Bonne nouvelle, votre employeur vous verse une prime d’intéressement ou de participation fin mai. Maintenant, que faire ? Prendre le cash ? Épargner ? Sur quels fonds ? Un vrai dilemme… à régler en 15 jours, top chrono ! Mais pourquoi personne n’est habilité à vous conseiller ?

Katia, 34 ans, est salariée d’une entreprise où se côtoient un peu plus de 500 salariés. Elle est évidemment éligible à la participation, a compris qu’elle touche chaque année une prime – via un mystérieux calcul savant – en cas de bénéfices. Imposable, touchant 2 200 euros nets par mois, elle a aussi bien compris que placer lui évite d’alourdir son impôt sur le revenu. Sa connaissance de son Plan d’épargne entreprise (PEE) s’arrête là, mis à part qu’elle est consciente que son épargne doit « travailler » pendant 5 ans avant de pouvoir la débloquer sans impôt. Que se passe-t-il pendant ce laps de temps ? Katia a choisi le fonds par défaut la première année – un FCPE (1) diversifié prudent –, n’a jeté qu’un regard distrait à son relevé annuel… et se demande cette année comment répartir sa prime annuelle de 1 000 euros parmi les 7 fonds disponibles. Car, en ressortant son relevé, elle constate avoir perdu de l’argent en un an. Mais elle ne sait pas à qui demander conseil, mis à part à ses collègues.

Votre plan d'épargne salariale vous a-t-il fait perdre de l'argent en 5 ans ?

« L’absence de conseil est un vrai sujet ! Il faudrait plus d’éducation financière », confirme Pierre-Yves Chanu, économiste de la CGT et membre cofondateur du Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES). Un manque de connaissance financière que confirment aussi les gestionnaires : « Le premier réflexe est de demander à son collègue les fonds qu’il a choisis, mais les objectifs ne sont pas forcément les mêmes », regrette Xavier Collot, directeur de l’épargne salariale et retraite chez Amundi. L’explication est en partie d’ordre réglementaire, car l’épargne salariale est à mi-chemin entre le droit du travail et le Code monétaire et financier : « Il a toujours été considéré qu’il ne pouvait pas y avoir de conseil pour le placement en épargne salariale, appuie Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’AMF. Donc il revient à l’employeur et aux syndicats qui définissent l’accord collectif de déterminer le spectre des fonds à référencer. » Faute de conseil, le conseil par défaut repose sur l’employeur… qui n’est pas conseiller financier. « Il y a une spécificité évidente », appuie Hervé Mondange, juriste à l’Association FO consommateurs (Afoc), mais préfère voir le verre à moitié plein : « Il y a déjà le filtre de l’employeur, qui a choisi le gestionnaire et les fonds… »

Quand et comment les salariés DOIVENT être informés ?

Zéro conseil, mais pas zéro info. La loi (1) impose une information aux salariés épargnants à quelques moments clés.

A l’embauche. Un « livret d’épargne salariale » est obligatoirement remis au nouveau salarié, avec les conditions de versement de l’intéressement ou participation, les plans accessibles (PEE, PER collectif, etc.) et une information sur l’investissement par défaut (faute de choix du salarié dans les délais).

Au versement de la prime. Un bulletin d’option vous est remis pour choisir de placer ou non, et sur quels fonds. Vous avez un minimum de 15 jours pour répondre, le versement devant avoir lieu avant la fin mai (ou la fin novembre dans certaines entreprises). Pour choisir parmi le panel de fonds proposés par son entreprise, le salarié doit avoir accès au document d’information clés (DIC ou DICI) de chaque fonds.

Chaque année. Un relevé annuel vous informant sur l’évolution de votre épargne, les frais et la disponibilité des sommes vous est envoyé (par courrier ou en ligne) chaque année avant la fin mars.

Au départ de l’entreprise. Le désormais ex employeur doit vous remettre un état récapitulatif, avec information sur la disponibilité (ou non) des sommes placées et sur les frais de tenue de compte qui passent à la charge de l’ex salarié.

Le DICI pour seul « conseil » ?

