En 10 ans, la France a perdu plus de 3 700 agences bancaires. A deux exceptions près, tous les départements sont concernés. Certains territoires frôlent la désertification. Un phénomène complexe qui dépasse le seul critère de la présence ou non de banques, comme le montre l’étude exclusive de MoneyVox réalisée en partenariat avec le cabinet de géomarketing Infostat Marketing.

41 800 agences bancaires en 2010, 38 100 en 2020, un peu moins de 32 000 une fois retirées les agences postales où les services bancaires sont limités. D’après le pointage année après année du cabinet de géomarketing Infostat Marketing - partenaire de MoneyVox dans le cadre de ce dossier exclusif sur l’implantation des banques -, la France a perdu 9% de ses agences en 10 ans. Pour la Fédération bancaire française (FBF), ces fermetures ne remettent pas en cause « la proximité géographique [qui] reste la spécificité du modèle bancaire français », écrit le lobby des banques dans son rapport Banque & Territoires 2020.

Sollicitée par MoneyVox, la FBF ajoute qu'il est « extrêmement difficile de comparer les chiffres des années 2000 et ceux d’aujourd’hui, surtout concernant la fréquentation des agences bancaires. En effet, les banques innovent, et s’adaptent aux évolutions de la société et aux besoins de leurs clients. Aujourd’hui, 83% des Français estiment que la banque idéale doit permettre à chacun de choisir entre services digitaux et agences en fonction des besoins […] La « respiration » du réseau d’agences suit naturellement l’évolution de la société », nous explique la Fédération bancaire. Pour donner du poids à son argumentaire, elle s’appuie également sur des comparaisons européennes. Ainsi, « en France métropolitaine, on dénombre en 2019 près de 7 agences pour 100 kilomètres carrés, comme en 2009. Au sein de la zone euro, sur la même période, ce nombre baisse de 11 à 7 Allemagne, de 11 à 8 en Italie, et de 9 à 5 en Espagne », peut-on lire dans ce rapport.

Mais ces statistiques globales agacent les élus locaux confrontés à la problématique des fermetures d’agences. « La France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont des réalités géographiques bien différentes, insiste Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord. La France, c’est 35 000 communes. En Allemagne, c’est 3 fois moins. Il y a certes plus d’habitants mais sur un territoire moins étendu. Donc la population y est plus concentrée qu’en France ». Pour cet élu également vice-président de la commission des finances au Sénat, « la fermeture des agences participe à un mouvement et à un sentiment général d’abandon et de désertification de l’activité économique, exacerbé dans les territoires les plus ruraux et reculés. Je pense, dans le Nord, au Cambrésis et à l’Avesnois qui subissent les effets dévastateurs de la récession », poursuit Eric Bocquet interrogé par MoneyVox.

Un tiers de la France a perdu plus de 10% de ses agences

Quand il s’agit de tailler dans les réseaux bancaires, toute la France n’est pas logée à la même enseigne. Entre 2010 et fin 2020, 33 départements sur les 96 de France métropolitaine ont perdu entre 10% et 18% de leurs agences, d’après les données d’Infostat Marketing. Dans le détail, les fermetures d’agences sur 10 ans ont été particulièrement vives dans le Grand-Est et dans les Pays de la Loire. Dans ces zones, le départ des banques semble aller de pair avec un marasme économique, bien que la correspondance ne soit pas parfaite. Paris et la région lyonnaise s’avèrent aussi sujettes aux fermetures alors même que ces territoires font partie des pôles les plus dynamiques de France.

Ce n’est pas le cas de la Moselle et de l’Aisne. Ces deux départements, qui se sont allégés respectivement de 123 et 38 agences bancaires depuis 2010, ont en parallèle perdu entre 0,7% et 1% d’emplois par an entre 2009 et 2014, d’après les données compilées par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (1). De même, le Haut-Rhin (-72 agences en 10 ans), la Meurthe-et-Moselle (-58 agences), le Loiret (-55 agences) ou encore la Marne (-43 agences) ont vu le nombre d’emplois baisser chaque année de 0,5 à 0,7% en 5 ans. Inversement, en Corse, les deux seuls départements à gagner des agences depuis 2010, la dynamique d’emplois est positive, avec un gain net entre 0,5% et 1,9% par an.

Varation du nombre d'agences bancaires entre 2010 et 2020

Les banques suivent les entreprises

Plus précisément, les territoires désertés ont souvent en commun le fait d’être d’anciens bastions industriels, comme le montre à nouveau la cartothèque de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (2). Une corrélation qui n’étonne pas Marin Delattre, expert de la thématique banque de détail au sein du cabinet Sia Partners : « Dans le cadre des plans de maillage territorial en ruralité, nous observons des zones industrielles, très dépendantes d’une ou plusieurs usines et dont l’implantation avait attiré les banques. Or, lorsque l’usine a cessé son activité, la zone de chalandise est devenue moins attractive, et les banques ont déplacé leurs agences dans une zone commerciale plus dynamique, souvent en bordure de ville, où sont installées des entreprises du tertiaire. »

Rappelons le lien historique qu’il existe entre la banque et l’industrie. Au 19ème siècle, l’accès aux services bancaires était en effet réservé à l’élite économique et aux petits patrons de l’industrie et du commerce. La perte accrue d’agences bancaires au 21ème siècle peut aussi être vue comme la résultante d’une surreprésentation des banques au Nord et à l’Est de la France, héritage du passé industriel et du dynamisme économique. D’ailleurs, aujourd’hui, bien que confrontés plus qu’ailleurs aux fermetures d’agences bancaires, les territoires autour de Lille, de Strasbourg et de Mulhouse apparaissent encore relativement bien desservis en agences bancaires. Une densité essentiellement due à la présence des banques mutualistes, et plus particulièrement du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, né en Alsace et dont le siège social se situe à Strasbourg (voir cartographie ci-après).

