Des marchands, oui, mais pas comme les autres. Si la dimension commerciale y prend de plus en plus d'importance, le métier de conseiller bancaire conserve des particularismes qui le différencient des autres vendeurs. Nouvel épisode de notre série sur la relation bancaire et ses tensions.

Cela ne fait aucun doute : votre banquier, celui qui vous accompagne dans la gestion de vos finances et dans vos projets, est un vendeur. Plus que jamais, serait-on tenté de dire : la fonction commerciale prend une part de plus en plus importante dans la formation des chargés de clientèle particuliers.

Pour autant, ce n’est pas un commerçant comme un autre. La banque, en effet, n’est pas qu’un secteur purement marchand. Elle est aussi une institution sociale, dépositaire d’une fonction d’encadrement financier des populations. Voici quatre caractéristiques qui distinguent votre banquier de votre épicier.

Détenir un compte bancaire est un droit

Se nourrir, se loger, se laver, se soigner : autant de besoins qu’on décrit souvent comme de première nécessité. On pourrait ajouter à la liste « détenir un compte bancaire ». Etre bancarisé, en effet, est indispensable à une bonne intégration sociale : pour percevoir un salaire - le Code de travail impose le virement ou le chèque au-dessus de 1 500 euros - ou des prestations sociales, pour régler des achats au-dessus de 1 000 euros, etc. On en a eu l’illustration récemment : lorsque la pandémie de Covid a contraint les pouvoirs publics à confiner la population, les agences bancaires faisaient partie des quelques commerces autorisés à rester ouverts.

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L’accès aux services bancaires est tellement essentiel qu’il existe en France un droit au compte. Mis en place au début des années 1980, d’abord limité aux services financiers de la Poste puis étendu en 1984 à l’ensemble des enseignes bancaires, il est désormais accessible également à tout ressortissant de l’Union européenne vivant en France. Cela porte ses fruits : 99% de la population adulte dispose aujourd’hui d’un compte de dépôt.

Paradoxalement, une banque n’a pas l’obligation de vous accepter comme client. C’est même une différence avec les autres commerçants, qui ne peuvent refuser une vente sans motif légitime. Le banquier, lui, peut vous dire non, ou décider de fermer votre compte, sans avoir à se justifier. « La banque fait ce qu’elle veut, il n’y a pas de cadre sur les clôtures », confirme Jérôme Lasserre Capdeville, maître de conférences à l’Université de Strasbourg et spécialiste de droit bancaire et financier. « La convention de compte est un contrat à durée indéterminée, qui peut être rompu par chacune des parties de manière unilatérale, avec 60 jours de préavis, sans justification. » Votre banquier considère que vous êtes un mauvais client, pas assez rentable ? Il peut vous mettre à la porte.

Grâce au droit au compte, toutefois, vous ne resterez pas sur le carreau. La Banque de France a en effet le pouvoir de désigner, à votre demande, un établissement de crédit pour vous accueillir. Pas nécessairement celui de votre choix, mais une enseigne qui dispose d’une agence à proximité de votre domicile. Dans ce cas, cette dernière ne peut pas refuser : les banques n’ont donc pas toujours le loisir de choisir leurs clients. En 2020, près de 30 000 personnes ont utilisé cette procédure du droit au compte, selon l’Observatoire de l’inclusion bancaire de la Banque de France.

Le banquier peut prélever directement ses frais sur votre compte

Les autres commerçants en rêveraient sans doute. Seules les banques, pourtant, ont le pouvoir de prélever le prix de leurs services directement sur le compte de leurs clients. Le plus souvent sans notification. « C’est effectivement le seul commerçant dans ce cas », confirme Jérôme Lasserre Capdeville. Et c’est parfaitement légal, puisque prévu dans les conventions de compte, ces contrats qui encadrent les droits et devoirs de la banque et de son client.

