La transférabilité de l'assurance vie est de longue date son cheval de bataille. Et, cette fois, l'éditorialiste Jean-François Filliatre pense que le retour du projet de loi Pacte à l'Assemblée nationale va permettre des avancées significatives sur le sujet.

Jean-François Filliatre

Jean-François Filliatre est le directeur éditorial de Marchés Gagnants. Ex directeur de la rédaction de MVVA, éditorialiste sur BFM Business, il siège à l’ACPR et l’AMF dans les commissions « pratiques commerciales » et « épargnants ».

Le débat de la transférabilité de l’assurance vie est plus que jamais sur la scène médiatique. Cette fois, ça va passer ?

Jean-François Filliatre : « Ça n’a jamais été aussi proche… »

Qu’est-ce qui vous incite à l’optimisme ?

J-F.F. : « Les discours ont réellement changé lors des dernières semaines. Les déclarations n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a 6 mois. Bruno Le Maire ne s’est certes pas déclaré favorable à la transférabilité pure et simple mais, cette fois, Bercy n’a pas totalement fermé la porte. »

Si l’on ne va pas jusqu’à la transférabilité « pure et simple », quelle solution pourrait être favorable aux épargnants ?

J-F.F. : « Après de multiples échanges avec les différentes parties, j’ai fait des propositions à Bercy. Pour l’instant, on en est encore loin mais les avancées me semblent réelles. Un, il faut sortir de la guéguerre avec d’un côté, les nouveaux acteurs, fintechs en tête, qui veulent leur place sur le marché et de l’autre, les (banca)assureurs. D’où la nécessité déjà d’une bascule sémantique : la transférabilité, telle qu’elle s’applique au PEA ou au PEL, n’est pas possible pour l’assurance vie. On ne peut pas transférer à l’identique les mêmes actifs financiers, tout simplement car les assureurs n’ont pas les mêmes fonds en euros, ni forcément les mêmes supports en unités de compte. Il ne s’agit donc pas d’un transfert de portefeuille d’actifs, mais d’un virement d’une valeur en euros d’un assureur vers un autre. Parlons donc portabilité. Idem sur la problématique fiscale : il s’agit d’une portabilité de l’historique fiscal, et non d'une ancienneté fiscale. Car la fiscalité de l’assurance vie dépend de la date de souscription des contrats, mais aussi de la date des versements. »

Outre ces changements de vocabulaire, quelle est votre proposition ?

« Parlons de portabilité de l’historique fiscal »

J-F.F. : « Le cœur du problème, ce sont les écarts de rendement au sein d’une même compagnie, les vieux contrats totalement inadaptés au besoin des épargnants, et enfin l’ambition légitime de Bercy de flécher l’épargne vers l’économie, donc d’éviter le 100% fonds en euros. La réponse est double. Un, permettre une portabilité interne d’un contrat vers un autre au sein d’une compagnie d’assurance. Deux, mettre en place une portabilité externe pour la mise en place d’une véritable concurrence ! Même si cela passe par un encadrement de cette dernière, par exemple lors que les portefeuilles des assureurs sont en moins-values, car nul ne veut, ni Bercy, ni les assureurs, ni les défenseurs de la portabilité, désolvabiliser les compagnies. »

Selon Le Figaro, Bercy semble ouvert à la portabilité interne, pas plus…

« Si l’on se limite à la portabilité interne des contrats, cela ne fonctionnera pas ! »

J-F.F. : « Si l’on se limite à la portabilité interne des contrats, cela ne fonctionnera pas ! L’élément clé, du point de vue de l’épargnant reste le distributeur : la banque, le courtier… L’assureur, il le connait à peine ! Que va-t-on dire aux clients de la Caisse d’Epargne, établissement qui a changé d’assureur dans le temps : CNP jusqu’en 2016, puis BPCE Vie. Pas de portabilité pour vous car vous ne pouvez passer de CNP à BPCE Vie ? Idem pour les clients de courtiers en ligne qui ont plusieurs assureurs ? Vous restez chez le même distributeur, mais vous ne pouvez passer d’un contrat à l’autre ? Des exemples de la sorte, il y en a la pelle ! D’où la proposition d’une portabilité externe d’un assureur vers un autre, pour les contrats de plus de 8 ans, avec éventuelle prise en compte des moins-values latentes [pertes non concrétisées car les actifs n'ont pas encore été vendus, NDLR]. Ce cap de 8 ans colle à la fiscalité historique de l’assurance vie et correspond à une réalité économique pour les assureurs pour rentabiliser le coût d’acquisition client. Les portabilités interne et externe vont de pair : cela permet une concurrence saine et vertueuse. Dans ces conditions, si un épargnant réclame une portabilité, l’assureur le guidera vers l’un de ses contrats récents, compétitif, afin qu’il ne parte pas. Si les assureurs orientent leurs clients vers leurs meilleurs contrats, je suis sûr que cela permettra même d’allonger les durées de détention ! Aujourd’hui, quand un vieux contrat ne convient plus, soit l’épargnant le garde et le laisse vivre en périclitant, soit il le clôture. La portabilité permettra de ne pas laisser de vieux contrats végéter. C’est capital pour le financement de l’économie. »

Et si la loi Pacte ne permet finalement pas d’avancée notable… Un statu quo serait-il justifiable ?

« Les portabilités interne et externe vont de pair : cela permet une concurrence saine et vertueuse »

J-F.F. : « Ce sera un nouveau raté ! Les épargnants seront alors en droit de se poser la question ''A quoi ça sert d’ouvrir une assurance vie ?'' Pour la succession ? Mais la loi Tepa de 2007 exonère le conjoint survivant de droits de succession, ce qui ôte à l’assurance vie tout avantage pour la transmission au sein du couple. Et pour l’épargne financière, quand l’on connaît les niveaux de frais, l’assurance vie n’est pas forcément plus rentable qu’un PEA. »

A l’automne 2018, lors du premier examen du projet de loi Pacte à l’Assemblée, Bercy avait repoussé l’idée du transfert, mais accepté plus de transparence sur les frais. Un autre chantier nécessaire ?

Sans portabilité, se posera la question « A quoi ça sert d’ouvrir une assurance vie ? »

J-F.F. : « Peut-on aller plus loin dans la transparence ? Oui, sans aucun doute. La transparence sur les frais indirects dans l’information annuelle est-elle suffisante ? Non : le besoin de transparence est bien plus large. Il faut aussi plus de transparence sur la rémunération des fonds en euros. Mais l’information seule, ne sert à rien s’il n’y a pas portabilité, bref la concurrence. Il faut donc une transparence totale sur ces éléments, de manière publique, accessible à tous avant la souscription. L’assurance vie française doit se réinventer ! Pour inciter, à nouveau, les Français qui le peuvent à épargner. Un euros déplacé du compte courant vers l’assurance vie, c’est à minima quelques dizaines de centimes de gagnés pour le financement de l’économie… »

La loi Pacte doit donc selon vous intégrer portabilité et transparence sur les frais ?

J-F.F. : « La réforme doit être globale ! Plus d'information, plus de portabilité pour plus de concurrence et d’efficacité collective. L’information sur les frais et les actifs de l’assurance vie est nécessaire mais, seule, elle n’est pas suffisante. La portabilité interne, seule, n’est pas suffisante. Il faut accompagner ces deux mesures de la portabilité externe, encadrée comme cela est proposée, pour créer enfin l’assurance vie du 21e siècle, avec un marché réellement concurrentiel. »