Cinq ans après son entrée en vigueur, le mandat de mobilité bancaire issu de la loi Macron a accompagné une légère hausse des changements de banque, sans rebattre les cartes. Nouvel épisode de notre série consacrée au bilan des réformes menées par Emmanuel Macron.

En 2015, Emmanuel Macron n'est pas encore chef de l'Etat. Depuis août 2014, l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée est en revanche devenu ministre de l'Economie du gouvernement Valls II. A Bercy, il récupère un dossier déjà porté par son prédécesseur, Arnaud Montebourg : celui d'une grande loi sur la croissance et le pouvoir d'achat.

Réorientée par le futur président de la République, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques est finalement promulguée en août 2015. Parfois qualifié de fourre-tout, le texte, passé à la postérité sous le nom de « loi Macron », brasse de fait un grand nombre de mesures et empiète largement sur le périmètre d'autres ministères. Il réforme le travail de nuit et le dimanche, libéralise le transport en autocar, encadre les tarifs des professions réglementées, plafonne certaines indemnités de licenciement... Il facilite également le changement de banque principale, en créant un mandat de mobilité bancaire.

Pourquoi cette réforme ?

En France, tout le monde ou presque possède un compte bancaire. Rares, en revanche, sont ceux qui changent de banque principale. En 2012, le taux de mobilité bancaire était ainsi de 3,2%, contre 10% en moyenne en Europe, selon des chiffres publiés par UFC-Que Choisir.

C'est à peu près à cette époque que l'association de consommateurs s'empare résolument du sujet. Elle pointe un paradoxe : les Français changent peu de banque, alors même qu'ils sont relativement nombreux, autour de 20%, à en exprimer l'envie. Pour l'UFC, c'est la preuve qu'il existe en France des freins au changement de banque qui empêchent les consommateurs de mettre efficacement les marques en concurrence. C'est d'autant plus dommageable que le début des années 2010 voit l'affirmation des banques en ligne, qui cassent les prix et attirent les clients avec des cartes bancaires gratuites et des livrets d'épargne à taux boosté.

Parmi les freins identifiés, l'UFC-Que Choisir insiste sur un, en particulier : changer de banque est trop complexe, chronophage et risqué pour l'usager. Depuis 2009, les banques se sont certes engagées à instaurer un service d'aide au changement de banque, mais il est sans grands effets sur la mobilité bancaire. Dès 2012, l'association demande donc la mise en place d'une portabilité du numéro de compte bancaire, à l'image de ce qui existe depuis 2007 pour le numéro de téléphone mobile.

En 2014, cette solution reçoit un avis défavorable de la part du ministre des Finances de l'époque, Michel Sapin et de la secrétaire d'Etat à la consommation Carole Delga, qui ont commandé un rapport sur le sujet. Les deux ministre laissent toutefois la porte ouverte à un système de redirection des opérations entre comptes, solution qui existe déjà en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. En mars 2015, le CCSF (1), qui regroupe des représentants des pouvoirs publics, des banques et des usagers, finit par parvenir à un compromis, intégré par voie d'amendement à la future loi Macron.

Ce qui a changé avec la réforme

Le principal apport de la loi Macron en matière de changement de banque est la mise en place d'un « mandat de mobilité », que les établissements ont l'obligation de proposer depuis le 6 février 2017.

Concrètement, lors de l'ouverture d'un compte bancaire, l'usager a la possibilité, d'une simple signature, de donner mandat à sa nouvelle banque pour qu'elle récupère automatiquement la liste de ses opérations récurrentes : versements de salaires ou de remboursements de santé, paiements de factures ou d'abonnements, etc. Ce mandat exonère donc l'usager de la tâche fastidieuse de faire lui-même ses changements de domiciliation.

La loi encadre également le délai pour ces changements de domiciliation, qui ne doit pas excéder 22 jours au total. Au terme de la procédure, le client peut aussi demander à sa banque d'origine de clore l'ancien compte et d'en transférer le solde, à la date de son choix. Pendant 13 mois, cette dernière doit le prévenir en cas de présentation d'un virement, prélèvement ou chèque sur le compte clos.

Loi Macron : le nouveau mode d'emploi du changement de banque

Une opportunité saisie par les banques en ligne

Si toutes les banques ont l'obligation de prendre en charge les mandats de mobilité, toutes n'ont pas été promptes à en faire la publicité. Selon l'ACPR, le gendarme bancaire, la part des ouvertures de comptes avec signature d'un mandat variait, en 2020, entre 10% et 65% selon les établissements.

