant sur le coût de leur contrat dans une période comme celle-ci.

Assurance, télécoms, énergie... tous les domaines sont concernés

Et le phénomène a de quoi inquiéter, puisqu'il peut mettre les usagers en danger. En octobre 2022, 11% des Français se disaient prêts, selon une étude de l'assureur Leocare, à ne plus s'assurer pour faire des économies.

De son côté, le Fonds de Garanties des Assurances Obligatoires de dommages (FGAO) observe aussi sur les cinq dernières années une progression de 44% de la part de conducteurs non-assurés impliqués dans des accidents corporels.

Sans parler de défaut de paiement, le médiateur des communications électroniques note également une légère hausse des litiges liés à la facturation au cours de l'année écoulée (28% en 2022, contre 25% en 2021).

De son côté, le médiateur de l'énergie expliquait au printemps que malgré le bouclier tarifaire et les chèques énergie complémentaires, le nombre d'interventions pour impayés a augmenté en 2022 de 10% par rapport à 2021, avec 863 000 dossiers.

Enfin, selon l'agence immobilière en ligne Imodirect, les relances pour impayés, déjà à un niveau élevé depuis le Covid, ont encore augmenté depuis le début de l'année : en Île-de-France, par exemple, 3,49% des locataires avaient en août un mois de loyer de retard, contre 3,03% en mars.

Pauline Dujardin, juriste et porte-parole de Crésus, un réseau d'associations de lutte contre le surendettement, assure constater « une hausse des dettes de charges courantes ». Si les dettes sur des factures d'énergie sont très présentes dans ces dossiers, on retrouve également des soucis de retards de loyers.

« On a de moins en moins de dossiers qui portent uniquement sur le crédit, et de plus en plus de dossiers avec des dettes de charges courantes »

« On le voit dans les dossiers de surendettement : on a de moins en moins de dossiers qui portent uniquement sur le crédit, et de plus en plus de dossiers avec des dettes de charges courantes », assure la porte-parole de Crésus, qui s'inquiète de la possibilité de voir arriver dans les prochaines semaines des gens ayant pris des crédits à la consommation pour payer leurs factures et faire face à ces charges courantes.

Quoi qu'il en soit, le phénomène ne date pas de 2023 : « En fin d'année dernière, on a eu un pic de fréquentation notamment au moment des régularisations de chauffage, en octobre-novembre. On a vu des gens arriver avec des grosses factures de gaz ou d'électricité. Ce n'est pas uniquement depuis janvier. »

Si vous êtes en difficulté, mieux vaut chercher rapidement de l'aide : « Il y a des gens qui ne déposent pas de dossiers de surendettement, alors qu'ils pourraient, ou même devraient le faire, confirme Pauline Dujardin. Les gens ont très peur de la procédure de surendettement, alors que c'est une mesure de protection. »