Les fonds euros cherchent à améliorer leur rendement, avec comme point de mire les 3% du Livret A. Car les gestionnaires le savent : pour rester compétitifs, il faudra approcher, voire dépasser les livrets règlementés.

Les assureurs soufflent un peu. Alors qu'il aurait pu être relevé à 4,1%, le taux du Livret A a été maintenu pour un an et demi, jusqu'en janvier 2025, à 3%. Une décision loin d'être anodine : elle offre l'opportunité aux fonds euros de redevenir attractifs. Avec la remontée des taux d'intérêt, tout investissement permettra d'améliorer leurs performances.

Une aubaine dans un contexte difficile. « L'un des facteurs de décision pour le maintien du taux du livret A, c'est la décollecte des fonds euros, analyse Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site Good Value for Money. Elle n'est pas massive, mais augmente mois après mois. »

Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Épargne, think tank spécialiste des sujets financiers, chiffre cette fuite des capitaux à 12 milliards d'euros de janvier à mai. Cela suggère que d'autres produits séduisent les épargnants.

« Même si les assureurs et mutuelles refusent de le reconnaître », Philippe Crevel suggère que la concurrence de l'épargne règlementée entre en ligne de compte. « Les Livrets A et Livret de Développement Durable et Solidaire ont augmenté de 32 milliards d'euros depuis le début de l'année. On peut supposer que cela inclut une petite partie de la décollecte des fonds euros. Il faut bien que l'argent aille quelque part ! »

Et encore, la rémunération des livrets règlementés aurait pu être plus importante. « Avec un Livret A à 3,5 ou 4%, cette décollecte se serait accélérée », signale Cyrille Chartier-Kastler.

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Risque de décrochage

Dans une période où les obligations redeviennent généreuses, ce n'est pas une bonne nouvelle. « Dans le contexte d'augmentation des taux d'intérêt, la valeur des anciennes obligations est dépréciée », précise Philippe Crevel. « Aujourd'hui, les retraits obligent les assureurs à vendre des obligations à perte, complète le fondateur de Good Value for Money. Au bout d'un certain temps, cela commencerait à devenir douloureux. » Traduire : ne pas permettre d'acheter des titres à fort rendement.

En 2022, les fonds euros ont livré 1,91% en moyenne, selon le dernier chiffrage de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, soit un delta supérieur à un point avec le livret A. 2023 sera donc une année charnière. Soit les assureurs s'en rapprochent, soit le décrochage favorisera les sorties.

« La décollecte consommera les réserves de capitalisation, note Cyrille Chartier-Kastler. Dans un second temps, il faudra ponctionner dans les provisions pour participation aux bénéfices. Ensuite, il ne restera que les fonds propres des assureurs. La seule solution serait alors de bloquer les sorties... »

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Pour éviter l'hémorragie, les assureurs multiplient les annonces depuis le début de l'année : bonus agressifs, frais réduits, taux garantis... La Carac est un symbole de cette approche. Après avoir annoncé 3% pour les investissements du premier semestre, elle prolonge ce taux pour le second ! Même si cette promotion ne concerne que les nouveaux versements, le coup marketing est réussi.

L'objectif de ces annonces est clair : les gestionnaires ont besoin d'argent frais pour investir sur de nouvelles obligations. Et ainsi, améliorer le rendement de leurs fonds. « Il faut se montrer attractif face au Livret A et aux dépôts à terme », soutient Philippe Crevel.

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Tout donner pour 2023

Le marché va frémir d'ici l'annonce des taux 2023 de l'assurance vie. Alors que l'OAT à 10 ans de la France, support obligataire traditionnel des fonds euros, évolue autour des 3%. Que les obligations des entreprises peuvent offrir 4, 5, voire 7%... Les rendements montreront qui est en mesure de tenir la barre. Cyril Chartier-Kastler prévoit une moyenne du marché autour de 2,4% cette année. Tout le monde en a-t-il les moyens ? « Tout dépend des réserves, des actifs. Pour les grands fonds des bancassureurs, l'inertie est forte. »

Une performance convenable ne pourra donc être obtenue qu'en puisant dans les réserves. « Le Livret A va pousser les assureurs à faire un très gros effort financier », explique Cyril Chartier-Kastler. Il n'y a pas le choix, pour éviter une collecte négative. « C'est comme une barrière horaire dans un trail. Les fonds euros doivent courir à une certaine vitesse pour livrer un taux intéressant. Psychologiquement, pour un épargnant, 2,5% est suffisamment proche du Livret A pour justifier une collecte brute en 2024. »

Mais attention au surrégime : les réserves ne sont pas illimitées. « Le secteur doit passer 2023 en soutenant le taux, et se dire qu'en 2024, on verra ! », poursuit l'expert de Good Value for Money.

