Les banques viennent encore une fois de dévoiler des profits records, ou presque. Mais comment font-elles pour réaliser de telles performances dans un climat économique bousculé par l'inflation et les craintes de récession ? Et quelles seront les conséquences pour leurs clients ?

Des résultats canons. Malgré un contexte incertain dominé par l'inflation et les craintes de récession, les banques françaises viennent de dévoiler des profits aussi bons, voire meilleurs, qu'en 2021, qui était déjà une année record.

Tout semble au beau fixe, à l'image de la première banque européenne BNP Paribas, qui dépasse pour la première fois de son histoire la barre des 10 milliards d'euros de bénéfice net sur une année, en hausse de 7,5% sur un an. Les revenus de tous ses pôles d'activité sont au zénith : en hausse de 15,7% pour la partie dédiée aux entreprises et aux grandes institutions, de 9,3% pour les banques commerciales et les métiers spécialisés ou encore de 3% pour les métiers d'investissement et d'épargne.

Des revenus record dans la banque de détail

Autre illustration avec Crédit Agricole SA, l'entité cotée du groupe mutualiste qui exclut les caisses régionales. Elle a encaissé plus de 5 milliards d'euros de bénéfice, sa deuxième performance historique. Idem avec les 4 milliards d'euros récoltés par BPCE, tout proche du record de 2021, ou encore les 3,5 milliards d'euros amassés par le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, entité qui rassemble 14 des 18 fédérations régionales du groupe Crédit Mutuel.

Une performance portée notamment par les réseaux de banque de détail du Crédit Mutuel et de CIC, dont les revenus ont atteint « pour la première fois 8,5 milliards d'euros (+6,6%) », selon Daniel Baal, le directeur général de l'enseigne basée à Strasbourg. D'une part, grâce à la hausse de la marge d'intérêt liée à l'augmentation des revenus sur les crédits et, d'autre part, grâce à la forte évolution des commissions.

Et que dire de la hausse de 66% du bénéfice net en 2022 de la Banque Postale, à 1,06 milliard d'euros, grâce à l'intégration à 100% de CNP Assurances. La croissance de l'activité a été principalement tirée par le dynamisme de la banque de détail et de l'assurance en France, qui représentent 70% du chiffre d'affaires du groupe bancaire public. Les encours de crédits ont ainsi progressé de 8%, de même que ceux des crédits immobiliers, en dépit de la hausse des taux l'an dernier.

De son côté, Crédit Mutuel Arkéa qui réunit les fédérations Bretagne et Sud-Ouest et diverses filiales du groupe Crédit Mutuel, a réussi à gagner 120 000 nouveaux clients particuliers et professionnels au cours de l'année (+2,4%) et a généré une « production record » de crédits, à 20,2 milliards d'euros, en hausse de 15,2% par rapport à 2021.

Une année à deux vitesses

« 2022 a été une très bonne année pour les banques françaises. Les résultats ont été excellents au cours du premier semestre, à l'image de l'activité économique française, et dans la lignée des profits enregistrés en 2021. Les activités de banque de financement et d'investissement ont été au rendez-vous, tout comme pour la banque de détail qui a profité de l'activité économique florissante au premier semestre avec notamment l'investissement immobilier qui a soutenu l'activité de crédit. Le surplus d'épargne accumulé durant la crise Covid par les ménages a aussi été profitable aux banques », analyse Guillaume Larmaraud, associé chez Colombus consulting.

Pour autant, les banques ne sont pas immunisées contre la dégradation de la situation économique, avec la montée en flèche de l'inflation qui s'est faite sentir au quatrième trimestre marquée par une nette baisse de l'activité du crédit immobilier.

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Et pour cause. S'il y a eu plus d'1,1 million de transactions immobilières l'année passée, juste derrière le record de 2021, le marché a nettement ralenti avec la forte remontée des taux d'intérêt. Alors qu'il était possible d'emprunter à moins de 1% début 2022, le taux moyen d'un prêt immobilier est passé à plus de 2% fin 2022, pour se rapprocher des 3% à l'heure actuelle, suite aux remontées successives des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) pour enrayer l'inflation.

