Les professionnels qui sont clients exclusivement de néobanques peuvent difficilement obtenir un prêt garanti par l’Etat, ce dispositif mis en place pour aider les entreprises à traverser la crise du coronavirus. Que faire si vous êtes dans cette situation ?

Permettre aux entreprises, quelle que soit leur taille ou leur forme juridique, de demander à leur banque un prêt garanti par l’Etat (PGE) : c’est l’une des principales mesures prise par le gouvernement pour soutenir les professionnels en difficulté à cause de l’épidémie de Covid-19. Ce dispositif monte progressivement en puissance. Sur les 300 milliards d’euros mis sur la table par l’exécutif, les banques ont financé près de 40 milliards d’euros, d’après le dernier chiffrage connu, avec un taux de refus entre 1% et 2,6% selon les sources.

Toutefois, même si les vannes du crédit sont ouvertes, certains professionnels risquent de se retrouver sur le carreau. Il s’agit des entreprises - le plus souvent micro-entrepreneurs, freelances ou des TPE - ayant ouvert leur compte professionnel dans une néobanque, comme Qonto, Shine, Sogexia, Manager.one ou encore Anytime. Ces dernières étant des établissements de paiement, elles ne peuvent en effet pas accorder de prêts bancaires. Or, bien que récemment lancées, les néobanques acceptant les professionnels ont attiré dans l’Hexagone des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises, grâce à leur tarification transparente et avantageuse et à leur offre digitale, mais limitée.

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C’est l’un des angles morts du PGE. Seuls les établissements habilités à faire du crédit sont autorisés à octroyer les prêts garantis par l’Etat. Dans les faits, tous les professionnels clients de néobanques ne pâtissent pas de ce trou dans la raquette. Certains, en effet, disposent en parallèle d’un compte dans une banque traditionnelle. « Sur nos 75 000 clients, à peu près la moitié ont aussi un compte dans une banque », explique ainsi à MoneyVox Alexandre Prot, co-fondateur de Qonto, une des néobanques leader en France sur le marché des professionnels. Ceux-ci peuvent donc s’adresser à leur conseiller bancaire pour demander un PGE. En revanche, « pour les 50% restants, clients uniquement de Qonto, c’est plus compliqué », déplore Alexandre Prot.

Contacter une banque traditionnelle, une possibilité théorique

Le PGE « n’est pas un outil de conquête »

Certes, en théorie, rien n’empêche les clients de néobanque de prendre contact avec une banque traditionnelle pour faire un prêt. D’ailleurs, la foire aux questions (FAQ) du ministère de l’Economie qui détaille le fonctionnement du PGE préconise cette solution : « Un professionnel ou une entreprise qui n’a de comptes qu’auprès d’une banque en ligne – qui n’est pas agréée pour proposer du crédit – a plusieurs possibilités pour demander un PGE : s’adresser à la banque « mère » du groupe bancaire auquel la banque en ligne est affiliée, ou s’adresser à un chargé de clientèle pro d’une autre banque ». Toutefois, en pratique, les banques donnent rarement suite aux demandes des clients des néobanques. Selon la Fédération bancaire française, « compte tenu de la très forte demande de PGE des clients existants de chaque banque, et de la nécessité d’établir une nouvelle relation, les nouveaux clients peuvent rencontrer des délais importants ».

Le PGE « n’est pas un outil de conquête, nous explique la Société Générale. Comme tout octroi de crédit, le PGE nécessite de bien connaître le demandeur, nous réservons donc le PGE prioritairement à nos clients ». Ce, même si la demande de financement émane d’un professionnel client de Boursorama, pourtant filiale de la banque rouge et noire. « Si la banque de détail en France et Boursorama appartiennent au même groupe, ce sont deux marques commercialement indépendantes. Boursorama ne propose pas le PGE et renvoie au libre choix du client vers l’ensemble des banques », détaille ainsi Société Générale. De la même manière, les clients de la néobanque Manager.one, service en ligne de la banque traditionnelle destinée aux entreprises Wormser Frères, sont également privés de PGE. « Les comptes Manager.one ne fonctionnent que sur base créditrice, aucun service de crédit n’y est proposé », explique en effet à MoneyVox la Banque Wormser Frères.

