A la veille de l'audition très attendue d'un témoin de la défense qui a déjà étayé dans la presse la thèse d'un complot ourdi contre lui, Jérôme Kerviel, ex-trader de la Société Générale, a répété, au cours de son procès en appel, sa principale ligne de défense : « Mes supérieurs ont tout vu, tout su ».

Ce témoin, Philippe Houbé, salarié de la société de courtage Newedge (ex-Fimat), filiale de la Société Générale, a affirmé dans un entretien au journal Libération que la banque avait « chargé au maximum » le compte de Jérôme Kerviel, alourdissant la perte de 4,9 milliards d'euros qui lui est reprochée en 2008. L'ancien trader a été condamné en première instance en 2010 à cinq ans de prison dont trois ferme et à des dommages et intérêts à hauteur de cette perte record.

« Selon moi, la banque connaissait l'ampleur des engagements de Kerviel dès l'année 2007 », affirme en outre ce témoin, dont le nom n'est apparu dans le dossier qu'en cours de procès.

« Fusible »

La semaine dernière, l'ex-trader avait déclaré avoir servi de fusible à la Société Générale, qu'il accuse d'avoir masqué avec « l'affaire Kerviel » ses pertes liées à la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains). Ses supérieurs n'auraient rien ignoré de ses prises de positions spéculatives massives mais l'auraient sciemment laissé faire.

« Au sein de Fimat, tout le monde était au courant que la Société Générale avait pris des positions massives vendeuses. Et on se disait que cela venait en couverture d'autres positions devenues liquides à cause de la crise des subprimes », a appuyé Philippe Houbé dans son interview. Des documents contenant l'analyse de ce témoin avaient été transmis à la cour vendredi dernier par l'avocat de Jérôme Kerviel, Me David Koubbi.

La Société Générale a de son côté assuré mercredi dans un communiqué avoir remis à la cour une note répondant « point par point aux analyses inexactes et aux allégations » contenues dans ce témoignage. « Nous réservons à la Cour nos réponses, qui seront argumentées et détaillées », a ajouté la banque, dont les avocats avaient qualifié la semaine dernière cette thèse de « délires » et de « feuilleton policier ».

Premières auditions de témoins

Les premiers témoins, d'anciens supérieurs de Jérôme Kerviel, étaient attendus cet après-midi à l'audience. La matinée a été consacrée à l'examen des jours ayant immédiatement précédé l'éclatement de l'affaire, en janvier 2008, et Jérôme Kerviel a de nouveau été longuement interrogé par la présidente, Mireille Filippini.

« J'étais dans une spirale, totalement dans un engrenage... », a-t-il dit pour expliquer pourquoi il avait continué d'accumuler les positions à cette époque, et en démentant avoir agi pour obtenir un bonus. « Dans une salle de marchés, on est là pour faire le maximum d'argent », a-t-il rappelé, affirmant que ses supérieurs venaient le voir pour « relever les compteurs » et lui disaient : « c'est bien, tu es une bonne gagneuse ». Il avait alors « confiance en eux », mais ils ont fini par le « lâcher ». Le 18 janvier 2008, tout le monde lui est « tombé dessus... » 

« Je maintiens : mes supérieurs ont tout vu, tout su et m'ont poussé à gagner plus d'argent », a répété l'ancien trader. Au vu de leurs déclarations durant l'enquête et au premier procès, ils sont « devenus amnésiques ».