C'est l'une des surprises de notre palmarès 2023. Après une chute vertigineuse ces dernières années, bien en deçà de la moyenne du marché, les taux servis en 2022 sur les fonds euros bancaires sont en très forte hausse à l'image du Crédit Agricole, de la Banque Postale, de la Société Générale... Rebond durable ? Ou simple rattrapage ?

Attention, sujet sensible ! Une fois n'est pas coutume, Moneyvox a eu toutes les peines du monde à obtenir un interlocuteur. Le sujet semblait pourtant simple : analyser les bonnes performances des fonds euros des banques, qui ont enregistré un spectaculaire rebond en 2022, à l'image du Crédit Mutuel, de la Société Générale, de la Banque Postale ou encore de BNP Paribas.

Finalement, Crédit Agricole Assurances (CAA) a accepté de jouer le jeu. Cela tombe bien : leur filiale Predica, qui produit les assurances vie du Crédit Agricole et de LCL, affiche des rendements entre 1,9 et 2,3% pour ses fonds euros en 2022. Une hausse de 1,25 point !

BanquesContrat phareTaux 2021Bonus max 2021Taux 2022Bonus max 2022
Banque PopulaireHorizéo 20,75%1,10%1,45%2,70%
BNP ParibasBNP Paribas Multiplacements1,10%1,65%2%2,95%
Caisse d'EpargneMillevie Essentielle 20,75%-1,45%2,18%
CICPlan Assurance Vie Essentiel1,10%1,60%2,10%2,75%
Crédit AgricolePrédissime 9 série 20,65%1,45%1,90%2,70%
Crédit MutuelPlan Assurance Vie Essentiel1,10%1,60%2,10%2,75%
Crédit Mutuel ArkéaNavig'Options0,85%1,20%1,70%2%
La Banque PostaleCachemire 2 Série 2--1,40%2,80%
LCLLCL Vie1,05%1,85%2,30% *3,10% *
Société GénéraleErable Essentiel et Séquoia0,75%1,84%1,95%
(taux moyen)
-

La Société Générale communique un taux moyen, et non un taux de base, ce qui rend toute comparaison impossible avec les autres enseignes.
* Taux pour 0,60% de frais de gestion, ces frais étant variables selon les contrats.

S'aligner avec les taux d'intérêt ?

Comment expliquer une telle performance ? Gilles Demonsant, directeur adjoint épargne et retraite individuelle chez CAA, lie cela au contexte global. « La raison principale, c'est le changement majeur d'environnement économique et financier. La hausse, probablement durable, de l'inflation, et la forte remontée des taux d'intérêt. Nous voulons permettre à l'ensemble de nos clients d'en bénéficier, de façon homogène. »

Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site spécialisé Good Value for Money, traduit cela par une « culture bancaire ». « On peut y voir la volonté que le taux du fonds en euros reflète relativement bien le niveau actuel de l'OAT. » L'OAT, Obligation assimilable du Trésor, est l'un des piliers de la poche obligataire des fonds euros.

Cet emprunt de l'Etat Français distribue des coupons annuels garantis. Or après des années de chute, l'« OAT 10 ans » de la France tutoie désormais les 3%. « Lorsqu'il était en territoire négatif, les rendements des fonds bancaires ont davantage baissé. Maintenant que l'OAT remonte fortement, ce sont ceux qui progressent le plus. » Attention aux généralités, prévient Gilles Demonsant. « Bien sûr, les taux d'intérêt impactent le rendement actuel et futur des actifs. Mais il ne faut pas oublier l'inflation. »

Assurance vie : le classement des taux 2022, du meilleur au pire

Éviter de trop nombreux retraits

Légalement, les assureurs sont libres de déterminer les rendements, chaque année. Si les vannes s'ouvrent, c'est que Cyrille Chartier-Kastler y voit un objectif stratégique. « Ce n'est pas une surperformance. Les banques ont remonté très fortement les rendements pour limiter la décollecte ! » Une situation que vivent les fonds euros depuis de nombreux mois « Plus le taux est bas, plus il y a de risque que cela s'accélère, confirme le fondateur de Good Value for Money. Les banques ayant une grande part des stocks de fonds euros du marché, elles sont donc plus exposées. »

« Il ne faudrait pas que les rendements des fonds euros soient décrochés d'autres alternatives »

S'il assure que le « risque d'une décollecte importante est faible », l'assurance vie étant un placement de long terme « pour des raisons souvent patrimoniales et fiscales », notre interlocuteur de Crédit Agricole Assurances ne nie pas cet argument. « Dans le paysage global de l'épargne, il ne faudrait pas que les rendements des fonds euros soient décrochés d'autres alternatives. L'assurance vie garde ses avantages patrimoniaux, mais doit rester au niveau du marché. »

D'autant que les nouveaux capitaux collectés sont l'opportunité d'acquérir des obligations nouvelles livrant des rendements bien plus intéressants : « Une dynamique de collecte et de développement favorable permettra d'investir sur des actifs ayant un meilleur rendement, ce qui aura un effet bénéfique sur la performance globale du fonds en euros dans les prochaines années », résume Gilles Demonsant. Même si Cyrille Chartier-Kastler le rappelle : « Vu l'intensité de la hausse des taux, les fonds en euros seront toujours en retard ! » Le fameux effet paquebot : les stocks sont tels qu'il faudrait des années d'investissement pour infléchir réellement les résultats.

