La banque est clairement une activité marchande, destinée à faire des profits. Une réalité que certains Français ont du mal à accepter : 68% d'entre eux souhaiterait qu'elle devienne un service public gratuit, selon un sondage exclusif. Dans ce nouvel épisode de notre série sur la relation bancaire et ses tensions, on pose la question : votre banquier pourrait-il devenir un fonctionnaire ?

« Pensez-vous que la banque devrait être un service public gratuit, comme l'école ou la santé ? » C’est la question posée, début juin, par notre partenaire YouGov, à 1 068 Français de 18 ans et plus, dans le cadre de notre dossier spécial sur le désamour entre les banquiers et leurs clients. Le verdict est surprenant : une large majorité des sondés (68% précisément) répondent oui.

Sondage YouGov - Moneyvox, la banque comme service public

Imaginerait-on les Français demander que les supermarchés, dans lesquels ils achètent leur alimentation, soient intégrés au service public ? Comme la grande distribution, la banque est pourtant une activité marchande, tenue par des entreprises privées conçues pour faire des profits. Pourtant, elle conserve, pour une partie de l’opinion, un statut de quasi service public, porteuse de missions d’intérêt général. Un paradoxe ?

Un service public de fait jusqu’aux années 1990

Cette perception n’est pas le fait du hasard. Il fut un temps où, en effet, les principales banques françaises étaient des entreprises publiques. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État nationalise les grandes banques de dépôts pour participer à la reconstruction de l’économie. Elles ne regagnent le secteur privé qu’à partir de 1987, quand le gouvernement de Jacques Chirac, Premier ministre de la première cohabitation, entame un cycle de privatisations qui va durer une quinzaine d’années. Dès 1987, Paribas, le Crédit commercial de France et la Société générale sortent du giron de l’État. Puis c’est le tour de la BNP en 1993, du CIC en 1998, du Crédit lyonnais en 1999…

Entre ces deux dates, la banque est entrée dans le quotidien des Français. Alors que seulement 18% d’entre eux détiennent un compte de dépôt en 1966, ils sont 86% dix ans plus tard. Cette bancarisation massive se fait dans un contexte où il n’y a peu ou pas de concurrence entre les enseignes et où l’accès au compte est quasiment gratuit. « Jusqu’aux années 1980, la banque a été, de fait, un service public et cet imaginaire persiste », explique la sociologue Jeanne Lazarus, spécialiste des banques et des pratiques de l’argent. « Le banquier conserve d’ailleurs de nombreuses similitudes avec le fonctionnaire, à commencer par ses grilles salariales qui sont calquées sur celles de la fonction publique. »

Pourquoi je ne peux plus me passer de mon banquier

Le tournant commercial des années 1990 ne change pas fondamentalement cette vision. Aux yeux des usagers, les banques restent dépositaires de missions d’intérêt général : l’accès au compte, indispensable pour percevoir son salaire, l’accès aux espèces, via les réseaux d’agences et de distributeurs automatiques…

Les liens avec la puissance publique, de plus, persistent. L’État n’hésite pas à faire pression pour corriger certains excès. Dès le début des années 1980, il met en place un droit au compte, qui lui permet d’imposer à une banque d’accueillir un client, même si son profil ne lui convient pas. Puis, au cours des années 2010, il intervient également pour demander aux banques de modérer leurs appétits tarifaires, notamment pour les frais d’incident.

Le cas particulier de La Banque Postale

En France, une banque est encore détenue sur des fonds publics : La Banque Postale, filiale à 100% de La Poste, elle-même détenue à 66% par la Caisse des dépôts et à 34% par l’État. Cette particularité lui confère une place particulière dans le paysage bancaire français. Elle assume notamment une mission d’accessibilité bancaire, en fournissant gratuitement à toute personne en faisant la demande un Livret A aux caractéristiques particulières. Il permet notamment à ses titulaires de recevoir des virements (salaires, prestations sociales), de domicilier des prélèvements et d’éditer des chèques de banque.

Lire sur le sujet : La Banque Postale : les dessous du Livret A universel

Un rôle durablement ambigu

La question des frais bancaires est un bon exemple de l’ambiguïté du rôle des banques, entre service d’intérêt général et commerce. Lorsque ces frais commencent à augmenter et à se multiplier, dans les années 1990, les consommateurs, et les associations qui les représentent, se rebiffent : est-il normal de payer de plus en plus cher pour disposer d’un compte bancaire dont la détention a été rendue quasi obligatoire par les pouvoirs publics ?

Ce sentiment d’injustice est encore présent dans l’esprit des Français et reste une source majeure de tension avec leurs banquiers. D’autant qu’ils pèsent de façon très inégalitaire sur les ménages. D’un côté, les ménages aisés y échappent en grande partie, grâce au pouvoir de négociation et de mise en concurrence dont ils disposent ; de l’autre, les ménages modestes subissent de plein fouet les frais bancaires punitifs liés aux incidents de paiement.

Pour un service public bancaire ?

Face à ce constat, des voix s’élèvent pour demander un retour à un secteur public bancaire, à destination notamment des plus fragiles. Le développement d’un « pôle public bancaire », dégagé des logiques commerciales et imperméable aux activités spéculatives, figurait par exemple dans « L’avenir en commun », le programme de la France Insoumise pour l’élection présidentielle de 2017. Un pôle chargé notamment d’assurer un accès démocratique au crédit et aux services bancaires, à travers le maintien des réseaux d’agence de proximité et de la gratuité du compte bancaire pour les usagers en dessous du seuil de pauvreté. Pour y parvenir, le parti de Jean-Luc Mélenchon proposait notamment de nationaliser les organes centraux des banques mutualistes et coopératives : le Crédit Agricole, la Banque Populaire, la Caisse d’Epargne et le Crédit Mutuel.

Cette proposition, toutefois, a rencontré peu d’échos. Aucun autre parti politique disposant d’une représentation nationale ne l’a reprise à son compte, même partiellement. Même les associations de consommateurs ne vont pas aussi loin, se contentant de demander à la puissance publique de tordre le bras des banques si nécessaire. Est-elle réaliste ? « Si on parle de l’accès aux moyens de paiement, pourquoi pas », conclut la sociologue Jeanne Lazarus. (…) « Pour le crédit et les placements, en revanche, ça semble plus compliqué. Un service public du crédit, par exemple, serait très difficile à imaginer. »