La période d'inflation inédite que nous vivons actuellement fragilise les budgets et creuse le montant des découverts. Au risque de multiplier des incidents de paiement très lourdement facturés par les banques françaises. N'y aurait-il pas d'autres manières, moins coûteuses, de traiter les difficultés financières ?

C'est une des conséquences concrètes de la période de forte inflation que nous subissons depuis un an et demi : le montant des découverts bancaires a tendance à se creuser. Notre sondage, réalisée en partenariat avec YouGov France, le montre : les découverts de moins de 100 euros sont plus rares en 2023 (22%) qu'en 2022 (27%). Et les « trous » de plus de 500 euros plus fréquents : 20% en 2023, contre 16% l'an dernier.

EXCLUSIF. L'inflation creuse encore le montant des découverts bancaires

Ces découverts, parfois, sont sans conséquences, ou presque. Le droit au dérapage existe, pour celles et ceux qui bénéficient d'une « autorisation de découvert », c'est-à-dire d'un feu vert accordé par leurs banques pour passer leur compte courant en position débitrice. Ce n'est pas gratuit, mais le coût de ce type de découvert est généralement supportable. « L'autorisation de découvert est intéressante pour le client, mais aussi pour la banque », estime Baudoin Choppin de Janvry, Partner Conseil en stratégie & Banque chez onepoint. « Cela permet d'éviter des incidents de paiement ponctuels, dont le traitement est chronophage pour le conseiller. »

Compte bancaire : le vrai prix d'une autorisation de découvert

Ces autorisations de découvert, toutefois, ont leurs limites, en montant - négocié en amont avec votre banque - et en durée - 30 jours consécutifs généralement. Gare à vous si vous dépassez ces limites : là, la facture du dérapage augmente très rapidement, déclenchant une avalanche de frais d'incidents de paiement : commissions d'intervention, frais de rejet, envoi de divers courriers, etc. Et ce que votre banque laisse, ou non, passer les opérations illicites. Notre sondage le montre : ces incidents ne sont pas rares. 11% des personnes qui ont subi un découvert ces derniers mois ne disposaient pas d'autorisation de découvert, et 35% en avaient une, mais l'ont dépassé.

Le coût affolant des frais de dépassement de découvert facturés par votre banque

Dans ce contexte, la pratique du découvert en France suscite des questions et des critiques. Est-il dans l'intérêt des usagers de les autoriser à dépenser plus d'argent qu'ils n'en ont, tout en ne leur laissant que 30 jours pour rétablir la situation ? Est-il normal de faire payer aussi cher les frais liés aux incidents de paiement, au risque d'accentuer encore les difficultés financières des clients ? N'y aurait-il pas d'autres solutions, plus vertueuses et moins stigmatisantes ? En une phrase, ne faudrait-il pas tirer un trait sur les découverts ? MoneyVox lance le débat.

Le découvert, « vestige d'une époque révolue »

Commençons par un peu d'histoire. La généralisation des autorisations de découvert est liée à l'essor du chèque, qui devient, à partir des années 1970, un moyen de paiement grand public. Avant cela, les dépenses des ménages se faisaient essentiellement en espèces et l'équation était simple : soit vous aviez l'argent pour payer, soit vous ne l'aviez pas. Le chèque a changé la donne. Lorsqu'un commerçant accepte un paiement par chèque, il n'est pas certain que le compte désigné soit suffisamment approvisionné. Au moment de signer son chèque, le consommateur n'est pas, non plus, toujours certain de l'état de son compte.

En clair, le chèque introduit des risques. L'autorisation de découvert, à l'origine, était donc là pour éviter la multiplication des incidents de paiement pour de simples décalages de trésorerie. « Le découvert était une nécessité technique à l'époque où le chèque était le moyen de paiement dominant et où les comptes étaient tenus à la main ou sur des ordinateurs centralisés », résume Patrice Bernard, fin observateur des innovations bancaires sur son blog C'est pas mon idée.

Evidemment, en 2023, le paysage n'est plus le même. Le moyen de paiement dominant est aujourd'hui la carte bancaire. La modernisation des terminaux de paiement et des réseaux de télécommunications permet désormais de contrôler et actualiser le solde du compte en temps réel. De plus en plus de cartes, y compris des modèles haut de gamme, sont d'ailleurs conçues de cette manière, c'est-à-dire en mode dit « online ».

Plus généralement, c'est tout l'écosystème bancaire, des systèmes informatiques des banques jusqu'aux applications installées sur nos mobiles, en passant, donc, par nos moyens de paiement, qui, de plus en plus, fonctionne en temps réel. Dans ce contexte, le découvert n'est-il pas tout simplement devenu obsolète ? « Oui, il est le vestige d'une époque révolue », confirme Patrice Bernard.

