Un Livret A gratuit et utilisable comme un compte courant, pour toutes celles et ceux qui en font la demande : c’est la promesse faite par La Banque Postale, dans le cadre de la mission d’accessibilité bancaire que lui confie l’Etat. Quelles sont les implications concrètes de cette mission ? Qui en sont les bénéficiaires ? Les explications de Delphine de Chaisemartin.

Delphine de Chaisemartin, La Banque Postale

Delphine de Chaisemartin est directrice des affaires publiques et de la communication institutionnelle et financière de La Banque Postale

Delphine de Chaisemartin, dans quel cadre s’inscrit la mission d’accessibilité bancaire prise en charge par La Banque Postale ?

Delphine de Chaisemartin : « Il s’agit d’une des 4 missions de service public (1) confiées à La Poste, depuis 1990. Elle est encadrée par deux conventions passées avec l’Etat, dont une arrive à échéance fin 2020. Nous travaillons donc actuellement à son renouvellement pour la période 2021-2026. »

Comment se déroule ce renouvellement ?

Delphine de Chaisemartin : « Tout au long de l’année 2019, nous avons travaillé avec les services de l’Etat et les associations, pour définir les nouveaux contours de notre mission. Nous nous sommes interrogés sur l’évolution des besoins des populations exclues du système bancaire et la manière de les satisfaire. Le fruit de cette réflexion a été présenté début décembre au comité consultatif du secteur financier (CCSF), qui a donné un avis favorable. Le dossier doit désormais être présenté, dans les mois à venir, à la Commission européenne. Cela devrait permettre, d’ici la fin de 2020, de signer un nouveau contrat avec l’Etat. »

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Pourquoi la Commission européenne ?

Delphine de Chaisemartin : « La Banque Postale reçoit une compensation de l’Etat en échange de cette mission. Son montant est public : il est de 280 millions d’euros au titre de 2020. La Commission européenne doit s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une aide d’Etat, et donc que la compensation ne dépasse pas les coûts constatés. Ce qui n’est pas le cas, loin s’en faut : les coûts sont très largement supérieurs. »

Pourquoi La Banque Postale reste-t-elle la mieux placée pour accomplir cette mission ?

Delphine de Chaisemartin : « Ces missions de service public, portées par l’ensemble de nos collaborateurs, sont dans l’ADN de La Banque Postale et du groupe La Poste. Nous estimons que nous avons une responsabilité particulière. Pour remplir la mission d’accessibilité bancaire, il y a un impératif : disposer d’un large réseau physique de proximité. C’est ce que nous offrons, en métropole comme outre-mer, avec une forte présence dans les quartiers prioritaires, où se concentre la majorité des personnes exclues du système bancaire. »

Les spécificités du Livret A universel de La Banque Postale

Dans le cadre de sa mission de service public, La Banque Postale a l’obligation d’ouvrir gratuitement un Livret A à toute personne, physique ou morale (associations, offices HLM, syndicats de copropriétaire, etc.) qui en a fait la demande.

Pour permettre aux usagers d’utiliser leur compte comme un substitut au compte courant, le Livret A de la Banque Postale autorise :

  • les dépôts et retraits d’espèces gratuits, dès 1,50 euro, y compris aux guichets ;
  • les virements entrants, notamment de prestations sociales ou de salaires ;
  • les virements sortants vers le compte à vue du titulaire du compte, quelle que soit la banque qui tient le compte ;
  • la domiciliation des prélèvements pour les impôts, les factures d'eau, de gaz ou d'électricité et les loyers dûs aux bailleurs sociaux ;
  • les chèques de banque ;
  • la mise à disposition d’une carte de retrait utilisable dans les distributeurs de l’enseigne.

Plus d’infos sur le Livret A

Combien de personnes bénéficient du dispositif ?

Delphine de Chaisemartin : « Nous estimons leur nombre à 1,5 million environ. Un chiffre relativement stable depuis que nous le mesurons, il y a 3 ans environ. Il y a un quasi-équilibre entre ceux qui en sortent, généralement pour aller vers des offres bancaires traditionnelles, et ceux qui y entrent, en particulier des personnes nouvellement arrivées sur le territoire français. »

Quel est le profil des bénéficiaires ?

