Le 1er février, le taux du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire sera porté à 3%. Soit largement au-dessus des 2% attendus pour la moyenne des rendements des fonds euros. Dans un contexte d'incertitude, une question se pose : faut-il transférer ses fonds vers les livrets d'épargne réglementée ?

C'est un événement qui fera date. En raison de l'inflation, le taux du Livret A et son « jumeau » le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) seront relevés le 1er février à 3%. Un rendement XXL pour un produit d'épargne sécurisé, non fiscalisé et totalement disponible. La situation est inédite : pour la première fois, le taux du livret A va dépasser les fonds euros des assurances vie, annoncés entre 1,8% et 2%.

Faut-il adapter sa stratégie d'épargne ? Yves, l'un de nos lecteurs, résume cette préoccupation : « j'ai une assurance vie Predica qui ne rapporte pratiquement rien, ne serait-il pas plus judicieux de placer cet argent sur un livret A ? » Si les épargnants s'interrogent, ce n'est pas un hasard.

Dans son dernier baromètre de l'épargne et l'investissement, l'Observatoire de l'épargne de l'AMF rappelle que 88% des épargnants font le choix des livrets d'épargne, contre 32% pour les placements garantis de l'assurance vie. Le critère du risque est l'un des plus regardés, juste après le rendement : 42% des Français refusent « tout risque » sur leurs placements. Certains pourraient être donc tentés de tout basculer vers les livrets d'épargne réglementée.

Refus du risque

Dans le « match » des placements sécurisés, c'est une nouvelle donne. Historiquement, les livrets à taux « règlementés » (Livret A, LDDS, LEP...) ont toujours été considérés comme outils d'épargne « de précaution ». Accessibles en un clic, non soumis à la fiscalité, ils visent à se créer une réserve en cas de coup dur. Or la situation peut être vue autrement.

Entre les plafonds du Livret A (22 950 euros), du LDDS (12 000 euros) et du LEP pour les personnes éligibles (7 700 euros), une personne seule peut donc placer 34 950 à 42 650 euros à un taux canon pour 2023 ! Pour un couple, ce sera le double, soit plus de 2 500 euros d'intérêts pour une année complète, sans frais ni impôts !

Livret A, LDDS, LEP : « Que se passe-t-il si je dépasse le plafond ? »

Quand on voit les rendements des fonds euros, soumis à la fiscalité et divers frais pour un placement qui n'est pas instantanément disponible, le combat semble joué d'avance. D'autant qu'il y a de la marge : près de la moitié des livrets A des Français contiennent moins de 200 euros, quand seulement 10% sont au plafond. Pour le LEP, plus de la moitié des Français éligibles n'en disposent même pas ! « Les épargnants peuvent se dire que par rapport à ce qu'il y a en rayon, les livrets vont livrer des taux étonnamment élevés », analyse l'économiste Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne.

Un effet ciseau... à relativiser ?

« La situation est inédite », confirme l'universitaire Bruno Séjourné, spécialiste des questions d'épargne. « Grâce au mode de fonctionnement des assurances vie, la partie euros des contrats a toujours été mieux rémunérée que le livret A. »

Problème : ces dernières années, la collecte a été investie sur des produits (emprunts d'États, d'entreprises...) très peu rémunérés. Au moment où les taux d'intérêt remontent avec l'inflation, impossible de suivre. « On atteint un point de bascule, estime l'universitaire. Dans les fonds euros, les stocks plombent la rentabilité des actifs. » En face, le livret A, dont le mécanisme est réactif, voit son taux adapté à la situation actuelle. « C'est l'effet ciseau », explique le chercheur. Et même s'il suggère que cette année, « les compagnies vont puiser dans les provisions pour augmenter la rémunération des fonds », l'évolution prendra du temps. On peut ainsi les comparer à des « paquebots ».

Malgré tout, l'expert n'imagine pas une fuite massive des épargnants vers le livret A. « Quand on observe les comportements et motivations des détenteurs d'assurance vie, la plupart sont positionnés dans un but d'accumulation en vue de la retraite ou de la transmission. Cette population majoritaire a des comportements de grande inertie. » Et ne va pas réagir à l'annonce d'un taux. Le chercheur n'anticipe donc pas de « tremblement de terre ». Philippe Crevel n'y croit pas non plus : « L'assurance vie est un produit assez mature, et touche une population qui l'est également. » Un public qui a plus de 50 ans, et qui « n'est pas aventurier de l'épargne » !

