On l'entend souvent : « l’argent est le nerf de la guerre ». Comment faire pour que, dans un couple, la gestion des revenus et dépenses ne soit pas l'objet d'une bataille ? Faut-il nécessairement utiliser un compte joint ou, au contraire, fonctionner avec des comptes personnels ? Eléments de réponse.

L'argent et le couple font-ils bon ménage ? Si l'on en croit une étude du Credoc de 2015 (1), la réponse est oui. Dans cette enquête portant sur la façon dont se prennent les décisions au sein des couples, 97% des ménages interrogés se disent satisfaits de l'organisation financière de leur couple.

Et dans la majorité des cas, cette organisation passe par une mise en commun des revenus et par l’existence d'un compte joint. L'étude montre en effet que 64% des couples mettent en commun l'intégralité de leurs ressources (tandis que 18% « conjuguent une mise en commun partielle des ressources avec une certaine autonomie financière »). Par ailleurs, la proportion de couples avec un compte joint oscille de 51% pour les couples n'ayant jamais eu d'enfant à 85% chez les couples avec 2 enfants dans le ménage.

Dans notre pays, 2/3 des Français mariés, pacsés ou en concubinage partageraient donc toutes leurs ressources. Pourtant, le compte joint n'est pas exempt d'inconvénients, voire de risques.

Le compte joint, pour le meilleur et pour le pire…

Lorsqu'un couple ne possède qu'un compte joint (et pas de comptes personnels), les co-titulaires ont évidemment connaissance de tous les mouvements du compte. Pas évident dès lors de préserver la surprise d'un cadeau de Noël ou d'anniversaire lorsque l'enseigne où l'on a fait des emplettes apparaît sur le relevé de compte, avec la somme exacte dépensée. Impossible de cacher également un remboursement effectué à un ami ou des achats (trop) fréquents sur Amazon, la Fnac, Vinted ou Leroy Merlin...

Au-delà de cet inconvénient (finalement mineur) autour de la confidentialité des dépenses, le compte joint comporte surtout des risques. En effet, en souscrivant ce type de produit auprès de la banque, les deux titulaires sont solidairement responsables de la vie du compte... et des dettes. En cas de solde négatif, ils doivent régler les frais de découvert à leur banque de façon commune (peu importe qui a mis le compte dans le rouge). Idem pour d'autres frais en cas d'incident de paiement (rejet de virement ou de prélèvement par exemple). En cas de rejet de chèque sans provision par la banque, ce sont les deux co-titulaires (et pas seulement celui qui a rédigé le chèque litigieux) qui se retrouvent interdits bancaires et ne peuvent plus émettre de chèques, que ce soit depuis le compte joint ou depuis un compte personnel. En bref, avec cette solidarité sur les dettes, si l'un des membres du couple flambe ou réalise des dépenses qui ne sont pas dans l’intérêt de la famille, l'autre en est co-responsable. Ouvrir un compte joint (voire ne posséder que cela) implique donc de vivre avec une moitié digne de confiance. Sinon, mieux vaut conserver à côté un compte personnel. Mais attention, qui dit personnel ne dit pas forcément intouchable et protégé à 100%.

