Ouvert le 8 juin dernier, le procès de Jérôme Kerviel, ancien trader de la Société Générale accusé d’avoir fait perdre 4,9 milliards d’euros à son employeur début 2008, s’est poursuivi cette semaine devant le tribunal correctionnel de Paris. Ex-collègues, ex-supérieurs, experts…les témoignages, parfois contradictoires, se sont succédés avec toujours cette même question au cœur des débats : la banque pouvait-elle réellement ignorer les positions risquées prises par l’ex-trader ?

En cette deuxième semaine d’audience, menées par le président du tribunal Dominique Pauthe, la défense et l’accusation ont gardé leurs lignes directrices. D’un côté, les avocats de Jérôme Kerviel cherchent à démontrer que le trader n’a pas pu prendre ces positions astronomiques à l’insu de la banque, de l’autre les avocats de la Société Générale veulent prouver que l’ex-trader a volontairement déjoué tous les contrôles et menti à sa hiérarchie, pour lui faire ainsi porter l'entière responsabilité de l’affaire.

Pour tenter de trancher la question, la trésorerie du trader à l’époque, les différents contrôles mis en place par la banque, mais aussi la personnalité de Jérôme Kerviel, ont fait l’objet de débat. A plusieurs reprises, l’ancien trader a été mis en difficulté.

« Un ami normal, pas du tout flambeur »

Déontologue à la Société Générale, collègue et amie du prévenu, Valérie Rolland, le décrit comme « un ami, normal, pas du tout flambeur », affirmant ne pas comprendre comment il a pu jouer avec des milliards. Le matin du fameux 18 janvier, quelques jours avant l’éclatement de l’affaire, Jérôme Kerviel lui conseille « de l'oublier, que c'était mieux ainsi ».

« Malhonnête, déloyal, non transparent et tricheur »

Christophe Mianné, chef de la division actions et dérivés de la Société Générale et ancien supérieur de Jérôme Kerviel, s’est dit choqué d’entendre l’ex-trader dire qu’on l’a laissé faire, ironisant « on n'écrit pas à l'entrée de la salle de marché qu'il est interdit de frauder ». Jugeant l’attitude de l’ex-trader « criminelle », il l’a qualifié de « malhonnête, déloyal, non transparent et tricheur ».

« Kerviel, c’est déjà du passé »

Parallèlement au procès, l’actuel président de la Société Générale Frédéric Oudéa a estimé que l’affaire Jérôme Kerviel « c’est déjà le passé », affirmant que la banque avait apporté des « réponses immédiates » après la révélation de l’affaire, notamment sur le renforcement des contrôles.

« Trader star »

Ex-collègue de Jérôme Kerviel, Taoufik Zizi, 26 ans, licencié par la Société Générale depuis les faits, raconte que le prévenu « donnait de bons conseils", comme "ne pas prendre trop de risques ». Admiratif à l’époque de celui qu’il décrit comme « un trader star », parce qu’il parvenait à gagner un million d’euros dans une journée, Taoufik Zizi confie avoir couvert l’ex-trader sur une perte dans une opération. « On voyait des ordres passer à longueur de journée », raconte t-il.

« Matt » le client imaginaire 

Moussa Bakir, courtier pour la filiale de la Société Générale Fimat à l’époque des faits, a également travaillé avec Jérôme Kerviel. Plusieurs « tchats » qu’il a échangés avec l’ex-trader prouvent qu’il était au courant des positions délirantes prises par son collègue, mais pas nécessairement de leur caractère frauduleux. « Quand j’ai posé des questions à Jérôme (sur ses positions et ses gains NDLR), il m’a parlé d’un gros client de la SocGen, un fonds basé à Londres. J’ai cru Jérôme Kerviel ». Ce « gros client » nommé Matt par l’ex-trader, est le fruit de l'imagination de Jérôme Kerviel, un moyen pour lui de justifier ses résultats et de faire passer des opérations qu’il n’était pas habilité à passer lui-même.

« Si tu recommences, tu seras viré »

Trader de 2001 à 2007 à la Société Générale, Alain Declerck, mentor du prévenu qu’il a formé aux techniques du trading, raconte le premier dérapage de l’ancien trader en juillet 2005. Celui-ci avait pris une position importante sur plusieurs jours sans en parler à sa hiérarchie. A l’époque, cela lui vaut un avertissement : « Je lui ai dit : si tu recommences, tu seras viré ».

« Faussaire »

Les contrôles de la banque sur les activités du trader sont en question. Celui-ci raconte comment il a contourné la surveillance de la banque. Il reconnaît avoir saisi des opérations fictives, pour masquer ses engagements réels sur les marchés financiers « Que ce soit bête, débile, je vous le concède (...) mais j'étais dans une spirale... c'était un boulevard ». Il explique également comment il a menti pour cacher ses positions. Agacé, le président du tribunal lâche « Ce sont ces apparences qui vous transforment en faussaire ! ».

« Tous coupables »

Catherine Lubochinsky, professeur de finance de l’université de Paris II était citée comme témoin hier. Pleine d’humour, elle raconte s’être étonné du fait que le trader ait pu perdre une somme si astronomique « sans complicité ». Lorsque le président lui demande quel est le coupable de la banque ou du trader, elle répond « Ils sont tous coupables ! ». Mettant en cause le système, elle explique que « Jérôme Kerviel n’a plus réalisé ce qu’il faisait ». « Au bout de quelques zéros, on ne fait plus la différence ».

Mardi prochain, le tribunal entendra le témoignage de Daniel Bouton, l’ex président de la Société Générale, qui a démissionné le 29 avril 2009. Les audiences reprendront lundi à 9h30 pour la troisième et dernière semaine de procès.