La réforme du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu est la grande oubliée des bilans du quinquennat Macron. L'explication est double. Un, la réforme a été préparée sous Hollande avant d'être mise en œuvre sous Macron. Deux, il ne s'agit pas vraiment d'une réforme fiscale. Il n'empêche : MoneyVox y consacre un épisode de la série « bilan des réformes » du quinquennat.

« Cette réforme change la manière et le rythme de paiement de l'impôt. Sur le calcul de l'impôt final, cette réforme n'a apporté aucun changement. » Ce rappel, clair et net, signé Brice Fabre, directeur du programme « fiscalité des ménages » à l'Institut des politiques publiques (IPP), permet d'expliquer pourquoi la réforme du prélèvement à la source ne figure pas dans les multiples bilans fiscaux du quinquennat Macron. Le concept de l'impôt à la source, en bref : calculer la part de vos revenus que vous consacrez à l'impôt sur le revenu, transformer cela en taux de prélèvement, et appliquer ce taux à tous vos revenus : salaire, pension de retraite, revenus fonciers, d'indépendant, etc. Ce qui n'empêche pas de déclarer vos revenus, avant de régler le solde restant à payer.

Pas une « vraie » réforme fiscale. Certes. Mais un big bang tout de même ! Rappelez-vous des craintes précédant ce basculement. Rappelez-vous des campagnes d'information du fisc, de la découverte d'un tout nouveau vocable (taux individualisé, taux neutre, CIMR, année blanche, etc.), des bulletins de salaire revisités, du calendrier fiscal totalement chamboulé, etc. Flash-back... et une question : cette réforme est-elle réellement une « réussite » sur toute la ligne ?

D'où vient cette réforme ?

1966, 1974, 1990, 2007... Prélever l'impôt sur le revenu à la source, directement sur les revenus, plutôt que d'attendre la déclaration annuelle, a longtemps été une lubie inassouvie des gouvernements français. Jusqu'en 2015, quand le président de la République d'alors, François Hollande, relance ce chantier en vue d'une application en 2018. Cheville ouvrière du projet : Christian Eckert, secrétaire d'Etat chargé du Budget. La réforme est ficelée, votée et promulguée via la loi de finances pour 2017. Entrée en vigueur prévue : 1er janvier 2018.

Surprise, vendredi 7 mai 2017 : la retenue à la source de l'impôt n'entrera « en toute hypothèse » pas en vigueur en janvier 2018 si Emmanuel Macron est élu, déclare celui qui était alors candidat qualifié au second tour. Une demi-surprise puisque lorsqu'il était ministre de l'Industrie d'Hollande, Emmanuel Macron était loin d'être le premier supporter de cette réforme au gouvernement. Dont acte : report d'un an pour mieux enterrer la réforme ? Finalement non, notamment car Bercy et l'administration fiscale ont tellement balisé cette réforme qu'un abandon serait mal venu... Mardi 4 septembre 2018 : « L'impôt sur le revenu sera prélevé à la source au 1er janvier 2019 », confirme le Premier ministre d'alors, Édouard Philippe.

Le gouvernement Philippe et le ministre délégué au Budget Gérald Darmanin mettent en œuvre cette réforme préalablement préparée par Bercy, « avec un ajustement de dernière minute sur les crédits et réductions d'impôt » pour reprendre les mots d'Anne Guyot-Welke, secrétaire générale de Solidaires Finances Publiques : une avance équivalente à 60% des crédits et réductions habituelles, versée dès la mi-janvier. Car c'est l'un des points faibles de la réforme initiale : le calcul du prélèvement à la source n'intègre pas les crédits et réductions d'impôt. D'où ce mécanisme de l'avance, proposé dès 2016 par le député PS Dominique Lefebvre, puis adopté, mais nettement boosté par le gouvernement Philippe qui double le montant de l'avance (de 30% à 60%) et anticipe le versement. Il passe de mars à mi-janvier. La désormais traditionnelle bonne nouvelle du 15 janvier !

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Un ultime ajustement qui n'a « pas nui », juge après-coup Christian Eckert. Plus de 3 ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, l'ancien secrétaire d'Etat regrette « l'appropriation excessive » de cette réforme – mise en œuvre sans gros bug et désormais saluée par la Cour des comptes – par son successeur Gérald Darmanin : « Je trouve que c'est vraiment dommage de ne pas avoir pointé cette continuité, montrer que l'on est capable de mener une réforme sur deux gouvernements. (...) Tout était prêt... » Mais il reconnaît tout de même un mérite à Gérald Darmanin : « Suite au report, il a plaidé aller au bout de cette réforme, avec Bruno Parent, directeur général des finances publiques. »

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Pas d'« accident industriel ». Mais quels résultats ?