Certains, il faut dire, n'ont pas hésité à l'afficher comme un service à part entière, proposant même parfois des primes aux clients signant un mandat de mobilité. C'est le cas notamment de Boursorama Banque avec EasyMove, ou plus généralement des banques en ligne, qui y ont clairement vu une opportunité.

Résultat : les nouveaux flux de clientèle créés, entre autres, par la simplification du changement de banque « ont profité aux banques en ligne, au détriment des établissements historiques », constate Julien Bet, associé au sein du cabinet Bain & Company à Paris et co-auteur d'une étude annuelle sur la mobilité bancaire.

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Les objectifs ont-ils été atteints ?

C'est incontestable : le mandat de mobilité est une avancée du point de vue pratique, puisqu'il allège la corvée administrative des changements de domiciliation. Il permet également à l'usage de n'avoir qu'un seul interlocuteur, sa nouvelle banque, au moment de changer de fournisseur. « C'est une mesure de simplification, qui a le mérite d'exister, mais qui est perfectible », estime Olivier Lehoucq, associé au sein du cabinet Ailancy

Le mandat de mobilité, en effet, n'a pas levé tous les freins au changement de banque, loin de là. S'il paye des abonnements par carte bancaire, l'usager doit encore se charger d'en modifier les coordonnées. Il doit aussi récupérer ses relevés de compte avant de perdre l'accès à son ancien espace bancaire en ligne, ainsi que les coordonnées de ses bénéficiaires de virement. En clair, la prise en charge du mandat de mobilité n'est pas totale.

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Surtout, le mandat de mobilité ne concerne que les comptes de dépôt, ceux que l'on dit « courants ». Or les clients sont généralement multiéquipés dans leur banque principale. En plus d'un compte courant, ils y détiennent des comptes épargne, des placements divers, des crédits en cours de remboursement, voire des assurances. Résultat : le client qui souhaite tourner définitivement la page avec son ancienne banque doit également entreprendre le transfert de ces produits. Une entreprise qui peut s'avérer coûteuse, en temps et en argent.

La mise en œuvre concrète du mandat de mobilité, enfin, n'est pas parfaite. Confronté à un hausse sensible des contestations de la clientèle, l'ACPR (2), a réalisé en 2021 une enquête auprès de 14 établissements, dont les résultats viennent d'être publiés. Elle a constaté que l'usage du mandat de mobilité était plutôt faible : seulement 20% des ouvertures de compte, en moyenne.

Si le délai de 22 jours pour accomplir le transfert des opérations récurrentes est respecté dans 98% des cas, il n'en va pas de même pour les fermetures de compte dans l'ancienne banque : en 2020, seulement 11% ont été effectuées à la date demandée par l'usager. Pour les autres, le retard moyen est de 53 jours. Un chiffre qui s'explique, selon l'ACPR, par un défaut de communication des banques, qui n'informe pas suffisamment les clients de l'existence d'un blocage, lié à la persistance d'un découvert ou de la non-restitution des moyens de paiement. Enfin, en 2020, 9% des demandes de mobilité ont tout simplement été rejetées, parfois sans explications.

Au final, l'impact de la mobilité Macron sur la fluidité du marché de la banque de détail est difficile à mettre en évidence. Certes, le taux d'attrition, c'est-à-dire la part des clients qui changent de banque pour leur compte principal (3), a progressé au cours des dernières années. Il est passé, selon les chiffres publiés par Bain & Company, de 2,5% en 2014 à 5,5% en 2019, avant une baisse en 2020 largement imputable à la crise sanitaire. Cette évolution, toutefois, est antérieure à la mise en œuvre de la réforme.

Une chose semble claire : la mise en place du mandat de mobilité n'a pas entraîné un sursaut de l'attrition. « Le grand soir que certains anticipaient n'a pas eu lieu », confirme Olivier Lehoucq. « Il fait partie des facteurs qui ont accompagné un mouvement de fond de fragmentation et de volatilité accrue de la clientèle bancaire », analyse de son côté Julien Bet. « Pour autant, les chiffres restent peu élevés. Le modèle relationnel des banques traditionnelles reste solide, les différences entre acteurs faibles et les clients français plus fidèles que dans d'autres pays ».

Le classement des banques les moins chères

(1) Comité consultatif du secteur financier. (2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. (3) Le compte principal est ici entendu comme celui où l'usager reçoit ses revenus courants et qu'il utilise pour son usage quotidien.