La France a échappé jusqu’ici aux fermetures massives d’agences bancaires, initiées dans la plupart des autres pays européens. Mais cette exception française a-t-elle encore un avenir ? Et comment les enseignes tricolores peuvent-elles rentabiliser leurs réseaux ?

Les chiffres de la Banque centrale européenne (BCE) sont formels : il y a une exception française en matière de réseaux bancaires. Depuis 2012, la France a supplanté l’Espagne pour devenir le pays de l’Union européenne comptant le plus d’agences sur son territoire. En 2015, derniers chiffres connus, elle comptait ainsi 37 567 points de vente bancaires, contre 34 045 en Allemagne - 1ère économie européenne et pays le plus peuplé -, 31 087 en Espagne, 30 475 en Italie et seulement 10 760 (1) au Royaume-Uni. La France et ses 35 800 communes peut ainsi s’enorgueillir de posséder, avec 570 agences par million d’habitants, une des plus fortes densités d’agences bancaires au monde.

Et l’exception pourrait durer. Les banques européennes ont en effet revu largement à la baisse leurs réseaux depuis le début de la décennie. Au niveau de la zone euro, le nombre de points de vente est passé entre 2011 et 2015 de 176 000 à 156 000, soit une baisse de plus de 11%. Un phénomène qu’on retrouve dans des proportions comparables en Allemagne (-9,6%) et au Royaume-Uni (-9%), et de manière exacerbée en Espagne (-22%) et aux Pays-Bas (-33%). Mais pas en France, où le nombre d’agences n’a baissé sur la période que de 2,2%.

Le tabou des fermetures massives est tombé

Pourtant, les Françaises n’échappent pas plus que leurs homologues européennes à la conjoncture particulièrement défavorable que subissent aujourd’hui les activités bancaires de détail. D’un côté, une révolution technologique, celle du numérique et du mobile, qui « autonomise » les clients et les éloignent des agences : ils ne sont plus que 20% (et 13% des 18-24 ans), selon l’Observatoire 2016 de l’image des banques de la FBF, à fréquenter leur agence plusieurs fois par mois. De l’autre des revenus amputés, de l’ordre de 15 à 20%, en raison des taux bas - les dépôts rapportent moins, voire plus rien - et de la réglementation qui plafonnent les frais et commissions.

Ainsi, leur rentabilité mise sous pression, les banques tricolores sont de plus en plus tentées de faire tomber le tabou des fermetures d’agences. La première enseigne à le faire a été la Société Générale - qui, ce n’est sans doute pas un hasard, possède le leader français de la banque en ligne Boursorama Banque. La banque de la Défense a annoncé en septembre 2015 la fermeture, à l’horizon 2020, de 400 agences, soit 20% de son réseau. LCL (247 fermetures d’ici 2020, 13% du réseau), BNP Paribas (200 fermetures d’ici 2020) et plus récemment Banque Populaire-Caisse d’Epargne (400 fermetures d’ici 2020) se sont engouffrées depuis dans la brèche.

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Les mutualistes, une particularité française

Assiste-t-on, alors, à un rattrapage des banques françaises par rapport à leurs homologues européennes ? Doit-on anticiper la fermeture dans les années à venir d’environ une agence bancaire sur dix, comme dans le reste de la zone euro ? C’est la crainte de certaines organisations syndicales, qui présentent la banque comme la « sidérurgie de demain ».

Deux attitudes doivent toutefois être distinguées. D’un côté, les grandes enseignes commerciales nationales (Société Générale, LCL ou BNP Paribas) haussent clairement le rythme des fermetures, tout en affectant des budgets substantiels à leur transformation numérique ; de l’autre, les banques mutualistes, qui se contentent pour l’instant de maintenir un petit train de fermetures.

« Ces grandes enseignes mutualistes sont une particularité du marché français », constate Fathy Trabelsi, General Manager Banking & Capital Market chez DXC Technologies. « Et elles continuent à accorder une très grande importance à leur réseau d’agences. » Car l’exception bancaire française est aussi une exception culturelle. « Le capital confiance que représente l’agence, en matière de sécurité, de proximité, d’expertise, constitue toujours une part importante de la promesse de ces enseignes, qui n’oublient pas le côté émotionnel de la relation bancaire », poursuit Fathy Trabelsi.

La présence d’agences nombreuses, y compris dans les petits villes, signe aussi l’implication de ces enseignes dans le tissu économique local, et continue à entretenir leur notoriété. « Maintenir une agence bancaire est aussi un enjeu marketing », confirme Fathy Trabelsi.

Des coquilles (plus ou moins) vides

D’un côté, une conjoncture dégradée qui pèse sur la rentabilité ; de l’autre des enseignes qui font le choix de maintenir leurs réseaux. Comment les banques françaises parviennent-elles à équilibrer cette équation ? « C’est effectivement un challenge », souligne Fathy Trabelsi. « Pour maintenir leur rentabilité, les banques doivent repenser l’agence, imaginer une autre organisation ». Celle-ci passe immanquablement par une baisse des effectifs : ainsi, si le nombre d’agences en France n’a diminué que de 2,2% entre 2011 et 2015, le nombre d’employés des banques a lui baissé deux fois plus vite : -4,4%.

« Nous allons voir le développement d’agences où les conseillers ne seront plus présents à temps plein, mais effectueront des permanences. Le reste du temps, ces lieux seront de simples points d’accès digitaux », annonce ainsi Fathy Trabelsi. Des coquilles (plus ou moins) vides, donc, mais qui assureront la présence des enseignes dans les territoires.

(1) Chiffres 2014