Une remontée des taux qui a un « effet ciseau » sur les banques françaises, explique Guillaume Larmaraud. Elles ne peuvent pas, en effet, la répercuter dans les crédits à taux fixes déjà octroyés aux particuliers et aux entreprises à des niveaux parfois très bas. Or les banques doivent se refinancer à des taux bien plus élevés aujourd'hui. « Contrairement aux autres pays où les crédits sont octroyés à taux variable, les banques françaises vont être les dernières à profiter de la hausse des taux », explique Guillaume Larmaraud.

Le coût du Livret A

Cet analyste relève un autre impact sur les résultats des banques : l'épargne réglementée qui coûte de plus en plus cher aux établissements bancaires. En effet, ils conservent environ 40% des dépôts des Livrets A, LDDS ou encore LEP, le reste étant transféré à la Caisse de Dépôts et Consignations (CDC) pour financer, notamment, le logement social.

Des liquidités qu'il faut rémunérer à un taux de plus en plus élevé. Le Livret A a ainsi vu son taux passer de 0,5% en janvier 2022 à 2% en août, et même à 3% depuis le 1er février 2023. La remontée pèse lourd sur les revenus des réseaux de BPCE, par exemple, du fait de la part de marché historiquement importante des Caisses d'Epargne, qui étaient jusqu'en 2009 les seules à distribuer le Livret A, avec La Banque Postale et le Crédit Mutuel. Avec un taux de 3%, la rémunération en année pleine des épargnants représenterait ainsi près de 2 milliards d'euros pour la banque mutualiste.

« Les banques auraient d'ailleurs pu avoir des résultats encore plus élevés cette année, mais elles ont fait le choix aussi de renforcer leurs provisions face aux risques d'impayés des entreprises avec le ralentissement de l'activité économique », note Guillaume Larmaraud. C'est le cas de BPCE, notamment, qui a ainsi provisionné 2 milliards d'euros en 2022 – dont plus d'un tiers au quatrième trimestre – au titre du risque de défaut de ses clients.

Le plan des banques pour 2023

Dans le contexte économique actuel plus incertain, toujours marqué par la guerre en Ukraine un an après, 2023 s'annonce comme une année de transition pour les banques françaises, qui vont s'attacher à maîtriser leurs coûts. BNP Paribas prévoit ainsi de supprimer 921 postes sur les 5 142 de sa filiale dédiée au crédit à la consommation « pour stimuler la croissance et la profitabilité, et garantir la pérennité de son modèle ».

Des établissements qui ne vont pas relâcher leurs efforts pour renforcer la digitalisation de leurs activités de banque de détail. « Il s'agit par exemple d'intensifier la dématérialisation des demandes de crédit conso et immobilier. Les banques cherchent à trouver le bon équilibre entre la qualité du service à apporter à leurs clients et le maintien de leur coefficient d'exploitation », poursuit Guillaume Larmaraud. Ce qui passe par la poursuite d'expérimentations, à l'image de BNP Paribas qui a testé, puis généralisé, une formule à 12 euros par mois pour s'offrir un conseiller bancaire attitré.

Et les banques vont aussi continuer à diversifier leurs sources de revenus, à l'image du leasing dans l'automobile. BNP, par exemple, a récemment présenté une offre de location avec option d'achat sur 10 ans destinée à ceux qui doivent changer de voiture pour accéder aux zones à faibles émissions (ZFE).

« Vous cherchez une voiture ? Adressez-vous à votre banque. Elle va l'acheter, vous la proposer en location longue durée et au bout de trois ans, elle conclura un contrat avec un autre client en quête d'un modèle d'occasion. Achat, commercialisation, financement ; les banques peuvent déjà tout faire. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles s'organisent pour élargir leur champ d'intervention à tous les services de mobilité, et veulent devenir incontournables », abondait récemment un article du Monde. Et de relever la présence remarquée de BNP Paribas et du Crédit Agricole au dernier Mondial de l'automobile à Paris.

Des banques qui innovent, donc, et qui cherchent de nouvelles rentrées d'argent pour maintenir leur profitabilité dans un environnement économique dégradé. Pour autant, « dans ce contexte plus incertain, les particuliers ne doivent pas s'attendre à une baisse des frais bancaires dont la hausse a déjà été limitée à 2% en 2023, malgré une inflation qui atteint aujourd'hui les 6%. « Les banques ont besoin de conserver leurs marges de manœuvre », constate Guillaume Larmaraud.

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