Bpifrance, médiation du crédit et crowdfunding pour décrocher un PGE

En 2 semaines la médiation du crédit a reçu plus de dossiers qu'en un an.

Dans ce contexte, que peuvent faire les personnes ayant domicilié leur activité professionnelle dans une néobanque (ou autre établissement n’octroyant pas de prêt garanti par l’Etat) ? Le ministère de l’Economie suggère la médiation du crédit. Elle peut intervenir lorsqu’un entrepreneur s’est vu refuser un PGE, mais elle ne le finance pas directement. D’après les données fournies, la médiation du crédit est largement sollicitée. Entre le 6 et le 17 avril, elle a reçu plus de 1 400 dossiers éligibles contre 1 000 sur l'ensemble de l'année 2019. « Notre objectif est bien sûr de trouver une solution de crédit même si les refus sont le plus souvent bien motivés par les banques. Les prêts garantis sont destinés à des entreprises qui ont besoin de trésorerie pour traverser cette période très difficile du confinement, mais qui allaient bien avant la crise. Il pourra être difficile d'aider toutes les entreprises qui faisaient déjà face à des difficultés et dont les problèmes se sont aggravés », explique la Banque de France qui gère le dispositif.

Certains clients de néobanques ont aussi la possibilité d’obtenir un PGE via Bpifrance. En règle générale, la banque publique d’investissement agit comme co-prêteur aux côtés des banques. Mais, pour les entreprises dites innovantes, elle peut instruire des demandes de financement seule et en direct. « Parmi nos clients, des centaines ont contacté dans ce but Bpifrance, nous explique Alexandre Prot de Qonto. Nous-même, nous échangeons actuellement avec Bpifrance pour savoir dans quelle mesure, elle pourrait financer plus largement les clients d’établissements de paiement qui n’ont pas de compte dans une banque traditionnelle ».

Pour l’heure, la majorité privilégie d’autres solutions, dont le financement participatif. Le 23 avril, les parlementaires ont voté un amendement qui élargit aux prêts obtenus via les plateformes de crowdfunding la garantie de l’Etat. Le jour même, October (ex-Lendix) annonçait sa participation.

Les aides en dehors du dispositif du PGE

En parallèle, et en attendant que le dispositif du PGE soit complété, les néobanques tentent d’orienter les professionnels vers d’autres aides. « On a listé pour nos clients toutes les pistes possibles et on leur conseille de toutes les essayer », expose le patron de Qonto. La néobanque met ainsi notamment en avant l’aide de 1 500 euros, octroyée via le fonds de solidarité financé par les Régions et l’Etat, accessibles aux micro-entrepreneurs, TPE ou encore aux indépendants réalisant moins de 60 000 euros de bénéfices par an et dont le chiffre d’affaires a été au moins divisé par 2.

« Nous leur parlons aussi de l’action de l’Ordre des experts comptables qui se propose de faire office d’intermédiaire en crédit auprès des banques pour obtenir un prêt de trésorerie de 50 000 euros », détaille Alexandre Prot. A moyen terme, Qonto espère surtout obtenir l’autorisation de l’ACPR, le régulateur des banques, pour devenir établissement de crédit. « On a déposé notre dossier fin 2019. On prévoit de le devenir d’ici quelques mois, avant la fin d’année, et ainsi pouvoir accorder un peu de découvert et du crédit à certains de nos clients », souligne le patron de Qonto.

En résumé,

Dans le cadre du coronavirus, les clients d’une néobanque pour professionnels peuvent bénéficier d’un prêt garanti par l’Etat. Toutefois, pour eux, la démarche s'avère particulièrement complexe et hasardeuse.

  • Les clients des néobanques peuvent tout d’abord prendre contact avec un conseiller bancaire professionnel. En cas de refus, il est alors possible de saisir la médiation du crédit.
  • Bpifrance est habilitée à financer directement certaines entreprises considérées comme innovantes. C’est une piste potentielle pour obtenir un prêt garanti.
  • Depuis la semaine dernière, la loi permet aux plateformes de financement participatif de proposer aussi du PGE.
  • Outre le PGE, d’autres aides peuvent également être activées, comme le coup de pouce de 1 500 euros octroyé aux petits professionnels indépendants.