En fin de mandat, Corinne Dromer tire le bilan de ses sept années à la tête du CCSF, où elle a dirigé les débats entre les représentants des banques, des assureurs et des associations de consommateurs, entre autres.

Corinne Dromer, Présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF)
Corinne Dromer
Présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF)
Corinne Dromer est Présidente du CCSF depuis janvier 2017. En fin de mandat, elle va rejoindre le collège de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Ce n'est pas l'instance la plus connue du grand public. Elle joue pourtant un rôle important dans la protection des consommateurs de produits et services financiers que nous sommes tous. Créé en 2004, il y a donc 20 ans cette année, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) réunit des représentants des banques et assureurs, des associations de consommateurs et des organisations syndicales et patronales, ainsi que des parlementaires et des universitaires, sous l'égide de la Banque de France. Son objectif : veiller au respect des droits des usagers, grâce à la mise en place de meilleures normes et pratiques, et d'une information plus transparente.

Présidente du CCSF depuis près de 7 ans, Corinne Dromer s'apprête à passer la main, pour rejoindre le collège de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Elle a accepté de revenir sur son rôle au sein de l'instance et sur les principaux dossiers qui ont rythmé son double mandat.

Corinne Dromer, le CCSF est peu connu du grand public, alors même qu'il agit dans l'intérêt des consommateurs. Pourriez-vous nous rappeler quelle est sa mission ?

Corinne Dromer : « Le CCSF n'est pas une autorité : son rôle n'est pas de faire la police. Il s'agit d'une instance de concertation, dont la mission est de faire évoluer la réglementation ou les pratiques dans le secteur financier, au bénéfice des clientèles, dans le dialogue avec les banquiers, les assureurs et les courtiers. Nous y décortiquons les sujets de manière très concrète pour voir comment améliorer l'information et la protection des consommateurs. »

En clair, le CCSF produit de la transparence...

« Oui, bien sûr, de la transparence, de bonnes pratiques et, éventuellement des évolutions réglementaires. Prenons l'exemple des contrats de retraite supplémentaires. Les compagnies d'assurance détenaient des milliards d'euros d'avoirs en déshérence. À la suite de notre recommandation sur le sujet, une proposition de loi a permis d'améliorer effectivement l'information des assurés sur l'existence, ou non, d'un tel contrat. »

Epargne retraite : « Certains disposent d'une retraite supplémentaire sans le savoir »

Qui est à l'initiative des sujets examinés par le CCSF ?

« Cela dépend. Nous avons toujours une lettre de mission du ministre de l'Économie. Mais nous pouvons aussi nous autosaisir. Ce fut le cas, par exemple, pour les conditions de résiliation infra-annuelle des contrats d'assurance [la possibilité de changer d'assurance sans attendre la date anniversaire du contrat, NDLR]. Nous avons fait le tour de tous les contrats existants (y compris ceux pour les chats et les chiens !) pour nous rendre compte que c'était d'une complexité terrible ! Pour simplifier cet univers, nous avons publié l'avis suivant : tous les contrats d'assurance, hors prévoyance, doivent être résiliables à tout moment au-delà de la première année, comme c'est le cas pour l'auto ou l'habitation.

Dans le cas d'une autosaisie, qui est à l'initiative ? Plutôt les représentants des consommateurs que ceux des banques et des assureurs, on imagine...

« Oui, mais cela peut aussi être un parlementaire, un universitaire, un syndicat, voire un professionnel qui considère qu'il y a matière à changer. »

« J'ai tendance à penser que les contraintes volontaires sont aussi efficaces que les contraintes subies »

Le CCSF produit des rapports, des avis et des recommandations. Quelle est la différence entre les deux derniers ?

« C'est très simple. Les avis sont des accords de place négociés en amont, qui font l'objet d'un consensus et que les professionnels s'engagent à mettre en œuvre. Il s'agit de contraintes volontaires, dont j'ai tendance à penser qu'elles sont aussi efficaces que des contraintes subies. Dans le cas des recommandations, il y a également consensus, mais les mesures à mettre en œuvre nécessitent de changer la réglementation, donc d'en passer par une loi. »

Certains travaux du CCSF sont-ils restés lettre morte, faute de consensus ?

« Oui, bien sûr. Ce n'est pas arrivé très souvent, mais c'est arrivé. »

Quel est le rôle de la présidente dans ce processus ?

« Celui d'un chef d'orchestre. Discuter avec les uns et les autres, confronter les positions, négocier, inscrire tout le monde dans une démarche positive pour créer les conditions du consensus. »

Lors de votre arrivée à la tête du CCSF, aviez-vous un agenda, une liste de sujets à traiter ?

« Je n'avais pas d'agenda, mais quelques sujets qui me tenaient à cœur. J'en citerai deux : les frais liés aux incidents bancaires et l'assurance. Mon prédécesseur (Emmanuel Constans, NDLR) avait beaucoup travaillé sur la transparence dans le domaine bancaire, il me semblait que le même travail était à faire du côté des assureurs. »

« Je continue à penser que les frais d'incidents de paiement sont trop chers »

Commençons par évoquer la tarification des banques. Depuis 2010, le CCSF pilote un observatoire sur le sujet. A-t-il atteint ses objectifs ?