La concurrence du Livret A

Le fondateur de Good Value for Money ajoute un argument pour ce rebond. « Pour l'univers bancaire, la référence de l'épargne règlementée compte pas mal. Sur l'extranet d'une banque, c'est facile d'arbitrer son épargne. »

« Sur l'extranet d'une banque, c'est facile d'arbitrer son épargne »

Avec un Livret A et un Livret de développement durable et solidaire (LDDS) à 3%, il identifie une situation de « concurrence interne » : « Si vous épargnez tous les mois 150 euros sur un contrat qui ne rapporte quasiment rien, et qu'en face les livrets sont à 3%, il y a un énorme risque que des clients arrêtent de verser, ou placent ces fonds sur les livrets. Sans compter les éventuels rachats partiels. « Imaginons que les banques servent du 1,1% cette année. Elles prennent le risque d'une réduction des flux à l'entrée », poursuit Cyrille Chartier-Kastler.

Même si Gilles Demonsant rappelle que Livret A et assurance vie « ne sont pas comparables », il confirme que la hausse des rendements vise à limiter l'envie des épargnants de « placer leurs fonds sur d'autres produits ».

L'effet des provisions

De moins de 1% à 2% ou plus, les fonds euros bancaires passent des dernières places à la moyenne haute du marché. « Les rendements partaient de très bas, pour une raison simple : dissuader l'épargnant d'aller sur le fonds en euros ! », glisse Cyrille Chartier-Kastler. Mais le spécialiste l'assure : les taux servis étaient « artificiellement bas », une partie de la performance étant placée en provisions pour participation aux bénéfices (PPB). Une somme stockée pour améliorer les résultats en cas de période trouble.

« Les rendements partaient de très bas, pour une raison simple : dissuader l'épargnant d'aller sur le fonds en euros ! »

« Ces dernières années, les bancassureurs ont constitué les plus grosses provisions du marché ! », explique Cyrille Chartier-Kastler. Fin 2021, Predica avait ainsi en provision 5,94% de rendement, contre 6,10% pour le CNP (La Banque Postale), 6,13% pour Cardiff (BNP) et même 7,21% pour le Crédit Mutuel/ACM ! Cette année, il a donc suffi de puiser dans les provisions !

« Nous avons constitué des réserves importantes pendant la période de taux bas, détaille Gilles Demonsant. En 2022, avec l'évolution marquée des circonstances économiques et financières, on a choisi de prendre une petite partie de ces réserves pour améliorer le rendement servi aux assurés de façon significative, tout en maintenant une politique de provisions prudente. » « Ce n'est pas un cadeau. Cet argent appartient aux épargnants ! », rappelle Cyrille Chartier-Kastler.

Rebelote pour 2023 ?

Au vu des prévisions, il est probable que la situation soit équivalente l'an prochain. Du côté du Crédit Agricole, on s'interdit de commenter l'avenir. Gilles Demonsant indique simplement que l'assureur du groupe a « une politique de rémunération cohérente dans le temps ».

Donc la logique qui prévaut en 2022 devrait également s'appliquer en 2023. « Car on ne s'attend pas à ce que les taux d'intérêt baissent tout de suite », anticipe Cyrille Chartier-Kastler. « Le schéma du marché devrait donc rester le même : utiliser la PPB pour augmenter les taux. »

Il préjuge ainsi d'un « taux moyen 2023 de l'ordre de 2,5% ». Mais il estime que ce n'est pas la panacée. « Si les fonds euros montent, c'est que le Livret A, en parallèle, va continuer à monter. » À ses yeux, si l'on a de l'argent à placer, « il n'y a pas intérêt à le mettre sur les fonds euros, surtout si les livrets A et LDDS ne sont pas remplis. Car même si un fonds euros livre 2%, « en déduisant les frais et prélèvements, on arrive à 1,5%, soit deux fois moins que le Livret A ».

Livret A ou assurance vie : quel placement vous a fait gagner le plus d'intérêts en 2022 ?

Face aux doutes des épargnants, Crédit Agricole Assurances se veut même rassurant. « L'assurance vie reste utile pour des placements de moyen-long terme. Le socle du fond en euros retrouve son attractivité. Un contrat diversifié incorporant des obligations et d'autres classes d'actifs issues des marchés action et immobilier a tout son sens pour l'avenir. »

Même si les épargnants seront de plus en plus regardants sur les performances, suggère Cyrille Chartier-Kastler : « Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots. Ils se rendent bien compte de ce qu'ils ont comme taux par rapport aux autres supports financiers. Si cette année les taux étaient restés à 1%, il y aurait eu une réaction. »

Le comparatif des assurances vie à frais réduits