Quand une « prime exceptionnelle de pouvoir d'achat », c'est son nom officiel, devient un coup de pouce annuel et récurrent. Et quand ce coup de pouce devient même une promesse de campagne. Suite de notre série sur les réformes du quinquennat Macron.

Prime Bertrand ou prime Macron ? Début décembre 2018, en pleine crise des Gilets jaunes, c'est Xavier Bertrand, qui propose « une prime de pouvoir d'achat » de « quelques centaines d'euros » sans charges ni impôt. Le président de la région Hauts-de-France, à l'époque non encarté chez LR, comptait ainsi désamorcer l'escalade de la crise des Gilets jaunes. Une proposition qui a rapidement séduit les locataires de Bercy... Fin décembre 2018, cette prime exonérée de charges sociales et d'impôt sur le revenu, figure parmi les mesures d'urgence votées par le Parlement. Dès janvier 2019, la toute nouvelle PEPA, pour prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, est surnommée « prime Macron », au moment où le président de la République se lance dans l'arène avec son « grand débat national ».

Ce que les Gilets jaunes ont obtenu sur le pouvoir d'achat

C'est quoi cette prime ?

Prime Macron ou PEPA, peu importe son nom, le principe d'origine est celui d'une mesure d'urgence, ponctuelle, face à la crise des Gilets jaunes. Version PEPA 2019 : un bonus de 1 000 euros pour les salariés rémunérés jusqu'à 3 600 euros net, l'équivalent de 3 Smic, mais uniquement dans les entreprises volontaires pour la distribuer, à condition de la version avant mars 2019.

Initialement, la collection PEPA 2020 est moins généreuse. Sauf qu'à la fin de l'hiver 2020 surgit la pandémie de Covid-19. La « PEPA 2020 rabotée » devient la « PEPA Covid reboostée ». Encore mieux que la « collection Gilets jaunes » : 1 000 euros totalement défiscalisés pour les salariés et entreprises, cette fois avec un bonus à 2 000 euros en cas d'accord d'intéressement ainsi que pour les salariés dits de la « 2e ligne ». En pleine crise sanitaire, la date limite de versement est repoussée à la fin août 2020... puis à fin décembre 2020.

Rebelote en 2021. D'abord, rien. Puis en pleine « conférence du dialogue social » le Premier ministre Jean Castex annonce mi-mars ressusciter la prime Macron, collection PEPA 2021-2022, puisque son versement est à cheval sur deux années. La « prime Macron 2022 » est en effet encore en cours de distribution, depuis le 1er juin 2021. Date limite pour la verser aux salariés : le 31 mars 2022. Passé le 31 mars, l'exonération fiscale saute. Les conditions sont quasi identiques à celles de la PEPA 2020 : 1 000 euros totalement défiscalisés pour les mêmes salariés payés jusqu'à 3 Smic, sans condition. Mais aussi 2 000 euros, sans condition, dans les sociétés de moins de 50 salariés, pour la « 2e ligne face Covid », et en cas d'intéressement pour les plus grosses entreprises.

Bilan chiffré : triple succès

Collection PEPA 2019 : un carton. Plus de 400 000 sociétés ont annoncé avoir joué le jeu de la « prime Macron ». Résultat : 4,8 millions de salariés bénéficiaires, pour un montant moyen de 401 euros. Plus d'une grande entreprise (250 salariés ou plus) sur deux a versé la prime Macron 2019. Un bémol : 17% seulement dans les TPE, même si le montant moyen y grimpe à plus de 500 euros dans ces petites entreprises.

Collection PEPA 2020 : un carton, bis. Près de 5 millions de bénéficiaires, à nouveau, pour une prime moyenne de 590 euros, lit-on dans l'annexe de la loi de finance rectificative 2021. Finalement plus de 6 millions de salariés en auraient profité selon les derniers chiffres livrés par Bercy.

Collection PEPA 2021, toujours en cours : un « presque » carton. « Ce sont presque 4 millions de salariés qui en 2021 ont profité du versement d'une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat par les entreprises sur la base du volontariat », a affirmé le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, à l'Assemblée, dans des propos rapportés par l'AFP. Montant moyen : 506 euros.

Coup de pouce, effet d'aubaine ou épargne salariale déguisée ?

