Chez nos voisins, le temps réel est la règle. En France, en revanche, les intérêts des livrets d'épargne sont calculés tous les 15 jours et crédités en une fois, en fin d'année. Une méthode très défavorable à l'épargnant.

Un Livret A à 3%, un LEP à 5% : la rémunération des livrets réglementés reste particulièrement attractive. Avec le ralentissement de la hausse des prix (2,9% en février 2024), elle est même meilleure que jamais. Le rendement réel (corrigé de l'inflation) du Livret A est redevenu (légèrement) positif pour la première fois depuis mars 2021, celui du LEP est désormais de plus de 2%.

* inflation mensuelle hors tabac

En rouge : rendement réel du Livret A négatif par rapport à l'inflation
En vert : rendement réel du Livret A positif par rapport à l'inflation.

© MoneyVox

C'est évidemment une excellente nouvelle pour les dizaines de millions de Français — plus de 80% de la population pour le seul Livret A — qui font confiance à l'épargne réglementée pour placer leur épargne de précaution. A 3%, un Livret A ayant atteint le plafond de 22 950 euros rapporte 688,50 euros sur un an.

Il y a toutefois un bémol : il faudra attendre la fin de l'année 2024 pour en récolter les fruits. En effet, la règle pour les livrets d'épargne en général est la suivante : leurs intérêts sont calculés tous les 15 jours, le 1er et le 16 de chaque mois, et versés en une fois, en fin d'année.

Cette « règle des quinzaines », comme on l'appelle généralement, est d'ailleurs un particularisme. « La France est un des rares pays à pratiquer ce mode de calcul des intérêts », explique l'économiste Philippe Crevel, excellent connaisseur du sujet.

Le calcul au jour le jour plus favorable à l'épargnant

Hors de nos frontières, c'est une autre règle qui, en général, prévaut : les intérêts sont calculés chaque jour et versés sur le compte à la fin de chaque mois. Une méthode de calcul plus favorable à l'épargnant.

Pas forcément en termes de montant d'intérêts touchés : dans ce mode de calcul, les effets de la capitalisation mensuelle - ce que l'on appelle les intérêts composés - sont neutralisés, comme nous vous l'expliquions dans cet article sur le calcul des intérêts au jour le jour.

En revanche, le calcul au jour le jour présente deux atouts. Un, il permet de toucher chaque mois ses intérêts, et donc d'en disposer comme bon vous semble : pour les dépenser, les transférer sur un autre support, etc. Deux : il permet de limiter la perte de revenus engendrée par la règle des quinzaines lorsque vous effectuez des retraits sur votre compte épargne.

Livret A à 3% et LEP à 6% : cette astuce pour maximiser vos intérêts

Une règle bicentenaire...

D'où vient cette spécificité française dont on se passerait bien ? D'un autre particularisme tricolore : le Livret A. La règle des quinzaines, en effet, est intimement liée au vénérable compte épargne, créé il y a plus de 200 ans. « L'origine de cette règle est ancienne, elle date sans doute des débuts du Livret A », confirme Philippe Crevel. « Par souci de simplicité, à une époque où il n'y avait pas d'ordinateurs... »

D'ordinateurs, les banques en disposent désormais. Elles deviennent même, un peu plus chaque année, des entreprises technologiques, capables d'actualiser instantanément le solde de leurs clients ou de virer de l'argent d'un compte à un autre, dans le monde entier, en quelques secondes. Pourtant, à l'âge de la banque en temps réel, l'antique mode de calcul reste la norme.

Cette survivance s'explique d'abord par des obstacles d'ordre réglementaire. La règle des quinzaines pour les livrets d'épargne réglementée est inscrite dans le code monétaire et financier : les banques ne peuvent donc pas y déroger. C'est également vrai pour les comptes épargne non réglementés, ces « livrets B » spécifiques à chaque banque. Là encore, le calcul par quinzaine est inscrit dans une décision à caractère général (1), relative aux conditions de réception des fonds par les banques, datant... de mai 1969 !

... dans l'intérêt des banques

La question réglementaire, pourtant, n'explique pas à elle seule le maintien de la règle des quinzaines. Des dizaines d'exemples le montrent : la loi sait s'adapter au changement, notamment celui permis par le progrès technologique.

Le problème est ailleurs : personne en France n'appelle publiquement à une évolution du mode de calcul des intérêts des livrets. Surtout pas les banques. « Le vieux système actuel est plutôt en faveur des établissements de crédit et on comprend qu'ils ne se bousculent pas au portillon pour le faire évoluer », note Marc Tempelman, co-fondateur de l'application d'épargne Cashbee, qui poursuit : « Dans les années 2000, certaines banques [HSBC France, notamment avec son Compte Epargne Direct disparu en 2012, NDLR] ont tenté un coup marketing en proposant des comptes rémunérés au jour le jour. Cela n'avait pas eu un grand succès. Il faut dire que la différence est difficile à expliquer et qu'il faut faire porter le calcul sur de grosses sommes pour que cela fasse vraiment des différences. »

Le sujet n'est pas non plus prioritaire du côté des épargnants. « Calculer les intérêts au jour le jour ? Pourquoi pas... Cela permettrait de maximiser les intérêts perçus », annonce Jean-Yves Mano, président de CLCV, une des principales associations de consommateurs en France. Avant de nuancer : « La priorité de la CLCV aujourd'hui est plutôt de modifier la formule de calcul du taux du Livret A pour limiter sa déconnexion avec l'inflation. »

Le Livret A doit-il vraiment vous protéger de l'inflation ?