La Banque Postale fait un pas vers le remplacement du virement SEPA classique par sa version instantanée, désormais gratuite et bientôt proposée par défaut dès que c'est possible. Une première en France pour une banque à rayonnement national, qui pourrait inspirer ses concurrentes.

Laurence Felix-Makatcheff, Directrice adjointe des paiements à La Banque Postale
Laurence Felix-Makatcheff
Directrice adjointe des paiements à La Banque Postale

C'est une première pour une grande banque française à rayonnement national. Dans le courant du mois de mai, La Banque Postale va installer le virement (ou paiement) instantané comme la solution gratuite et par défaut pour les transferts d'argent de ses clients, particuliers, pros et entreprises, en remplacement du traditionnel virement SEPA.

Il s'agit d'un changement de stratégie puisque jusqu'ici, elle avait fait le choix, comme la plupart des banques de la place, de faire payer ce nouveau moyen de paiement, qui permet de virer de l'argent de compte à compte en moins de 10 secondes, contre 24 heures à 72 heures pour le « vieux » virement.

La Banque Postale, Crédit Mutuel... Où les virements instantanés sont-ils déjà gratuits ?

Nous avons demandé à Laurence Félix-Makatcheff, directrice adjointe des paiements à La Banque Postale, de nous expliquer les raisons de ce virage.

Laurence Félix-Makatcheff, La Banque Postale a-t-elle changé d'avis sur le virement instantané ?

Laurence Félix-Makatcheff : « Depuis le début, La Banque Postale croit dans le potentiel du virement instantané. Dès 2019, nous nous sommes posé la question de le proposer, par défaut, à nos clients. Mais, comme d'autres banques françaises, nous avons finalement choisi de le rendre optionnel et payant, avec l'idée que cela ne serait qu'une première étape, le temps de tester la nouvelle « usine » créée pour traiter ces opérations en temps réel. »

En quoi consiste cette 2e étape, qui débute aujourd'hui ?

Laurence Félix-Makatcheff : « Notre objectif désormais est de promouvoir le virement instantané qui sera, selon nous, le moyen de paiement de demain. C'est d'ailleurs un souhait de la Banque centrale européenne (BCE), qui demande aux banques de développer son usage. Pour y parvenir, nous n'allons plus poser la question à nos clients et leur proposer par défaut, dès que ce sera possible, le virement instantané. En faisant cela, nous avions aussi l'obligation de le rendre gratuit. »

Le virement classique va-t-il disparaître du catalogue de La Banque Postale ?

Laurence Félix-Makatcheff : « Dans l'immédiat, non. Nous allons maintenir un plafond [1 000 euros pour les particuliers et 7 700 euros pour les professionnels et les entreprises, NDLR], pour les virements réalisés en ligne ou sur l'application mobile, au-delà duquel le virement se fera de manière classique, pour des raisons, notamment, de lutte contre la fraude. Ce plafond a vocation à augmenter rapidement, probablement d'ici la fin de l'année. Les virements effectués en bureau de poste seront quant à eux disponible en instantané début 2023. Il y a également une problématique d'atteignabilité : certaines banques, aujourd'hui, n'acceptent pas encore les virements instantanés. Mais la promesse est la suivante : toutes les opérations possibles se feront en temps réel, sans que le client ait besoin de choisir. Cela va concerner plus de 90% des virements. »

Qu'est-ce qui justifie, encore aujourd'hui dans la plupart des banques, de faire payer le virement instantané ?

Laurence Félix-Makatcheff : « Pour proposer ce nouveau moyen de paiement, toutes les banques ont dû créer de nouvelles “usines”, de A à Z. Il a également fallu modifier la manière de tenir les comptes. Le virement instantané implique en effet une mise à disposition immédiate de l'argent. Tout cela a nécessité de gros investissements informatiques et nous sommes encore très loin d'être rentrés dans nos frais. C'est le maintien de deux “usines” en parallèle, une dédiée au virement traditionnel et l'autre à l'instantané qui coûte cher aujourd'hui. L'idéal, à terme, serait de passer au tout virement instantané. »

Les frais des virements instantanés

C'est le choix qui a été fait aux Pays-Bas, notamment, où le virement classique a déjà disparu...

Laurence Félix-Makatcheff : « J'aurais aimé qu'on fasse le même choix en France, mais cela n'a pas été le cas. Toutes les banques, pourtant, vont devoir s'y mettre. Je pense même que ce sera le cas rapidement, d'ici 3 ans. C'est en tout cas un des objectifs de La Banque Postale : créer un mouvement plus large sur la place bancaire française. »

Pourquoi tant de réticences en France ?

Laurence Félix-Makatcheff : « C'est sans doute une question de culture. La France est traditionnellement très tournée vers la carte bancaire et la monétique, plutôt que vers le transfert d'argent. C'est sans doute ce qui explique que le tournant du virement instantané n'ait pas été immédiatement pris, contrairement aux Pays-Bas mais aussi à la Belgique ou à l'Espagne. Pourtant, il n'y a pas de salut, je pense, hors du virement instantané. C'est le seul moyen de paiement comparable aux espèces, dans la mesure où le payé a immédiatement l'argent dans sa poche, ce qui est loin d'être le cas avec la carte bancaire. C'est pourquoi les parcours de paiement basés sur le virement instantané sont si innovants, et même révolutionnaires. »

Virement instantané : le prix facturé par votre banque est-il scandaleux ?

Le virement instantané apporte-t-il plus de sécurité pour l'usager ?

Laurence Félix-Makatcheff : « La lutte contre la fraude a été un sujet important à traiter avant de lancer le tout virement instantané. Aujourd'hui, le virement instantané est peu fraudé, beaucoup moins que la carte et le chèque, mais nous restons très vigilants sur le sujet. Il nous faut donc des moyens de lutte extrêmement performants, capables de surveiller les opérations en temps réel, quitte à créer de la friction pour le client. Ce risque, toutefois, ne doit pas être une excuse pour freiner l'innovation : il faut y aller et trouver des solutions. »