L’importance du régime matrimonial avant tout

Avant de décider « Est-ce qu’on fait compte à part ou compte commun ? », un couple doit d’abord s'interroger sur sa situation matrimoniale : est-il marié ou pacsé ? si oui, sous quel régime ? « Si vous êtes mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts et que vous faites comptes séparés (et même épargne séparée), ça ne sert finalement à rien », explique Héloïse Bolle, conseillère en gestion de patrimoine (Oseille et compagnie) et auteure de « Les bons comptes font les bons amants » (2). « C’est illusoire de penser que l’argent que vous mettez sur votre compte personnel chaque mois (parce que vous économisez tandis que votre mari ou votre femme dépense tout son argent pour des choses qui vous paraissent inutiles), est de l’argent qui vous appartient : c'est de l'argent commun ! Lors d’une séparation, il faudra tout déboucler, et vous partagerez tout, les revenus comme les dettes ». La situation est exactement la même pour les couples pacsés sous le régime indivis (qui était le régime par défaut avant 2007). En gros, on pourrait traduire cela par : A partir de notre union, ce qui est à toi est à moi, même l’argent mis ailleurs que sur le compte joint. « Ce régime de la communauté, je ne l’aime pas beaucoup, précise Héloïse Bolle, car son fonctionnement est difficile à comprendre. Les 3/4 des gens ne savent pas ce qu’il veut dire et ce qu’il implique. Et en général, en cas de divorce (ou de décès), ils tombent de leur chaise quand ils comprennent ses implications financières ».

Etre en communauté réduite aux acquêts ou en régime indivis n'empêche cependant pas d’avoir des comptes séparés selon la conseillère en gestion de patrimoine. « Cela donne une certaine liberté et permet à chacun d'avoir ses petits secrets, ce qui est quand même agréable. Mais encore une fois, il ne faut pas se bercer d'illusions, ce compte-là appartient à la communauté. A la fin, on fait quand même moitié-moitié sur tous les comptes, y compris sur les dettes ».

10% des couples mariés en séparation de bien

Si une très large part des couples mariés en France est unie sans contrat de mariage, sous le régime par défaut de la communauté réduite aux acquêts, la part des couples en séparation de biens progresse. Elle est ainsi passée de 6,1% du total des mariés en 1992 à 10% en 2010 soit une hausse de 64% (3). Pour l'année 2010, presque 17% des couples récemment mariés ont dérogé au régime légal en choisissant un autre régime matrimonial.

Pour les autres régimes matrimoniaux ou pour les personnes en concubinage, faire compte à part a en revanche un sens afin de protéger ses revenus ou être totalement libre de les dépenser comme on l’entend. On peut conserver un compte personnel pour ses dépenses propres tout en mettant en place un compte joint... voire deux ! « J’aime bien qu’il y ait deux comptes joints quand il y a un crédit immobilier », conseille Héloïse Bolle. « Un des comptes joints va servir pour les grosses dépenses : crédit immobilier et prélèvements d’impôts (hors prélèvement à la source). C'est un compte sur lequel chaque membre du couple fait un virement en début de mois et où il n’y aura pas beaucoup de mouvements. On voit bien qui l'alimente, c'est pratique pour tracer les remboursements de chacun. Et le 2e compte joint va lui servir pour le budget quotidien du foyer : les factures, les courses, les frais liés à la voiture ou aux transports, les dépenses pour les enfants (activités, école, cantine). Cela permet d'avoir une bonne vision des dépenses contraintes habituelles et d'effectuer aussi un virement mensuel pour faire face à ces dépenses. En participant à hauteur de 50% chacun ? Pas forcément ! Le code civil, pour le mariage et le pacs, dit qu'il faut que chacun participe à hauteur de ses moyens. Le risque, c’est de faire moitié-moitié car on est un peu fier. Mais si vous faites ça avec quelqu'un qui gagne deux fois plus que vous, vous êtes dans le rouge à la fin du mois alors qu'il ou elle a mis plein d'argent de côté ! »

Une gestion 100% en compte à part ?

Un couple qui vit ensemble peut-il fonctionner uniquement avec deux comptes individuels ? « Oui, répond Héloïse Bolle, même si je n'ai jamais vu ça dès lors qu'il y a un crédit immobilier dans l’équation ». Prudence quand même : « Cela implique d'être plus organisé car on peut plus facilement se retrouver dans une situation déséquilibrée sans le vouloir. Cela suppose d'avoir fait un état des lieux assez précis des dépenses, et d'avoir effectué une répartition des dépenses à peu près équilibrée ou équitable si l'un gagne beaucoup plus que l'autre ». Et surtout de la revoir en cas de changement dans les charges ou dans les revenus (augmentation de salaire, prime exceptionnelle, période de chômage, passage à mi-temps…)

Plusieurs comptes, est-ce forcément plus coûteux ?