Les performances risquent d'être hétérogènes entre les fonds « paquebots » et les dynamiques. « En 2022, il y a eu des écarts importants, souligne Philippe Crevel. Cela devrait être encore plus marqué cette année. » Car si certains n'ont pas atteint 2%, d'autres ont déjà tutoyé les 3%.

« On voit clairement l'avenir du marché : il y a ceux qui vont pouvoir suivre, et ceux qui ne le pourront pas », synthétise Cyril Chartier-Kastler. Il refuse de les nommer, mais donne un indice sur les plus menacés. « Cette année, tous les opérateurs ont fait le maximum pour rehausser les taux servis. Ceux qui sont restés bas, à 1,5% ou en dessous, ne pouvaient pas plus. Ils ont déjà décroché. Ces fonds vivent probablement une décollecte assez importante aujourd'hui. »

Des leaders à plus de 4% ?

À l'inverse, certains vont profiter du contexte. Cyril Chartier-Kastler mentionne Ampli mutuelle et Corum EuroLife, qui ont eu la chance de se lancer au bon moment : « Ces deux acteurs devraient livrer les meilleurs taux du marché. 100% de leurs investissements bénéficient de la nouvelle donne obligataire. »

Tout dépendra de leur politique de réserve, mais il imagine un rendement record. « Ils vont pouvoir s'amuser à livrer un taux très élevé : 4 voire 5% ! » Une énorme mise en lumière, qui constituerait un paradoxe : il faudrait alors limiter la collecte, pour des questions de solvabilité !

Via les divers bonus (proportion d'UC, encours, promotions...), plusieurs assureurs vont afficher des résultats dépassant les 3% du Livret A. Même si leur actif général reste sous la ligne de flottaison. « Il ne faut pas oublier que 3% sur un fonds euros, ce n'est pas équivalent aux 3% du livret A, rappelle Cyril Chartier-Kastler. Pour arriver à 3% nets, il faudrait livrer du 3,6%. »

Philippe Crevel imagine un rendement moyen 2023 à 2,7%, avec des leaders à plus de 3,5% ou plus ! « Tous les fonds euros ne battront pas le Livret A », soutient-il. Mais certains vont sortir du lot. « Notamment des assureurs de niche, dont les encours sont plus petits. Ils ont moins d'inertie que les fonds pesant plusieurs dizaines de milliards. La dilution à la hausse sera plus rapide », explique Philippe Crevel.

Pour autant, Cyrille Chartier-Kastler est formel : la moyenne n'atteindra pas 3%. « C'est impossible. Même avant ponction des frais de gestion, de la rémunération de l'assureur, les rendements financiers sont très bas. Pour Predica, il a été de 2,09% pour 2022. » Sans utiliser les réserves, cela ne laisserait pas grand-chose à offrir aux clients...

Pour surfer sur la bonne vague, certains acteurs réfléchissent à lancer de nouveaux contrats. Il y a un risque : la transférabilité est possible chez un même assureur. « Celui qui ferait cela se tirerait une balle dans le pied, alerte Cyril Chartier-Kastler. Immédiatement, cela provoquerait une décollecte et un transfert. C'est trop dangereux. » Par contre, il imagine que ce tempo serait « idéal » pour un nouvel acteur de la prévoyance, ou même étranger, d'attaquer le marché français.

L'avis de tempête est annoncé, mais fort heureusement, les clients, plutôt âgés, n'ont pas peur de la houle. Cependant, si les écarts se creusaient vraiment, les arbitrages pourraient se multiplier. Le moment de vérité approche, entre ceux qui restent dans le peloton et ceux qui vont souffrir dans la côte !

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