Vendredi dernier 11 juillet, le ministère des Finances a dévoilé des pistes d’encadrement pour les monnaies virtuelles, notamment la plus connue d’entre elles, le bitcoin. Une forme de reconnaissance pour ces « monnaies » sans cours légal et hautement volatiles, qui défraient plus souvent la chronique pour leurs dangers que leurs bienfaits. La question se pose donc : au-delà du cercle des geeks et des investisseurs avertis, le bitcoin a-t-il une utilité pour le grand public ? Nous avons posé la question à Sylvain Fagnent, consultant spécialisé notamment dans l’innovation bancaire au sein d’OCTO Technology.

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Sylvain Fagnent, le bitcoin peut-il vraiment être considéré comme une monnaie ?

« Non, le bitcoin et plus généralement les « crypto-monnaies » fonctionnent plutôt comme des portefeuilles d’actions. En terme de volatilité du cours, de risques d’investissement, elle sont beaucoup plus proches des unités de comptes que des devises classiques. Elles permettent toutefois d’effectuer des transferts d’argent et des paiements entre pairs à moindre coût, avec une simple connexion internet et sans passer par les circuits bancaires classiques. »

Quels sont les usages grand public envisageables pour le bitcoin ?

« Certains acteurs, comme Artabit en Indonésie, proposent déjà des services de transferts de fonds à l’international, en prenant à leur compte le risque de volatilité du cours. Autre secteur : le micro-paiement sur internet, pour accéder par exemple à un contenu selon le principe du paiement à l’usage. Ce type d’achat de petit montant est aujourd’hui pénalisé par le niveau des frais perçus par les intermédiaires. Le bitcoin, qui est divisible jusqu’à 10 puissance -8, peut être une bonne alternative. Les caractéristiques du bitcoin le rendent aussi particulièrement intéressant pour le e-commerce. Le risque de fraude, qui est un fléau pour ce secteur, est beaucoup plus limité qu’avec la carte bancaire, puisqu’il n’y a pas d’échange et de stockage de données bancaires et personnelles. D’ailleurs, certains sites importants, comme l’agence de voyages en ligne Expedia, commencent à accepter les paiements en bitcoins. Dans l’immédiat, il y a toutefois un obstacle de taille : l’absence d’instantanéité du paiement. Le temps de validation des transactions est très long, souvent supérieur à 10 minutes. »

Le bitcoin traîne aussi une réputation sulfureuse. Son utilisation, actuellement, est-elle risquée ?

« Il faut distinguer deux niveaux. L’infrastructure technique qui sous-tend le bitcoin, est sûre et robuste. Ce n’est pas le cas, en revanche, de la superstructure, des plateformes qui échangent et font commerce du bitcoin. Là, c’est encore le « far west », avec des risques de hacking et de manipulations de marchés. Il est donc difficile aujourd’hui, pour un usager non averti, de savoir à qui s’adresser en toute confiance. Il manque au bitcoin des acteurs reconnus, crédibles qui peuvent inspirer confiance. Mais je suis persuadé qu’à terme, des services simplifiés à destination de M. et Mme Tout-le-monde vont émerger, dans lesquels les acteurs prendront à leur charge la gestion du protocole et le risque de volatilité, et où le client ne saura même pas que le bitcoin est utilisé pour effectuer le transfert d’argent ou le paiement qu’il a demandé. »

Ces tiers de confiance peuvent-ils être les banques ?

« Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Toutes les grandes banques s’intéressent aux monnaies virtuelles, mais aucune ne s’est encore vraiment risquée à proposer quelque chose de concret sur le sujet. Elles ont pourtant une carte à jouer en tant qu’intermédiaire de confiance, c’est même une aubaine pour elles. Le bitcoin peut leur permettre de se passer de certains intermédiaires, comme MasterCard ou Visa pour les paiements, Swift pour les transactions financières, Western Union pour les transferts d’argent… Ce sont eux qui ont des craintes à avoir… En attendant, il existe aujourd’hui une multitude d’acteurs qui se positionnent sur ce marché et qui prennent de l’ampleur, à l’image de Paymium en France. »

Les banques attendent peut-être aussi que les pouvoirs publics posent un cadre pour les échanges de bitcoins…

« Les banques sans doute, mais aussi les acteurs actuels de ce marché, qui sont demandeurs. Une chose est sûre : le bitcoin existe et les investissements affluent. Le capital-risque investi dans l’écosystème bitcoin était de 88 millions de dollars en 2013. En 2014, sur un semestre, nous en sommes déjà à 113 millions d’euros. Comme pour le crowdfunding en son temps, il est donc urgent de l’encadrer. D’autres pays ont déjà commencé ce travail : le Canada, l’Allemagne - qui assimile le bitcoin à un instrument financier en unités de comptes -, certains états américains comme la Californie… »