Delphine de Chaisemartin : « Ce sont, généralement, des personnes très modestes financièrement. Mais leur principal point commun, c’est leur difficulté à accéder aux offres traditionnelles, en raison d’une maîtrise insuffisante de la langue et/ou du fonctionnement des banques… Ces personnes, pour qui l'illettrisme et/ou l'illectronisme [manque de connaissances élémentaires permettant d’utiliser des outils numériques, NDLR] est un problème au quotidien, ont du mal à s’adapter à l’évolution des offres et services, qui se digitalisent de plus en plus, en parallèle d’un maillage d’agences bancaires qui tend à se réduire. Parmi les bénéficiaires du dispositif, une moitié environ ne dispose pas d’accès à Internet. Un tiers ne sait pas se servir d’un automate bancaire. Ils ont donc besoin d’un accompagnement humain, en bureau de poste, dont ils font un usage intensif : ce million et demi de clients concentre 71% des consultations de solde au bureau de poste, et près de 40% de l’ensemble des opérations bancaires réalisées au guichet. »

Comment se déroule l’entrée dans le dispositif ?

« Ce million et demi de clients concentre 71% des consultations de solde au bureau de poste »

Delphine de Chaisemartin : « Pour les personnes qui arrivent sur le territoire, cela se fait généralement par l’intermédiaire d’associations, ou de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Il existe d’ailleurs des bureaux de poste référents pour cet accueil des demandeurs d’asile, avec des plages horaires dédiées. Dans le cas des personnes sans domicile fixe, ce sont aussi souvent les associations qui permettent de faire le lien. Mais il arrive aussi que des personnes se présentent spontanément au guichet d’un bureau de poste. »

Et la sortie ?

Delphine de Chaisemartin : « Cela dépend des clients. Elle se fait en général à mesure de l’intégration de la personne. Quand elle trouve un travail par exemple, et qu’elle a besoin d’un compte standard, d’usage moins limité que le Livret A, nous lui proposons d’ouvrir un CCP [compte chèque postal, NDLR]. Pour ceux qui souffrent d’illectronisme, nous avons mis en place un plan d’inclusion numérique dans quelques centaines de bureaux. Nous leur proposons également des ateliers destinés à améliorer leur culture financière : on explique ce qu’est un virement, un prélèvement, un compte, une carte… Tout ce qui peut les aider à évoluer vers une bancarisation traditionnelle. Mais ça ne suffit pas toujours : certaines personnes, notamment en situation d’illettrisme, ne sortent pas du dispositif, car le Livret A les sécurise. »

Le Livret A, justement, est-il toujours adapté à l’accomplissement de cette mission ?

« Le Livret A est à la fois universel, non stigmatisant, facile d’utilisation, sûr et entièrement gratuit »

Delphine de Chaisemartin : « Nous le pensons, oui, et nos clients ainsi que les associations qui nous accompagnent nous le confirment. Le Livret A est à la fois universel, non stigmatisant, facile d’utilisation, sûr et entièrement gratuit. Aucun autre produit ne réunit aujourd’hui toutes ces qualités. »

Que change l’arrivée des néobanques, notamment de Nickel, qui cible également les personnes mal bancarisées ?

Delphine de Chaisemartin : « Elles ne représentent pas une concurrence pour le dispositif, et leur arrivée n’a d’ailleurs pas fait baisser le nombre de bénéficiaires. Nickel touche un public différent : des personnes autonomes qui n’ont pas besoin d’accompagnement. Seules certaines opérations sont possibles en bureau de tabac, et elles sont payantes. »

Ne serait-il pas plus logique d’utiliser un compte courant, non rémunéré, pour cette mission ?

« 51% des Livrets A de La Banque Postale ont un encours inférieur à 150 euros »

Delphine de Chaisemartin : « On pourrait effectivement choisir un autre support. Mais il faudrait faire très attention à la transition et à la stigmatisation avec une offre bancaire dédiée. Nous parlons de populations pour qui le moindre changement peut être très perturbant. Encore récemment, 2 millions de clients de La Banque Postale continuaient d’utiliser des Livrets A physiques, alors que nous n’en distribuons plus depuis des années. Est-ce que le jeu en vaudrait la chandelle ? Aujourd’hui, la réponse est non. La rémunération, par ailleurs, n’est pas vraiment un enjeu. Les bénéficiaires du dispositif ont très peu d’argent sur leur compte : 51% des Livrets A de La Banque Postale ont un encours annuel moyen inférieur à 150 euros. »

Certaines associations vous demandent pourtant de faire évoluer l’offre, notamment pour l’ouvrir à de nouveaux usages…

Delphine de Chaisemartin : « C’est vrai, et nous étudions la question. Mais encore une fois, il faut être vigilant à maintenir une offre adaptée à cette population en particulier. Nous sommes vraiment sur une offre de prébancarisation. Un client suffisamment à l’aise pour faire des achats sur internet, par exemple, n’a plus le profil. Nous entendons les demandes, mais nous restons prudents. »

(1) Les 3 autres missions sont le service postal universel, la contribution à l’aménagement du territoire et le transport et la distribution de la presse.