Changer de banque en emportant son assurance-vie ? Ou quitter son agent général pour un courtier sur internet ? C'est toujours impossible ! Le débat a pourtant refait surface à l'occasion du projet de loi Pacte : les arguments de chaque camp.

La transférabilité de l'assurance-vie, c'est non ! A l'Assemblée nationale, en commission spéciale loi Pacte, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire s'est montré ferme. Comme ses prédécesseurs. A chaque fois que cette revendication revient sur la table, Bercy claque la porte. Le fait que les amendements proposant cette transférabilité soient portés par les députés LREM Amélie de Montchalin et Joël Giraud, deux poids lourds de la majorité, laissait pourtant espérer un véritable débat. Mais ils ont rapidement retiré leurs amendements faces aux réticences du ministre, tout en étant invités à retravailler leur proposition – pour une rédaction plus consensuelle - en vue de la séance plénière.

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Avec 1 712 milliards d'euros placés sur les plus de 50 millions de contrats, l'assurance-vie est – de loin – le premier placement financier en France. Et ce marché reste très largement dominé par les banques et leurs filiales d'assurance, qui pèsent 61% des encours. « C'est un très vieux sujet », rappelle Jonathan Herscovici, président de WeSave et membre du comité directeur de France Fintech, groupement ayant œuvré à relancer ce débat. « Permettre la transférabilité revient à libéraliser le secteur de l'assurance-vie, et s'inscrit donc dans l'intérêt de toutes les fintechs françaises. » Selon lui, ouvrir ainsi la concurrence « ne révolutionnerait pas le marché », mais cela pourrait potentiellement « doubler la collecte » des courtiers et plateformes en ligne, qui « ne représentent environ que 3% de la collecte annuelle ». Une autre fintech, Nalo, avait d'ailleurs commandé un sondage à l'institut YouGov à ce sujet, et trois quarts des sondés se sont déclarés favorables à la transférabilité.

« Les assurés sont libres du choix de leur assureur-vie »

L'idée de s'attaquer à la « grande captivité des assurés », pour reprendre l'exposé des députés LREM, semble pourtant dans la droite ligne de la loi Macron de 2015, qui visait à rendre le changement de banque plus aisé. Pourquoi reculer sur cette mesure potentiellement favorable pour des millions d'épargnants ? Un premier constat, le sujet reste tabou : les différents acteurs du marché pèsent chacun de leur mot, afin d'éviter tout impair.

« Pas de plaintes ou de saisine du médiateur de la profession »

La Fédération française de l'assurance (FFA) se montre sans surprise tout aussi opposée à la transférabilité que le locataire de Bercy. Arnaud Chneiweiss, délégué général de la FFA, commence par remettre en cause l'existence d'une revendication forte : « La concurrence en assurance-vie est vive et nous ne constatons pas de plaintes ou de saisines du médiateur de la profession à propos d'une difficulté à changer d'assureur. » Arnaud Chneiweiss va plus loin sur l'incongruité de la demande : « Que veut-on dire par ''transférer'' ? Les assurés sont libres bien sûr du choix de leur assureur-vie et peuvent récupérer leur épargne à tout moment s'ils ne sont pas satisfaits. » Pour rappel, l'inconvénient de cette démarche - retrait puis nouveau placement – est la perte de l'avantage fiscal, la « maturité fiscale » de l'assurance-vie intervenant aux 8 ans de détention.

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« L'assurance-vie n'est pas un produit simple »

Jean Berthon, vice-président de la fédération des associations d'épargnants Faider et président de Gaipare, association commercialisant le contrat du même nom, se montre très réservé sur la transférabilité, tout en rappelant « défendre les intérêts des assurés » : « Permettre le transfert peut agir en leur défaveur », explique-t-il. « En cas de crise entraînant une évolution rapide des taux obligataires, certains épargnants mieux informés pourraient en profiter pour transférer rapidement leurs avoirs vers une compagnie promettant des taux plus élevés. Ce qui pourrait déstabiliser le marché et s'avérer défavorable pour les autres épargnants, moins avertis, car l'assureur sera contraint de liquider des actifs de façon désavantageuse. Attention à ne pas mettre en péril la collectivité dans l'intérêt d'une poignée d'acteurs. »