Court ou long terme ?

Que faire ? Tout dépend de ses objectifs ! Pour une personne avec une vision de « très long terme », en vue de la retraite ou la transmission, cette situation ne change rien. « Les produits ne sont pas comparables, souligne Philippe Crevel. « L'assurance vie dispose d'autres atouts, notamment la préparation de la transmission et la succession. Elle permet des arbitrages, le placement en unités de comptes. C'est un produit bien plus complet ! »

Les experts balayent l'idée selon laquelle les Français ont les yeux rivés sur les résultats annuels des assureurs. « Les épargnants réactifs, qui cherchent les meilleurs rendements, comparent les taux chaque année, ne sont pas très nombreux, annonce Bruno Séjourné. C'est une population assez marginale. Ce n'est pas sur internet que sont les stocks de l'assurance vie. » « Je les appelle les geeks de l'épargne sécurisée, sourit Philippe Crevel. Ils comparent les taux, multiplient les contrats. Mais ils ne sont pas la majorité ! »

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Par contre, Bruno Séjourné identifie une opportunité unique. Si l'on a des liquidités sur son compte bancaire, il ne faut pas réfléchir, et les basculer sur des livrets ! « On avait des encours moyens sur les comptes courants assez gigantesques. Le premier arbitrage, qui a commencé et va s'amplifier, c'est la réduction des stocks sur compte courant au profit des livrets. »

Avec des livrets à 3%, le « coût d'opportunité » de laisser dormir son argent sur son compte est de plus en plus fort ! De juillet à novembre, les encours des comptes bancaires ont ainsi fondu de près de 30 milliards d'euros, notamment au profit des livrets. « L'épargne règlementée est à des sommets, précise Philippe Crevel. Si on veut du rendement, il n'y a que deux solutions : l'épargne règlementée ou un peu plus de risque avec des unités de compte et des actions, par exemple en PEA. »

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Un bonus à la précaution

Tout le monde est d'accord sur un point : cette situation est « l'occasion de créer ou développer son épargne de précaution. » Notamment de vérifier si l'on est éligible au Livret d'épargne populaire (LEP), dont le taux va passer à 6,1%. « C'est le seul produit qui permettra de se protéger contre l'inflation, prévient Philippe Crevel. Si on a quelques liquidités et qu'on est éligible, il faut foncer ! »

L'autre public concerné, ce sont les personnes qui vont avoir des entrées d'argent. La bonne stratégie peut être d'utiliser ces sommes pour « blinder » ses livrets tant que leur taux est élevé, avant de choisir une stratégie à plus long terme une fois que la situation aura évolué. Et non pas désinvestir : attention à la fiscalité et aux frais de sortie, rappelle Philippe Crevel. « Il serait idiot de retirer ses billes pour les placer un an sur le livret A, et se prendre des frais de sortie et d'entrée quand on y retournera. Cela grève les coûts ! »

Pour autant, un épargnant jeune, qui n'a pas encore d'objectif patrimonial clair, a peut-être intérêt à différer son entrée en assurance vie. Par contre, dès qu'il se penchera sur l'avenir, Philippe Crevel suggère d'autres possibilités. « Quand on a vocation à entrer en assurance vie et prendre des unités de compte, c'est inutile d'attendre. À long terme, ce sera mieux qu'un livret A ! »

Une situation temporaire

Il est important de rappeler que la situation, inédite, risque de ne pas durer. D'ici 12 à 18 mois, si l'inflation baisse, les taux des livrets seront abaissés. Pendant ce temps, les assureurs tenteront de booster un peu le rendement de leurs fonds euros. « Cela va augmenter, mais très doucement », projette Bruno Séjourné. L'opportunité se cantonne donc à l'année 2023, voire le début 2024. « Un an, cela ne justifie pas de tout fermer », prévient le chercheur.

Par contre, il suggère aux épargnants d'en profiter pour faire le point. « C'est peut-être l'occasion de désinvestir les vieux contrats pour de nouveaux, plus dynamiques. Si l'on reste chez le même assureur, on conserve son antériorité fiscale ». Bref, plutôt que de sauter sur un hors-bord, c'est peut-être le moment de changer de paquebot !

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