Elles traînent dans les poches, les tiroirs et agacent plus d'un consommateur. Certains pays de la zone euro ont même décidé de s'en passer. La France est-elle prête à se séparer des pièces de 1 et 2 centimes d'euro ?

C’est l’une des pistes formulées l’été dernier dans le rapport du Comité action publique 2022, réalisé par un collège de 34 experts à la demande du gouvernement. Parmi les 22 propositions représentant potentiellement « une trentaine de milliards d’euros » d’économies pour l’Etat d’ici 2022, la numéro 16 vise notamment à « aller vers une société zéro cash pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale ». L’idée étant de réduire la circulation d’espèces avant son extinction complète. « On pourrait commencer à court terme par mettre fin à la circulation des pièces de 1 et 2 centimes », suggère le rapport.

Un quart des Français stockent les pièces rouges chez eux

Selon la Banque de France, ces petites pièces rouges sont celles qui sont le plus régulièrement mises en circulation. Et pour cause, une « part importante est en effet perdue ou stockée ». Une analyse confirmée par une étude (1) de la Banque centrale européenne (BCE) qui s’est intéressée à l’utilisation des pièces de 1 et 2 centimes par 23 544 citoyens de la zone euro. Résultat, 37% ont déclaré qu’ils n’utilisent pas ces pièces (23% en France) : la plupart d’entre eux les mettent directement dans un pot ou une boîte à la maison. Certains ont des méthodes encore plus radicales. Par exemple, 26% des Chypriotes interrogés n’acceptent pas que les vendeurs leur donnent des pièces de 1 ou 2 centimes d’euro, voire ils s’en débarrassent immédiatement. En France, ce pourcentage n'est que de 2%. Au final, 73% des Français - mais seulement 42% en Autriche et même 20% en Finlande - disent les utiliser pour des paiements comme toute autre pièce.

Dans ce contexte, une majorité de citoyens de la zone euro sont favorables à la suppression de ces pièces. En France, selon la dernière enquête de la BCE à ce sujet, réalisée en octobre 2017, 58% des 1 008 personnes interrogées sont pour.

« Des exigences de production élevées des pièces de 1 et 2 centimes d’euro rapportées à leur utilisation active limitée dans la circulation ont entraîné l’introduction de règles d’arrondi dans certains pays de la zone euro », rappelle la BCE. En Irlande, aux Pays-Bas, en Belgique, les détaillants sont libres de décider s’ils souhaitent arrondir les paiements en espèces aux 5 centimes les plus proches. De son côté, la Monnaie italienne a cessé de produire des pièces de 1 et 2 centimes d’euro en janvier 2018. En effet, ce sont les banques centrales nationales qui sont chargées de l'émission des pièces.

La question de la suppression est légitime selon Bercy

Et cela revient cher. En 2013, la Commission européenne avait estimé que depuis 2002, la frappe des pièces de 1 et 2 centimes avait coûté 1,4 milliards d’euros à la zone euro, le tout net de la valeur créée.

Dans ce contexte, la France va-t-elle mettre fin à l’utilisation des pièces de 1 et 2 centimes ? Contactée par MoneyVox, la Banque de France renvoie la balle à Bercy. Sollicité, le cabinet de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, explique que le gouvernement réfléchit à lancer une telle réforme. Mais pas question de se précipiter. « Si la question d’une suppression de cette frappe est légitime compte tenu de l’évolution des usages et du coût associé, il est nécessaire de soupeser soigneusement les avantages et inconvénients d’une telle proposition et d’agir de manière coordonnée avec nos partenaires européens », explique Bercy.

En 2013, la Commission européenne appelait déjà à la prudence les Etats qui voulaient se séparer des pièces de 1 et 2 centimes : « Si les considérations économiques liées à l’émission de pièces de 1 et 2 centimes d’euro plaident en faveur de l’arrêt de l’émission, les éléments de coût doivent être mis en balance avec d’autres considérations, notamment la réaction négative du grand public que les règles d’arrondi pourraient déclencher. »

Un risque de hausse des prix ?

« Ces pièces coûtent plus cher à produire que leur valeur faciale : 1,2 centime pour une pièce de 1 cent. Elles traînent dans nos poches, tiroirs, etc, et peuvent effectivement agacer certains consommateurs qui ne parviennent pas à les écluser… », reconnaît le président de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, dans un billet publié en juillet 2018 après la publication du rapport CAP 22. « Il n’en reste pas moins que leur disparition aurait un effet inflationniste… En effet, il est à craindre, au vu des expériences passées (passage à l’euro ; baisse de TVA dans la restauration) ou étrangères que les commerçants arrondissent les prix à l’unité supérieure… Sous couvert de faire économiser le contribuable, on fait trinquer les consommateurs… », tonne Alain Bazot.

La Commission européenne répond dans une récente étude (2) « que la pratique d'arrondir les paiements en espèces n'a pas eu d'incidence mesurable sur l'inflation des prix à la consommation » en Finlande, aux Pays-Bas ou en Irlande. L'institution de Francfort estime même que la fin des pièces de 1 et 2 centimes pourrait permettre aux commerçants de baisser leurs prix en réduisant les coûts de traitement des espèces. Mais une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (3) rappelle que l’effet d’arrondi lors du passage à l’euro en 2002 a été nettement haussier pour les produits fréquemment achetés (+ 0,3 point sur le pain et la pâtisserie, + 1,5 point pour la consommation dans les cafés par exemple), mais légèrement baissier pour les gros appareils électroménagers. Même si, au final, la conversion en euros des prix en francs a entraîné une hausse des prix modérée de l’ordre de + 0,1% à + 0,2%, il ne faut pas sous-estimer l'impact psychologique de ces changements, surtout dans un contexte social tourmenté.

Pour preuve, bien que la hausse du pouvoir d'achat enregistrée cette année - 850 euros en moyenne de plus par ménage - est la plus élevée depuis 2007, la question de sa perception est extrêmement délicate, comme l'illustre la colère des Gilets jaunes. Pas sûr que l'exécutif s'engage tout de suite à lancer une réforme qui ne manquera pas de faire polémique.

(1) Insee Focus 87, « Une inflation modérée depuis le passage à l’euro », paru le 24/05/2017

(2) « Rapport de la Commission européenne au Parlement et au Conseil sur l'évolution récente des pièces en euros », publié le 27/11/2018.

(3) Bulletin économique de la BCE, numéro 6 / 2018 – « Tendances et évolutions de l’utilisation des espèces en euros au cours des dix dernières années »