Des alternatives quasi inexistantes en France

C'est également l'avis de Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor, qui considère que le découvert est « complètement anachronique ». Mais pas seulement pour une question technologique : « En France, on vous pénalise parce que ça n'est pas bien de dépenser plus que vous n'avez sur votre compte. Cela revient à punir des gens qui n'ont pas le choix. Et on sait que cela rapporte beaucoup d'argent aux banques. » Selon une estimation d'économistes de l'Institut national de la consommation (INC) datant de 2017, les frais de découverts rapporterait 6,5 milliards d'euros par an aux banques.

Frais d'incidents : ce pactole que vous cache votre banque

De fait, aucun acteur en France n'a fait le choix de remettre en cause cette vision punitive du découvert. C'est pourtant possible. Aux Etats-Unis, où les frais liés aux dépassements de découverts ont quasiment disparu, ce sont les néobanques qui ont fait bouger les lignes. Certaines banques 100% numériques (Ally Bank, Chime, etc.) ont cessé de facturer les petits découverts et proposé des solutions privilégiant l'accompagnement, entraînant un mouvement de fond qui a fini par entraîner les grandes enseignes nationales.

Rien de tel en France, pour l'instant. Les banques en ligne de première génération (Boursorama, Fortuneo, Monabanq, etc.), qui sont toutes des filiales des grands groupes bancaires, se contentent d'alléger la facturation des découverts, sans remettre en cause le modèle. Seul Boursorama a mis en place quelque chose qui ressemble à une alternative au découvert, avec son offre Cli€, qui permet de bénéficier très facilement d'un petit prêt (jusqu'à 2 000 euros), remboursable en trois mensualités.

Difficultés financières : quelles sont les alternatives au découvert bancaire ?

Les néobanques, de leur côté, n'apportent rien de bien nouveau dans le domaine. Et pour cause : aucune ne propose de découvert.

Finalement, seule la pression des pouvoirs publics a permis, ces dernières années, d'obtenir quelques évolutions sur les découverts, avec le plafonnement de certains frais ou l'organisation de la détection précoce de la fragilité financière. « Mais cette pression est, pour l'instant, assez molle », estime Patrice Bernard, qui cite l'exemple du Royaume-Uni, « où les institutions financières ont l'obligation de prouver qu'elles agissent dans l'intérêt du client ».

Trouver des « solutions concrètes et proactives »

Comment, justement, agir dans l'intérêt d'un client qui fait face à des difficultés financières ? Des pistes existent. « Les algorithmes permettent aujourd'hui de mettre en place un suivi personnalisé des clients », estime Guillaume Alméras. Encore faut-il que les banques s'adaptent. « En Australie, Commbank, une des banques les plus innovantes du monde, permet, par exemple, à ses clients de choisir le jour de débit de leur prêt immobilier. Combien de banques françaises sont aujourd'hui capables d'adapter leurs systèmes pour faire cela ? »

« Il faut développer des systèmes d'alerte intelligents, qui permettent de prévenir le client en amont d'un risque d'incident, puis de lui accorder un délai de grâce avant de bloquer les paiements », complète Patrice Bernard. Et de lui proposer, le cas échéant, des « solutions concrètes et proactives ». Parmi les pistes : l'acompte sur salaire, le paiement fractionné, etc.

Limiter le montant des autorisations de découvert

Qu'en pensent les associations qui accompagnent les ménages en difficultés financières ? Pour Pauline Dujardin, porte-parole du réseau Cresus, « il n'y a pas de solution miracle, mais des solutions adaptées à chaque cas. Ce n'est pas la même chose si un découvert est lié à un incident ponctuel ou à un déséquilibre budgétaire pérenne. »

La juriste est, toutefois, très favorable à l'idée d'une banque proactive, qui informe ses clients, leur laisse le temps de se retourner et leur propose, le cas échéant, des solutions leur permettant d'étaler dans le temps le remboursement de la créance. D'une banque, également, qui leur rappelle que leur autorisation de découvert ne fait pas partie de leur patrimoine. « Nous sommes souvent confrontés à des usagers qui ne comprennent pas pourquoi leur banquier laisse passer des opérations à découvert puis, tout à coup, cesse de le faire », explique Pauline Dujardin.

Pour Cresus, cette prise de conscience passe, notamment, par une limitation du montant des autorisations de découvert par rapport aux revenus réguliers. « Aujourd'hui, certains usagers ont un découvert bancaire qui dépasse 50% de leurs revenus, voire atteint 100%. Ils ne peuvent pas s'en sortir », déplore Jean-Louis Kiehl, président de Cresus.

Comment votre banque fixe-t-elle le montant de votre découvert autorisé ?

(1) Etude YouGov France pour MoneyVox, réalisée sur 1 025 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Le sondage a été effectué en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France, du 06 au 07 septembre 2023.