« Attention à ne pas mettre en péril la collectivité dans l'intérêt d'une poignée d'acteurs »

Arnaud Chneiweiss, de la FFA, insiste aussi sur la complexité du transfert : « L'assurance-vie n'est pas un produit aussi simple qu'un livret d'épargne ou une assurance dommages, par exemple. Les contrats d'assurance-vie sont aujourd'hui souscrits avec environ 70% de fonds en euros et 30% d'unités de compte. Or les UC (investies au choix de l'assuré en actions, obligations, immobilier...) sont propres à l'offre d'un assureur. Techniquement, il n'est pas possible de ''transférer''. » Pourtant, il est possible de transférer un Perp, produit d'épargne retraite dont la structure financière est proche de l'assurance-vie, d'un assureur vers un autre. Mais les assureurs sollicités jugent que la transferabilité du Perp n'est en rien comparable, car les portefeuilles concernés sont 100 fois plus imposants pour l'assurance-vie.

Et le transfert au sein d'une même compagnie d'assurance ?

Le délégué général de la FFA appuie enfin sur la vocation épargne longue de l'assurance-vie, déjà mise en avant à l'heure des débats sur la flat tax : « Aujourd'hui la durée de détention moyenne est de 12 ans. Si l'on permet le transfert, on perd cette vocation et cela nuira aux investissements dans l'économie productive. »

Face à l'inflexibilité de Bercy et des assureurs, France Fintech a revu ses ambitions à la baisse. Les députés ayant été invités à présenter un amendement retravaillé en séance plénière, qui débute le 25 septembre, Jonathan Herscovici espère une mesure permettant « la transférabilité au sein d'une même compagnie d'assurance » : « Ce serait déjà un premier pas. »

« Ce serait déjà un premier pas »

Un « petit pas » qui pourrait permettre à des épargnants disposant d'un vieux contrat peu rémunéré d'investir sur un contrat plus récent et mieux loti, ou de changer de distributeur - d'une banque vers un courtier par exemple - si les deux distributeurs ont le même assureur. Une proposition consensus qui convient à un assureur mutualiste, Olivier Sentis, directeur général de la MIF : « Dans ce cas, le risque financier n'existe plus. Les assureurs doivent aussi se montrer plus souples et s'adapter aux demandes de leurs clients. » Olivier Sentis juge d'ailleurs que, techniquement, un transfert de contrat d'un assureur vers un autre n'est « pas impossible » mais il rejoint tout de même ses confrères sur la crainte qu'une telle mesure puisse « déstabiliser » le secteur. Le directeur général de la MIF, dont les fonds en euros sont tous rémunérés à même hauteur, encourage par ailleurs les parlementaires à se pencher sur les écarts de rémunération entre contrats au sein d'une même compagnie...

La bataille des fintechs pour rendre l'imposant marché de l'assurance-vie plus concurrentiel est loin d'être gagnée. Mais Jonathan Herscovici, de France Fintech, se réjouit tout de même : « Nous avons remis le sujet sur la table, c'est déjà une petite victoire. »

Vers un plafonnement de certains frais ?

Réticent à la transférabilité, lors des discussions en commission spéciale, Bruno Le Maire s'est toutefois déclaré ouvert à un encadrement des frais de l'assurance-vie et du système de commissionnement des distributeurs. « La discussion pourrait aller vers un plafonnement ou une suppression des droits d'entrée, ce qui serait aussi une bonne chose », se félicite ainsi Jonathan Herscovici, cofondateur de WeSave.

Une directive européenne entrant en vigueur en octobre implique déjà l'encadrement des commissions des intermédiaires. La consigne du ministre étant très floue concernant l'encadrement des frais, difficile de deviner l'orientation du futur amendement. Un assureur conservant l'anonymat se dit toutefois extrêmement sceptique sur l'intérêt d'une telle mesure : il juge que les compagnies d'assurance trouveront d'autres moyens de soigner leurs marges et qu'in fine le client ne sera pas gagnant.