Le marché du crédit immobilier est dernièrement assez décrié dans l'Hexagone. Mais est-il vraiment si mauvais ? Alors que de nombreux emprunteurs européens rencontrent de grosses difficultés, les ménages français sont majoritairement épargnés.

« Les primo-accédants sont-ils les grands perdants de la hausse des taux ? », « Blocage des emprunteurs », « Quelles sont les principales victimes du taux d'usure ? »... Autant d'articles publiés ces derniers mois sur notre site expliquant les difficultés rencontrées par les particuliers qui souhaitent souscrire un prêt immobilier.

La période actuelle est effectivement synonyme de crispation en raison notamment d'une hausse rapide des taux de crédit qui sont passés de 1% à 3% en moyen en seulement un an pour les prêts sur 20 ans.

Le taux fixe, une vraie protection pour les emprunteurs

Mais, on oublie souvent de dire que le système de crédit à la française est plutôt vertueux. Pour preuve, le taux de défaut est très faible, à 1,24% en 2019 selon la Banque de France. « On a souvent tendance à attaquer les banques sur leur façon de prendre du risque, mais on oublie que cette façon de faire est aussi une manière de protéger l'emprunteur, confirme Cécile Roquelaure, porte-parole du courtier Empruntis. Il y a en France un système vertueux qui a tendance à moins faire souffrir l'emprunteur en période perturbée. Dans les pays anglo-saxons ou dans le sud de l'Europe, on voit que les taux variables, qui sont la norme, ont des incidences sur les ménages. »

Ainsi, selon un article du Monde, un couple ayant contracté au Royaume-Uni un crédit à taux variable en octobre 2021 a vu son taux passer de 1,44% à 4,44% aujourd'hui. La situation est la même en Espagne, où 70% du stock (3,7 millions) de crédits immobiliers ont été contractés à taux variable. Or, rappelle Le Monde, « avec la hausse des taux, pour un prêt moyen de 140 000 euros sur vingt-quatre ans, les mensualités ont augmenté de près de 230 euros, en hausse de 44% depuis 2021. »

Et la situation s'aggrave puisque les taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ont encore été augmentés jeudi 16 mars, impactant de fait les crédits à taux variables. Ces derniers sont en effet en partie indexés sur le taux d'intérêt interbancaire Euribor 3 mois fixé sur celui de la BCE.

A l'inverse, les emprunteurs de l'Hexagone ayant déjà un crédit restent donc protégés de ces hausses, grâce au système de taux fixes. « En France, les banques financent à taux fixes à 96%, contre un peu moins de 20% en Europe. Ainsi, quand il y a des hausses de taux, ce n'est pas le client qui en pâtit, développe Emmanuelle Simi, directrice marketing et banque digitale chez LCL. Ce sont bien les banques qui jouent le rôle d'amortisseur et qui prennent à leur charge la hausse des taux. À taux fixe, les mensualités de crédit restent ainsi toujours les mêmes pour l'emprunteur. »

Comment expliquer que la France, à l'inverse de certains voisins européens, ne mise pas plus sur les taux variables ? « Notre système financier n'est pas le même, on a des banques qui ne sont pas que des banques de crédits ou de dépôts mais qui font les deux, détaille Cécile Roquelaure. Ça créé un équilibre qui donne moins envie aux banques de faire peser tout le risque sur l'emprunteur. » Et plus que sur le taux d'intérêt en lui-même, les banques se rémunérent également sur les produits annexes, notamment sur l'assurance emprunteur ou sur les produits d'épargne qu'elles proposent à leurs clients.

Un taux d'usure redevenu protecteur pour les emprunteurs

Si les Français ayant déjà un ou plusieurs crédits en cours sont donc globalement épargnés par les différentes hausses de taux, le climat s'est assombri ces derniers temps pour les candidats à l'emprunt immobilier, notamment à cause du taux d'usure. Ce taux maximum autorisé au-dessus duquel une banque ne peut pas prêter a bloqué de nombreux particuliers entre l'été 2022 et janvier 2023, avant son passage à un calcul mensuel depuis le 1er février.

Car en France, le taux d'usure était jusqu'ici révisé tous les trimestres, en prenant la moyenne des taux du trimestre précédent rehaussée d'un tiers. Avec « la remontée très rapide des taux immobiliers (de 1% à 3% sur 20 ans entre janvier 2022 et février 2023, NDLR), cela créé forcément des tensions, il a fallu un moment d'adaptation », confirme Cécile Roquelaure. Mais passé ce délai, le taux d'usure est redevenu ce pourquoi il a été créé, une protection pour les emprunteurs qui empêchent les établissements bancaires de relever trop fortement leurs taux d'intérêts.

Des crédits basés sur l'endettement des ménages

Autre différence majeure : en France, l'octroi du crédit se fait sur la capacité de l'emprunteur à le rembourser, et non pas sur la valeur du bien. « On s'attache d'abord au fait que la personne qui emprunte a la capacité de le faire. On ne spécule pas sur une supposée valeur du bien immobilier », confirme Bernard Cadeau, ancien président du réseau immobilier Orpi France. Ainsi, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou dans certains pays européens, le montant du prêt dépend de la valeur du bien. Le problème, c'est qu'en cas de baisse des prix, l'emprunteur peut se retrouver en difficulté.

« Dans les pays anglo-saxons, plus vous avez de crédits, plus vous pouvez emprunter, alors qu'en France il y a le taux d'endettement qui rend difficile l'accès au crédit quand on en a déjà un », schématise Cécile Roquelaure. En France, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a édicté depuis le 1er janvier 2022 une obligation selon laquelle les mensualités des emprunteurs ne peuvent pas dépasser 35% de leurs revenus. Ainsi sur le papier, les mensualités d'un ménage gagnant 4 000 euros à deux ne peuvent pas aller au-delà de 1 142 euros.

Bernard Cadeau est cependant dubitatif concernant les normes du HCSF : « Bien sûr, il ne faut pas prêter à n'importe qui pour ne pas créer d'insolvabilité. Mais le taux de défaut en France est très faible car on sait étudier les dossiers. Or, on bloque aujourd'hui de nombreux emprunteurs qui étaient hier éligibles au crédit. Un emprunteur peut parfaitement avoir un reste à vivre suffisant, même avec un taux d'endettement de 40%. »

Les normes du HCSF viseraient donc plus à protéger les banques que les emprunteurs, comme le confirme l'économiste Xavier Timbeau, directeur principal à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : « Les normes HCSF ne sont pas vraiment là pour protéger le consommateur mais pour limiter le risque pris par la banque, ce sont des normes prudentielles. Elles visent à empêcher les banques de prêter à des échéances trop longues mais également à garder un taux de défaut très bas. »

Selon l'économiste, si le système de crédit français est objectivement plus stable que les autres, « ce système est un peu injuste dans le sens ou il y a des gagnants et des perdants. » En effet, ce taux de défaut très faible s'explique par la très forte sélection faite sur la clientèle qui accède au crédit. « On sélectionne des gens qui ne peuvent pas faire défaut, détaille Xavier Timbeau. Ce qui signifie qu'on exclue beaucoup de gens, ce qui les contraint à être sur le marché locatif et à payer des loyers assez élevés. »

« On accède plus difficilement au crédit en France qu'aux États-Unis par exemple, concède Cécile Roquelaure. On est un pays où il y a une vraie volonté de protéger le consommateur et de ne pas prendre de risque. Le système français reste extrêmement vertueux et on le verra dans les semaines et les mois à venir. » Les difficultés de nombreux emprunteurs européens sont déjà en train de nous le rappeler.

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