Ce privilège du banquier n’est évidemment pas sans créer des incompréhensions, et parfois des tensions avec les clients qui ne comprennent pas toujours ce qu’on leur facture et qui ne peuvent bloquer un paiement, même s'il fait l'objet d'un litige avec leur banque. À tel point que les pouvoirs publics ont dû intervenir pour encadrer les pratiques bancaires. Depuis 2011, les relevés de compte doivent faire figurer un récapitulatif mensuel des frais. Depuis 2009, vous recevez également en début d’année un récapitulatif annuel, où tous les frais prélevés l’année précédente sont détaillés.

Les associations de consommateurs, qui critiquent de longue date ce prélèvement direct des frais bancaires, ont également obtenu la fin de ce régime d’exception, mais uniquement pour les frais d’incidents de paiement, les plus coûteux et ceux qui frappent le plus durement les clients modestes. Depuis 2016, les banques ont ainsi l’obligation de prévenir leurs clients avant de facturer certains frais, via le relevé de compte également et au moins 14 jours avant la perception effective.

Votre banquier gagne de l'argent avec votre argent

Le « ni-ni ». C’est souvent comme cela qu’on fait référence au vieux compromis trouvé entre les pouvoirs publics et les banques en 1966 : ni rémunération des dépôts des clients, ni facturation de la tenue de compte et du chéquier.

Grâce à ce choix politique, les banques peuvent disposer gratuitement de la « matière première » que constituent les dépôts apportés par les clients. Ces liquidités, en effet, sont placées et servent à refinancer les crédits qu’elles distribuent. Cette marge d’intérêt, qui permet à votre banque de gagner de l’argent avec votre argent, est même un pilier historique du modèle économique de la banque de détail en France. En contrepartie, les clients ont longtemps disposé de compte courant quasi gratuit, pour payer et être payé.

Ce compromis, ce marché gagnant-gagnant, a toutefois volé en éclats. Certes, les chèques restent gratuits, mais leur usage est en déclin, au profit de la carte bancaire qui, elle, est payante et souvent chère en France. Au cours des années 2010, les banques ont aussi généralisé la facturation de frais de tenue de compte. Pourquoi ? Pour rattraper le manque à gagner lié à la conjoncture de taux bas, voire négatifs, qui a réduit à néant leur marge d’intérêt.

Côté usagers, le déclin du « ni-ni » a logiquement été source de tensions, comme l’est en général la question des frais bancaires. Il a en effet contribué à renchérir leur budget banque, sans contrepartie visible : la plupart des Français se savent pas à quoi correspondent ces frais de tenue de compte.

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Votre banquier connaît potentiellement tout de vous

Tous les marchands cherchent à en savoir le plus possible sur vous, pour mieux cibler leurs propositions publicitaires. Mais aucun n’en sait autant que votre banquier, seul commerçant à pouvoir accéder à votre historique de compte bancaire.

Les données transactionnelles, c’est-à-dire les opérations apparaissant au crédit et au débit de vos comptes, sont en effet des données hautement personnelles, et reconnues comme telles par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Correctement analysées, elles offrent une vision extrêmement précise de votre train de vie, de vos habitudes de consommation voire de vos déplacements quotidiens. Plus généralement, elles offrent un point de vue sur votre situation financière et personnelle. Donc sur les produits et services que vous êtes susceptibles d’acheter, ou de votre capacité à rembourser un crédit.

Cette vision est évidemment utile au conseiller bancaire pour analyser vos besoins en placements. Elle lui est aussi indispensable pour remplir certaines de ses obligations. « En matière de crédit, le banquier de détail a un devoir de mise en garde contre l’endettement excessif », précise Jérôme Lasserre Capdeville. « S’il ne le fait pas, il peut être poursuivi. » Il a également l’obligation de déclarer toute transaction suspecte à Tracfin, l’organe chargé de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Cet accès a toutefois ses limites, celles de la confidentialité des données personnelles et du secret bancaire. « La banque ne peut pas les vendre sans recueillir le consentement exprès de son client », explique le spécialiste du droit bancaire.