Des contrastes, y compris dans les départements urbanisés

Cette stratégie globale des banques qui consiste à fermer des agences sans remettre totalement en cause leur implantation dans leur fief historique s’observe plus fortement en Ile-de-France, qui abrite les sièges des banques nationales. En 2020, l’Ile-de-France accapare ainsi 15% des agences bancaires de l’Hexagone, mais pour 19% de la population de France métropolitaine. Bien qu’en baisse de 233 sur 10 ans, Paris reste la ville et le département le mieux pourvu avec 1 235 agences. Explications : « dans les métropoles, comme Paris, Bordeaux, Rennes ou Lyon, on retrouve toutes les banques généralistes moins présentes en ruralité, comme BNP Paribas et Société Générale, mais aussi les mutualistes comme le Crédit Agricole, la Banque Populaire ou la Caisse d’Epargne, et les agences de banques privées », souligne Marin Delattre.

De plus, les métropoles sont des lieux de vie mais aussi des lieux de travail. Or, « les clients sont, certes, la plupart du temps rattachés à une banque en fonction de leur habitation mais ils peuvent aussi être affectés en fonction de l’endroit où ils travaillent », poursuit le consultant de Sia Partners. De quoi inciter les banques à s’adapter à cette demande accrue et à maintenir un maillage dense en ville. De fait, selon Marin Delattre, « on peut difficilement à l’échelle de la France parler de désertification bancaire, même si dans certaines zones rurales où les habitants voient leur agence bancaire fermée, cela peut être vécu comme telle », poursuit le consultant de Sia Partners.

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Toutefois, s'agissant de Paris, les suppressions massives d'agences ont amoindri la surreprésentation des banques dans la capitale. Rapportée au nombre d'habitants, Paris compte désormais 1 773 habitants par agence, contre quelque 1 530 habitants par agence en 2006, comme l'indiquait en 2010 Laurent Terral, chargé de recherche à l'Université Gustave Eiffel, co-auteur de Territoires bancaires et recompositions socio-économiques de la métropole.

Cela montre que la problématique de la désertification est multiple et ne se mesure pas uniquement à l’aune de la quantité d’agences implantées sur un espace donné. En effet, la présence d’une unique agence dans une zone rurale peu habitée peut certes empêcher la mise en concurrence. Mais elle peut suffire à répondre aux besoins en conseil ou en retrait d’argent des résidents. En revanche, dans les espaces a priori bien dotés en agences, l’accès à des prestations bancaires de qualité peut se complexifier quand la densité de population devient élevée. A ce jeu, les habitants de l’Ile-de-France - plus précisément de la Seine-Saint-Denis (3 807 habitants pour 1 agence), du Val-de-Marne (2 847) et du Val-d’Oise (2 809) -, du Pas-de-Calais (2 212) et du département du Nord (2 147) sont perdants. A l’inverse, dans le centre de la France, le ratio peut tomber à moins de 1 000 habitants par agence (Nièvre, Creuse, Corrèze, Cantal, Lozère, Aveyron, Alpes de Haute-Provence, Ariège).

Il faut toutefois admettre la limite de ce ratio habitants par agence. Simple à comprendre, il tient compte de l'ensemble de la population, y compris les enfants qui n'ont pas de compte bancaire. Il tend donc à surestimer la bancarisation des départements ayant une population plus âgée (comme c'est le cas en Corrèze ou dans le Cantal) par rapport aux territoires où la moyenne d'âge est plus basse (en Seine-Saint-Denis par exemple).

Densité nombre habitants agences bancaires 2020

La diagonale du vide horaire

Autre bémol : à ce niveau départemental, cet indicateur ne dit rien de la distance qui sépare un client de son agence bancaire, de la quantité de conseillers qui y travaillent ou encore de l’amplitude horaire de l’agence. Or ce sur ce point, les départements précédemment cités s’avèrent défavorisés. Leurs agences sont en moyenne moins ouvertes que dans le reste du territoire. Concrètement, alors qu’il est possible de se rendre en moyenne 30 heures par semaine dans les agences bancaires hexagonales, l’amplitude d’ouverture hebdomadaire oscille souvent entre 22 et 25 heures dans le centre de la France (Auvergne, Limousin, Aveyron). Ces moyennes ne tiennent compte que des guichets dits permanents, ouverts au moins 5 jours par semaine. Les quelques agences ouvertes peu d'heures par semaine ne sont donc pas intégrées à ces données.

Ces moyennes cachent aussi des disparités selon les groupes bancaires. La banque qui ouvre le plus longtemps ses agences est HSBC avec une moyenne de 37 heures hebdomadaires. Pour les bureaux de Poste (sans tenir compte des agences communales gérées essentiellement par les municipalités), la moyenne n'est que de 25 heures. Et le temps d’ouverture moyen cumulé peut même tomber à 20 heures par semaine voire moins. C'est le cas dans l’Aveyron (18 heures), le Cantal (20 heures) ou encore l'Ariège (20 heures), selon l'Observatoire des horaires des banques d’Infostat Marketing. Cette faible amplitude horaire s’observe plus généralement dans ce que les géographes appellent la diagonale du vide. C’est-à-dire la large bande qui va de la Meuse aux Pyrénées caractérisée par une faible densité de population. Complexe, la désertification n’est pas que géographique, elle peut être également temporelle.

Durée moyenne d'ouverture hebdomadaire des agences bancaires

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(1) 4 grands espaces français. Tendances structurantes : dynamiques macro-régionale divergentes (2) Depuis 1975, une baisse importante de l'emploi industriel en particulier dans le nord-est de la France