Statistiquement parlant, le gouvernement d'Emmanuel Macron a tout bon. Mais faut-il se limiter à l'excellent bilan statistique ? Pas sûr. Première critique, signée l'Insee, qui pointe un possible « effet d'aubaine » dès la prime 2019 : « même si la prime ne peut se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial ou par le contrat de travail, des établissements auraient sans doute versé, sous une forme différente, au moins une partie du montant de cette prime en l'absence de cette mesure ». Bref, la prime Macron ne remplace pas d'autre rémunération... mais indirectement elle permet parfois de ne pas augmenter le salaire. Dommage, pour le salarié : une prime incertaine prendrait ainsi la place d'une hausse fixe et durable...

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Deuxième critique, partagée par la plupart des syndicats salariés et émise à la mi-mars à l'annonce du retour de la prime Macron, saison 2021-2022 : « son versement optionnel par les employeurs n'est pas à la hauteur des enjeux », grogne l'Unsa, dans une saillie similaire à celle de la CGT. Traduction : ce bonus annuel dépend uniquement du bon vouloir de l'employeur.

Troisième bémol. Cette prime Macron est censée viser les classes moyennes et être égalitaire au sein de l'entreprise. Mais, dans une même entreprise, son montant peut être soit « uniforme », soit être « modulé » en fonction de plusieurs critères : rémunération, niveau de classification, durée de présence effective et durée de travail. Bref, un mode de modulation qui ressemble à celui de l'intéressement ou de la participation...

« Il ne faudrait pas qu'elle finisse par se substituer à l'épargne salariale »

« C'est toujours bienvenu pour le salarié ! » commence Hubert Clerbois, président du cabinet spécialisé dans l'épargne entreprise et la protection sociale EPS Partenaires. Avant de se montrer bien plus sceptique sur le bien-fondé de cette PEPA : « Il s'agissait à l'origine d'une réaction à une crise. Or les entreprises disposaient déjà des dispositifs de participation et d'intéressement. Ponctuellement, dans un contexte de crise, cette prime a pu inciter les entreprises à verser de l'argent sans trop de contraintes. Mais elle n'avait pas vocation à durer. »

D'où ce 4e effet pervers : « Dans le code du travail, il est écrit que l'épargne salariale ne doit pas se substituer à la rémunération, prime incluse, insiste Hubert Clerbois. En ce sens, cette prime Macron est paradoxale puisqu'elle risque, elle, de se substituer à l'épargne salariale... » Problème, pour le salarié : cette prime Macron dépendant de la générosité de l'employeur prendrait le pas sur des dispositifs bien plus encadrés, et donc plus sûrs d'être renouvelés lors des prochaines années. Surtout, les primes moyennes dépassent le simple au triple : 506 euros pour la PEPA, 1 909 euros pour l'intéressement.

Fiscalement parlant, les employeurs ont-ils intérêt à privilégier la prime Macron à un dispositif d'épargne salariale ? Non : « Pour les entreprises, la PEPA a surtout l'avantage de la simplicité. Fiscalement, avec un forfait social à zéro pour les TPE et PME [jusqu'à 250 salariés pour l'intéressement, jusqu'à 50 salariés pour la participation, NDLR] les dispositifs existants sont déjà très avantageux. »

Une prime inscrite dans le marbre en cas de réélection ?

Appréciation globale de la PEPA : copie mitigée, excellent en maths, argumentaire inégal. Pourtant, le président-candidat persiste et signe... et veut même renforcer cette prime, qui sera triplée (3 000 euros sans conditions, 6 000 euros en cas d'intéressement) en cas de réélection. La PEPA deviendrait même le troisième pilier de l'épargne salariale au sein d'un concept global de « dividende salarié » qui contraindrait toute entreprise versant des dividendes à en faire profiter ses salariés, et ce pour les sociétés de plus de 10 salariés au lieu de 50 aujourd'hui (seuil d'obligation de mise en place de la participation).

Intéressement, participation, PEE, PER : qui a droit à quoi pour son épargne salariale ?

« La PEPA n'a pas vocation à remplacer l'intéressement ou la participation ! » répond à MoneyVox Laurent Saint-Martin, rapporteur du Budget à l'Assemblée et relais du candidat Emmanuel Macron sur les sujets financiers. « On crée des outils plus accessibles à tous. Car toutes les entreprises n'ont pas la facilité de mettre en place la participation, l'intéressement ou l'actionnariat salarié. La pérennisation de la PEPA et son augmentation permettra à tous les niveaux d'entreprises de respecter cette règle de partage des profits. » La prime exceptionnelle soufflée en décembre 2018 par Xavier Bertrand a bien changé.

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