L'emploi bancaire est en crise. Les agences bancaires peinent à recruter et à fidéliser leurs collaborateurs, dont plus de la moitié démissionnent avant 5 ans. Comment en est-on arrivé là ? Pour mieux comprendre, nous avons recueilli le témoignage de Nathalie, conseillère financière depuis une trentaine d'années.

La banque de détail ne parvient plus à fidéliser ses conseillers financiers en agence. Selon des chiffres du SNB CFE-CGC, le premier syndicat bancaire, 30% des salariés rejoignant le secteur ont démissionné au bout de deux ans. Et 60% ne sont plus là au bout de cinq ans. « Depuis le Covid, la banque connait une hypertension sur l'emploi », confirme Frédéric Guyonnet, président national du SNB. « Il y a des trous partout, dans toutes les banques et toutes les régions. »

En 2021, derniers chiffres disponibles (1), 4 départs de salariés en CDI sur 10 étaient des démissions. Et le plus souvent, c'est pour quitter le secteur bancaire. « Un phénomène nouveau », estime Frédéric Guyonnet. « Avant le Covid, il y avait déjà des démissions. Cependant, ces salariés restaient dans le secteur, ils changeaient seulement de banque pour évoluer dans leur carrière. »

« En interne, on nous appelle des vendeurs »... Un jeune banquier au bord de la démission témoigne

Comment expliquer qu'autant de travailleurs fuient cette profession autrefois valorisée ? Pour tenter de comprendre, nous avons recueilli le témoignage de Nathalie (2). Elle a commencé à travailler en agence bancaire il y a une trentaine d'années. D'abord comme chargée d'accueil pour une banque régionale mutualiste puis, après une interruption de carrière, comme chargée de clientèle dans une grande enseigne nationale, pendant une quinzaine d'années. Elle a depuis changé d'employeur, pour revenir dans une banque régionale mutualiste.

Sous couvert d'anonymat, elle a accepté de nous raconter ses déceptions et ses doutes. Son témoignage, évidemment, n'est pas représentatif de toutes les expériences vécues par les conseillers financiers. Mais il fournit un bon aperçu des difficultés du métier.

En sous-effectif chronique

En 30 ans de carrière, Nathalie a été témoin des profonds bouleversements qu'a connus l'industrie bancaire, sous l'effet notamment de sa numérisation croissante. « Le choix du numérique est assez ancien, mais la transformation s'est accélérée depuis 2015. Depuis cette date, les conseillers ont de fortes incitations à partir et ils sont de moins en moins dans les agences. »

Résultat : l'accueil des clients s'est dégradé. « Auparavant, dans l'agence où je travaillais, tous les clients pouvaient être reçus facilement », poursuit Nathalie. « Ce n'est plus le cas aujourd'hui : ils doivent prendre rendez-vous pour nous rencontrer, et nous avons tendance à privilégier les clients qui ont du patrimoine. Les autres sont renvoyés vers l'application ou le site internet. Nous ressemblons de plus en plus à une banque en ligne. Pourtant, les clients continuent de payer le tarif d'une banque en face à face. »

« Nous ressemblons de plus en plus à une banque en ligne. »

Les réductions d'effectifs sont une chose. Mais il y a aussi l'absentéisme. « Durant ma dernière année chez mon ancien employeur, entre les démissions et les arrêts maladie, nous avons tourné avec 50% des effectifs dans mon agence », explique Nathalie. « Pour compenser, nous avons dû faire beaucoup d'heures supplémentaires. » Une surcharge de travail qui a convaincu Nathalie de changer d'enseigne.

Le culte du PNB

PNB, pour « produit net bancaire », soit l'équivalent du chiffre d'affaires dans le monde de la banque. Un concept désormais omniprésent dans le quotidien des conseillers financiers. « Dans les banques commerciales, comme BNP Paribas ou Société Générale, la quête permanente du PNB, et la pression qui va avec, est présente depuis longtemps », nuance Frédéric Guyonnet. « Ce n'est pas le cas dans les banques régionales mutualistes, où ce virage commercial est plus récent. Certains profils peinent à s'y adapter ».

Ce n'est pas le cas de Nathalie. « Avoir des objectifs à atteindre, c'est le principe du commercial », explique-t-elle. « Mais aujourd'hui, on ne nous parle plus que de PNB ». La pression pèse également sur les épaules des directeurs d'agence, et, face à elle, tous ne répondent pas de la même façon. « Certains parviennent à rester humains, d'autres non. J'ai été témoin de pratiques qui s'apparentent à du harcèlement moral, et qui ont d'ailleurs entrainé des mises à pied. »

Plus que la pression commerciale, c'est le manque d'autonomie que Nathalie trouve pesante. « On nous impose de travailler des cibles particulières, on nous demande en permanence de faire remonter nos chiffres, on nous met la pression sur le nombre de rendez-vous... Je connais mon portefeuille de clients, je connais aussi mes objectifs de production, je suis capable de gérer seule. »

« Les managers nous mettent en compétition, cela fait partie du mal-être au travail. »

Autre problème : la mise en concurrence interne. Dans la banque où travaille actuellement Nathalie, les conseillers financiers doivent signaler, dans un espace informatique partagé, toutes leurs ventes en temps réel. Chez son ancien employeur, les remontées de chiffres étaient quotidiennes et servaient à alimenter un classement, pondéré en fonction des objectifs de vente fixés par la direction.

Un classement publié chaque semaine, « à la vue de tous ». En clair, tout le monde peut connaître en permanence les chiffres de vente des collègues. « Les managers nous mettent en compétition, cela fait partie du mal-être au travail », explique Nathalie. « Lorsque vous êtes en haut de tableau, ça va. Vous êtes même félicité. Mais, quand ce n'est pas le cas, parfois juste parce que vous êtes sur un secteur moins porteur, c'est très dur à vivre. »

Le risque du défaut de conseil

Ce système de mise en concurrence entraîne des dérives. « Lorsque vous êtes en retard au classement, vous pouvez être tenté d'axer sur le produit qu'il faut vendre plutôt que celui qui est le plus adapté. »

Une tentation à laquelle Nathalie n'a jamais succombé : « Je suis droite dans mes bottes, je refuse de changer de trottoir quand je croise un client dans la rue. » Elle a, en revanche, été témoin de pratiques très problématiques. Elle nous en donne un exemple : « Un de mes prédécesseurs conseillait des assurances vie avec mandat de gestion actions à des clients qui souhaitaient placer l'argent de la vente de leur maison pour quelques mois, en attendant de racheter. Un produit totalement inadapté, puisque présentant un risque pour le capital, mais qu'il était encouragé à vendre, car il rapporte beaucoup de PNB. »

« Aucune banque ne licencie pour un manque de résultats. »

« Il s'agit clairement d'un défaut de conseil », réagit Frédéric Guyonnet, du SNB CFE CGC. « Il faut le rappeler : aucune banque ne licencie pour un manque de résultats. En revanche, on peut être licencié pour avoir sacrifier le défaut de conseil. Les banques, en principe, interdisent les classements individuels selon les résultats commerciaux. Il peut s'agir d'initiatives locales de la part de managers souhaitant atteindre leurs objectifs. »

(1) Source : Association françaises des banques (AFB), qui représentent les banques commerciales, hors banques mutualistes. (2) A la demande de notre témoin, son prénom a été changé. Aucune indication concernant sa situation géographique et ses employeurs n'a été conservée.