Les syndicats Solidaires Finances Publiques, CGT et FO prédisaient un « accident industriel ». De fait, et mis à part de logiques difficultés au moment de la bascule, la catastrophe n'a pas eu lieu : « L'accident n'est pas survenu et tant mieux car cela aurait lourdement handicapé le budget de l'État », réagit la secrétaire générale de Solidaires Finances Publiques.

La Cour des comptes a livré fin janvier 2022 un inhabituel bilan très satisfaisant pour cette réforme, rapport que les locataires de Bercy Bruno Le Maire et Olivier Dussopt se sont empressés de saluer. Quelques chiffres livrés pas la Cour des comptes, pêle-mêle : 81% de Français ne souhaitent pas d'un retour à l'ancien système, 98% des revenus soumis à l'impôt sur le revenu sont désormais en premier lieu ponctionnés à la source, baisse de 55% des demandes de délais de paiement (suite à des difficultés de règlement de l'impôt)...

Nec plus ultra, cette réforme ? Pas si sûr. « Le taux de recouvrement de l'impôt n'a pas évolué, ou uniquement de 0,5 point... Nous sommes déjà à 99% et c'est impossible d'atteindre les 100%, même avec le prélèvement à la source », nuance Anne Guyot-Welke.

Et suite à ce big bang l'administration fiscale a fait face à un afflux de questionnements, d'interrogations ou autres réclamations : « Entre 2018 et 2019, près de 2 millions de courriels supplémentaires ont été envoyés à l'administration fiscale et 2,7 millions d'appels téléphoniques de plus ont été adressés à l'administration fiscale », lit-on dans le rapport de la Cour. Et le nombre de visites sur impots.gouv.fr a bondi de 39% dès 2018 ! Pendant que les délais de réponse par courrier ou téléphone « se sont dégradés sur la période 2017 à 2020 ». Mais la Cour des comptes reconnaît être incapable d'effectuer un véritable bilan chiffré des « sollicitations des usagers », la faute à un décompte incomplet des appels et courriers reçus par « les services locaux » du fisc avant 2020...

Le bilan est-il si positif ?

Au final, mention bien, voire très bien, juge la Cour des comptes : « Une réussite, tant dans son rapport coût-rendement favorable que par son taux d'approbation élevé auprès de la population ». Mais ce rapport en appelle d'autres. La Cour des comptes elle-même regrette l'absence d'un bilan plus complet réalisé par l'Inspection générale des finances (IGF). « Nous regrettons aussi l'absence d'un bilan plus exhaustif réalisé par l'IGF, souligne Anne Guyot-Welke. Car il s'agit d'un investissement très significatif, dans un contexte de suppression d'emploi au sein des finances publiques : nous estimons le coût global de cette réforme à 214 millions d'euros. » Le même chiffrage apparaît dans le rapport de la Cour des comptes, qui précise que le « coût complet » pour l'économie française est supérieure, avec les « investissements consentis par les entreprises (...) notamment leurs logiciels de paie ».

Une réforme réussie. Mais ce coût de 214,6 millions d'euros en valait-il la chandelle ? Anne Guyot-Welke reste sceptique : « Il y avait d'autres alternatives plus simples, à commencer par le développement du prélèvement mensuel de l'impôt sur le revenu, chantier qui était déjà bien avancé. Or on a vendu de la contemporanéité et celle-ci n'est pas réelle : il y a toujours un décalage d'un an pour la déclaration et le paiement du solde final. Et nous avons encore aujourd'hui des doutes sur le fait que les contribuables aient le réflexe d'aller moduler leur taux de prélèvement en cas d'évolution familiale ou professionnelle. »

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Les chantiers qui restent en cours

Un retour en arrière est désormais hautement improbable ! Alors jusqu'où ce prélèvement automatique peut-il aller, afin de gommer les derniers points faibles ? Un chantier parallèle, et intimement lié, est déjà en cours, celui de la déclaration automatique (sans avoir à valider le document sur impots.gouv.fr), lancé en 2020 pour près de 12 millions de foyers. Il reste en cours de développement. Dans ce cadre, la promesse émise en 2020 de la déclaration automatique des dons aux associations reste elle lettre morte. Le calendrier des dons préremplis reste inconnu à ce stade. Sur ce point, Christian Eckert vient défendre les services de la DGFiP : « Nous sommes sur des sommes plus modestes : que ce ne soit pas la priorité, alors qu'ils ont dû gérer la crise sanitaire, est compréhensible. »

Le prochain chantier directement lié au prélèvement à la source, en 2022, est celui l'avance immédiate du crédit d'impôt emploi à domicile. Les utilisateurs du service Cesu+ peuvent d'ores et déjà le réclamer. Ce sera à partir d'avril pour les clients des prestataires de services à la personne. Et en 2024 pour la garde d'enfant via Pajemploi. Work in progress.

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