Grâce à d'importants investissements, la première génération des banques en ligne, celle apparue au cours des années 2000, a séduit un quart des Français. Reste maintenant à les convaincre d'en faire leur premier interlocuteur financier.

Retour au siècle dernier : nous sommes en septembre 1994 et le groupe Paribas (qui n’a pas encore fusionné avec la Banque Nationale de Paris) lance Banque Directe. Un tout nouveau concept : l’enseigne n’a pas d’agences, tout se fait par téléphone sur des horaires élargis (24 heures sur 24, 6 jours sur 7 !), en échange de quoi le client bénéficie de produits à prix réduits. Si l’expérience ne rencontre pas le succès espéré - rachetée en 2002, Banque Directe deviendra Axa Banque -, le concept, lui, fait des petits. Dès 2000, la banque néerlandaise ING lance ING Direct. La Société Générale, de son côté, investit dans le portail boursier Boursorama, tandis que le Crédit Mutuel Arkéa rachète Fortuneo…

Une première génération de banques en ligne apparaît : aux ING, Boursorama, Fortuneo s’ajoutent les Monabanq, Hello Bank et BforBank. Au fil des années, elles étoffent leur catalogue, passant de la bourse et l’épargne à la banque au quotidien puis aux crédits. A coup d’offres promotionnelles et de tarifs réduits, elles attirent de nombreux Français : selon un récent sondage, près d’un quart des usagers bancaires (23% précisément) y détiennent au moins un compte (1).

Un succès à relativiser

Un succès ? Un autre chiffre, issu de la même enquête, invite à relativiser. Si les Français sont nombreux à avoir marqué un intérêt pour ces nouveaux acteurs, il sont beaucoup plus rares, 7% seulement, à les utiliser comme banque principale, en y domiciliant tout ou partie de leurs revenus (1). Or « ce sont ces clients principaux qui comptent », note Baudoin Choppin de Janvry, associé au sein du cabinet Deloitte Conseil, dans la mesure où ils sont les plus susceptibles de s’engager durablement et de s’équiper, outre un compte courant, d’une assurance-vie ou d’un crédit, des produits très rentables pour la banque.

Autre motif d’inquiétude : l’attractivité de la banque en ligne semble en léger déclin. En 2018, près d’un usager sur 3, non client d’une banque à distance, envisageait de le devenir. Deux ans plus tard, cette proportion est tombée à 1 sur 4 (2). D’où la question : les banques en ligne sont-elles en train de plafonner ?

« Aucun signe d’essoufflement »

Si l’on regarde les chiffres de conquête, la réponse est plutôt non. Parmi les 5 enseignes qui publient régulièrement des chiffres - ce n’est plus le cas, depuis 2015, de Monabanq -, quatre ont continué à progresser au cours des 5 dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous. Seule ING, bloquée autour du million de clients, fait exception.

Banques en ligne historiques : l'évolution du nombre de clients depuis 2015

« Je ne vois aucun signe d’essoufflement », tranche Benoît Grisoni, le PDG de Boursorama. Au contraire. « Cette étrange année 2020 est une année de révélation totale de la pertinence de notre modèle », estime-t-il. « Nous allons réussir à maintenir notre croissance [de l’ordre de 25% par an depuis 2015, NDLR] malgré la Covid-19, sans hausse du coût du risque. Dans une année globalement très dure pour la banque de détail, nous démontrons une très bonne résilience. »

Boursorama, un cas à part

Le cas Boursorama est-il toutefois représentatif de l’ensemble du marché ? Rien n’est moins sûr. Avec près de 2,5 millions de clients à l’heure actuelle, la filiale de la Société Générale a effectivement réussi à atteindre une taille critique, au prix de lourds investissements (150 millions d’euros environ sur les 5 dernières années). Elle est également parvenue à rajeunir sa cible - un nouveau client sur 2 a moins de 30 ans - et a amélioré l’engagement : chaque usager Boursorama détient en moyenne 15 500 euros dans la banque.

Le graphique le montre pourtant : la conquête est beaucoup moins dynamique chez ses concurrents. « A l’exception de Boursorama, plus aucune enseigne ne met en avant ses chiffres », constate d’ailleurs Baudoin Choppin de Janvry. Le spécialiste du cabinet Deloitte Conseil estime que le marché de la banque en ligne est parvenu à un « point d’inflexion » : « Les banques en ligne, un temps, ont été hyper innovantes dans le self care, la capacité à offrir aux clients des outils pour gérer leurs finances en autonomie. Depuis, les banques traditionnelles se sont remises au niveau. Quel est aujourd’hui le facteur différenciant des banques en ligne ? Si on met de côté la question des tarifs, c’est difficile d'y répondre ».

A consulter : le palmarès des banques les moins chères

Marquer sa différence

Les banques en ligne ont notamment échoué à contourner un écueil majeur : l’inertie des Français en matière bancaire. Par rapport à nos voisins, nous changeons en effet encore peu de banque principale : c’est le cas, chaque année, de seulement 5 à 6% des clients bancaires. Nous restons aussi très attachés à l’agence bancaire et au conseiller personnel, quand bien même nous n’y avons plus recours. « L’agence, nous n’y allons presque plus, mais le fait qu’elle existe, à proximité, nous rassure », résume Baudoin Choppin de Janvry.

Résultat : pour retrouver de l’attrait, les banques en ligne doivent de nouveau marquer leur différence par rapport aux enseignes traditionnelles. Cela passe par exemple, selon le consultant, par l’ouverture de nouveaux services, quitte à sortir du cadre traditionnel de la banque de détail. « Une banque est légitime à gérer des documents administratifs, à s’occuper des déclarations d’impôts, à mettre en relation avec des artisans ou des avocats selon les besoins ; à aider et accompagner son client dans sa vie de tous les jours », estime Baudoin Choppin de Janvry.

Entre les mains des actionnaires

Innover est une chose. Mais le futur des banques en ligne se situe aussi largement entre les mains des groupes bancaires avec lesquelles elles ont destin lié : la Société Générale pour Boursorama, Arkéa pour Fortuneo, BNP Paribas pour Hello Bank, le Crédit Mutuel pour Monabanq, le Crédit Agricole pour BforBank. Dans l’immédiat, ces grands groupes continuent à investir pour accélérer la croissance de leurs « poulains ». Certains plus que d’autres : « Nous avons la chance d’avoir un actionnaire qui nous soutient », se félicite Benoît Grisoni, le patron de Boursorama, qui se dit « très à l’aise avec l’objectif d’atteindre les 3 millions de clients en 2021 ».

Cela va-t-il durer ? Dans l’immédiat, la compétition semble toujours faire rage, à coup de primes de bienvenue et de cartes bancaires gratuites. Quelques signes, pourtant, inquiètent. ING a par exemple ramené à 40 euros sa prime de bienvenue, au niveau d'une néobanque comme Aumax pour moi. Des primes qui ne sont plus, par ailleurs, l’exclusivité des banques en ligne : la Société Générale et BNP Paribas gratifient également leurs nouveaux clients de 80 euros. Comme leurs filiales Boursorama et Hello Bank.

Banques en ligne : jusqu’à 170 euros de prime pour l’ouverture d’un nouveau compte

(1) « Usages, opinions et attentes des Français vis-à-vis des nouveaux modèles bancaires », étude réalisée par Next Content pour le compte de CGI, février 2020. (2) Étude « Multibancarisation et switching 2020 » 3e édition, réalisée par Arcane Research en juillet 2020.