Qui dit plusieurs comptes, dit plus de frais ? Pas forcément. Aujourd'hui, certaines banques en ligne ou néobanques permettent de faire tourner un compte pour 0 euro par an. Carte bancaire gratuite, aucun frais de tenue de compte… Il est tout à fait possible de détenir un compte joint et/ou un compte individuel dans une banque en ligne sans dépenser grand chose, ou de cumuler un compte dans une banque traditionnelle et un compte dans une enseigne en ligne. Les banques traditionnelles, elles, proposent généralement une remise sur la 2e carte bancaire du compte joint. Il est aussi envisageable de demander une deuxième carte pour un compte individuel cette fois, à un tarif réduit. Au Crédit Agricole Ile-de-France par exemple, la même remise s'applique : « Nous proposons une réduction de 50% sur toutes les cartes souscrites par un couple, qu'elles soient prises dans le cadre d'un compte joint ou adossées à un compte individuel respectif », explique le service communication de l’établissement.

L’épargne, à réfléchir à deux

Concernant l'épargne, que l’on soit en communauté ou en comptes séparés, « ce qui est malin, c’est d’y réfléchir à deux » explique Héloïse Bolle. Cela permet en effet de se mettre d’accord sur les objectifs de cette épargne : servira-t-elle à voyager, à réaliser un achat immobilier, à payer les études d'un enfant, à financer une résidence secondaire ? Et de savoir sur quels produits elle est placée : épargne réglementée pour de la sûreté, produits plus ou moins « liquides » pour une disponibilité immédiate, produits plus risqués pour tenter un meilleur rendement ? La clé de l’entente et de la réussite financière, c'est de connaître dans quel panier on a mis ses oeufs et où son conjoint a mis les siens, surtout si on fonctionne en comptes séparés...

La fintech Mon Petit Placement donne le même genre de conseil pour l'épargne à deux : « Il s'agit de s'assurer avoir mis de côté une épargne de précaution, équivalente à environ deux ou trois mois de salaires. Il n'y a pas de règle stricte, l'important est de garder une somme suffisante pour pouvoir dormir sur ses quatre oreilles ! Il est alors possible de passer aux choses sérieuses : dynamiser le reste de l'argent que l'on a de côté en réalisant différents placements financiers, le tout selon son niveau de risque et ses projets communs à horizon moyen et long termes. Gérer ses investissements en couple permet de gagner en rationalité en ce que deux personnes prennent part aux décisions ».

L’argent, discutez-en !

Dernier conseil pour que l’argent rime avec sérénité dans un couple : parlez-en… « Plus en vous parlez, plus vous êtes au carré sur les montants qu'il y a dans la caisse, et sur les les projets liés à ces sommes », explique Héloïse Bolle. Et ce, même si le sujet ne vous intéresse pas ou que vous trouvez les questions financières compliquées ! « Dire « je n’y connais rien » et tout déléguer à l'autre, c'est dangereux. Vous prenez des risques en laissant l'autre personne s'en occuper seule, même si elle n'est pas malhonnête. Elle peut faire, avec de l'argent qui vous appartient aussi, des placements très hasardeux ou sous-déclarer des revenus aux impôts par exemple », met en garde la conseillère en gestion de patrimoine. Evitez donc de mettre le sujet sous le tapis et ayez une vision globale de ce qui se passe dans les finances de votre couple pour que l’amour dure longtemps… avec de l’argent.

(1) Comment se prennent les décisions au sein des couples ? Régis Bigot, Sandra Hoibian. Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie. Mars 2015

(2) « Les bons comptes font les bons amants », de Héloïse Bolle, paru en 2019 aux éditions Le Cherche-Midi

(3) Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France. Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq. INSEE. Janvier 2014