« Oui, je le pense. Le rapport annuel de l'observatoire des tarifs bancaires ne se contente pas de suivre l'évolution des lignes tarifaires les plus fréquentes. Il met également en lumière des pratiques moins visibles. Dans la dernière édition, un chapitre, par exemple, est consacré à la présence croissante, dans les brochures tarifaires, de minimums forfaitaires de découvert, qui alourdissent considérablement le coût des petits découverts, même autorisés. »

Frais bancaires : les nouvelles astuces des banques pour faire payer plus cher votre découvert

Ce rapport consacre également un développement aux frais liés à la détention d'un crédit immobilier...

« Effectivement. Le nombre de lignes de frais susceptibles d'être facturées au moindre changement sur un crédit immobilier est assez incroyable. En les mettant en évidence, l'observatoire est dans son rôle. »

Crédit immobilier : ces frais cachés qui font grimper le coût de votre prêt

Pensez-vous, plus généralement, que les banques de détail ont la main trop lourde sur les frais bancaires ?

« Je vais être très claire : non, les tarifs bancaires pratiqués en France sont globalement bas. Aujourd'hui, vous pouvez ouvrir un compte, faire des paiements, accéder à des produits d'épargne à moindre coût. Si problème il y a, c'est plutôt dans le traitement des clients ayant des revenus modestes - trop élevés pour être “clients fragiles”, mais pas assez pour avoir des conditions favorables de découverts, de prêts... - et qui subissent des frais de rejet. »

Il y a tout de même eu des progrès dans le suivi des personnes en situation de fragilité financière...

« C'est vrai. Pour elles, les frais d'incidents ont baissé très fortement. Et il faut s'en féliciter ! Le sujet est plutôt du côté des critères qui permettent d'être considérés comme “fragiles“. Certaines banques ont fixé des seuils de flux créditeurs mensuels très bas (1 500 euros, Smic net, seuil de pauvreté, etc.). Quid des personnes se situant juste au-dessus ? Elles sont exposées à des frais d'incidents dont je continue à penser qu'ils sont trop chers. 20 euros pour un rejet de prélèvement ou 15 euros pour un envoi de lettres sur la situation du compte, c'est énorme ! »

« Je suis très favorable à ce que le CCSF travaille sur un socle minimum de garanties de l'emprunteur »

Quel a été le rôle du CCSF dans la genèse de la loi Lemoine, qui a permis d'ouvrir à la concurrence le marché de l'assurance emprunteur ?

« C'est un sujet sur lequel nous avons travaillé, je pense, tous les ans. Concernant la résiliation infra-annuelle, il fallait le faire et je me réjouis que ce soit fait. J'étais très favorable, également, à la disparition du questionnaire médical pour les crédits inférieurs à 200 000 euros, afin de faciliter l'accès au crédit de personnes qui en sont exclus pour des questions de santé. Toutefois, il y a encore beaucoup à faire. Par exemple sur l'équivalence des niveaux de garanties et d'indemnisation : je suis très favorable à ce que le CCSF travaille sur un socle minimum de garanties de l'emprunteur, pour éviter que les cas d'exclusions se multiplient. Un refus d'indemnisation, c'est toujours une catastrophe pour l'emprunteur immobilier qui se retrouve avec une montagne de dettes. Or, le CCSF doit favoriser la concurrence entre les acteurs en prenant le point de vue de l'emprunteur - une qualité des garanties alliée à des tarifs favorables - pas celui de l'assureur qui voit surtout l'évolution de ses parts de marché. »

Pourquoi le CCSF ne s'est pas saisi du sujet de l'assurance emprunteur des crédits à la consommation ?

« A titre personnel, je considère qu'en matière de crédit à la consommation, les taux d'intérêt reflètent déjà le risque de défaut et qu'y ajouter le coût d'une assurance n'est pas une bonne opération pour l'emprunteur. Se pose, par ailleurs, la question de la lisibilité de l'information fournie aux emprunteurs au moment de la souscription. C'est effectivement un sujet pour le CCSF. »

Crédit conso : comment les banques vous mettent la pression pour prendre l'assurance emprunteur

Le CCSF a une nouvelle mission : celle d'observer les performances et les frais de certains produits d'épargne (assurance vie, PER, PEA, compte-titres, etc.). Comment cela va-t-il se concrétiser ?

« Par la création d'une nouvelle instance, « l'Observatoire des produits d'épargne financière », composé à parité de représentants des professionnels du secteur et des consommateurs-épargnants. Il publiera un rapport chaque année. Cela va se mettre en place dans le courant de l'année 2024. »

« Les usagers doivent adopter une démarche active vis-à-vis de leurs fournisseurs de produits financiers »

Les acteurs du secteur financier ont-ils, en général, un problème avec la transparence ?

« Je vais vous le dire franchement : la transparence est un combat ! En matière d'épargne, certains tableaux de frais, par exemple, sont incompréhensibles pour les non-professionnels, alors qu'ils sont conformes à la réglementation européenne. Même chose pour certaines clauses dans les contrats d'assurance : nous demandons juste qu'elles soient lisibles et claires pour le consommateur. »

Le consommateur, justement, a-t-il aussi un rôle à jouer ?

« Bien sûr, on ne peut qu'encourager les usagers à adopter une démarche active vis-à-vis de leurs fournisseurs de produits financiers. Il faut lire, s'intéresser, essayer de comprendre, et ne pas se contenter de signer au bas du contrat. Personne ne peut le faire à leur place. »