Pour vous aider à choisir vos fonds, le « conseil » se limite donc à une mise en garde sur le risque sur le site du gestionnaire du plan, et à la mise à disposition de DICI où le salarié peut jauger le degré de risque de chaque fonds… Un document minimaliste et parfois « sec » pour l’épargnant non averti mais qui offre tout de même « une bonne appréciation du risque », selon Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’AMF. Mieux que rien. Problème : « Le DICI, il faut déjà aller le chercher ! coupe Pierre-Yves Chanu, de la CGT. Dans certaines entreprises, ce n’est pas si évident… »

Rien à voir avec la foule d’informations que les banques et conseillers financiers doivent vous remettre avant d’investir sur une assurance vie ou un Plan d’épargne en actions ! Surtout : pas d’obligation de remplir un questionnaire de risque, obligatoire pour tous les autres placements où le capital n’est pas garanti.

Zéro conseil… mais premiers pas dans l’univers financier

En bref, un salarié épargnant dispose d’une information minimale sur ses droits et sur le suivi de son épargne. Et l’employeur prémâche ses choix en faisant la sélection accessible à l’investissement. Le socle réglementaire minimal s’arrête là. Pourtant, les PEE sont bien souvent synonymes de première découverte financière : « On s’adresse à un public qui n’est pas forcément intéressé par la finance », souligne Hervé Mondange, de l’Afoc, qui insiste sur cette si particulière « épargne subie ».

« La loi n’oblige à rien ! Mais, finalement, la situation est proche de ce que l’on connaît pour les autres placements », relativise David Charlet, président de l’association de conseillers financiers Anacofi, qui estime que 15% des épargnants salariés bénéficient – directement, à titre personnel, ou indirectement, via leur entreprise – d’un accompagnement. Comme pour l’épargne « classique » : « En assurance vie, seulement 15% des épargnants font appel à un conseiller en gestion de patrimoine. Pour le reste, le conseil se limite souvent au questionnaire réglementaire et à un échange rapide avec le banquier ou la hotline téléphonique de la compagnie d’assurance. Nous appelons évidemment de nos vœux plus de conseil. Cependant, dans les faits, les épargnants salariés font finalement face au même manque de conseil que l’ensemble des épargnants. »

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Résultat : une prime répartie sur une poignée de fonds au doigt mouillé… quitte à créer de la déception et un rejet de la finance, quand le salarié constate que son épargne salariale rapporte peu… voire lui fait perdre de l’argent si la prime a été versée par défaut sur un fonds monétaire, durablement dans le rouge.

Placer à court ou long terme ?

Pour choisir ses fonds, il faut s’intéresser à leur degré de risque, chercher à diversifier et déterminer son horizon de placement, c’est-à-dire quand vous comptez récupérer votre mise. Un élément plus délicat à prendre en compte dans l’univers salarial : « On ne peut pas déconnecter cette épargne de l’environnement de travail des salariés ! relève Nicolas Aubert, professeur de finance à l’université d’Aix-Marseille. Si l’on se sent bien dans son entreprise, ou si l’on a en tête de la quitter prochainement, l’approche est radicalement différente. » Plus concrètement, placer sur un fonds monétaire (actuellement à taux négatif) est déconseillé mais… si vous voulez quitter votre entreprise à très court terme, pourquoi pas privilégier le monétaire et l’obligataire.

Les gestionnaires misent sur le conseil automatisé

Les gestionnaires d’épargne salariale ne font-ils aucun effort ? Faux. Les progrès sont notables. « Les sites des gestionnaires se sont bien améliorés, constate Hervé Mondange, de l’Afoc. Ils essaient d’être plus pédagogues. » La grande innovation récente, pour aider les salariés face à l’inconnu, est le conseil automatisé, ou robo-advisor.

« Le conseil proposé, c’est le robo-advisor », confirme Dominique Dorchies, directrice générale déléguée de Natixis Interépargne, où ce service est accessible à tous depuis mars 2019. Ce robo-advisor « permet d’obtenir des conseils sur la répartition de son portefeuille à partir d’un questionnaire pour déterminer le profil de risque de chaque épargnant », explique Dominique Dorchies. « Nous avons lancé notre robo-advisor il y a 3 ans, ajoute de son côté Xavier Collot, d’Amundi. Deux millions de salariés y sont éligibles. 500 000 salariés l’ont utilisé pour déterminer leur profil de risque et choisir leurs fonds. 50 000 salariés ont adhéré au robo-advisor, pour déléguer la gestion de leur épargne. Notre objectif est surtout que tous les salariés aient utilisé le robot pour profiler leur épargne. » Le simple profilage est gratuit, l’utilisation du robot pour déléguer la gestion de son épargne au long court est payante.

Ces services automatisés deviennent l’alpha et l’oméga des gestionnaires pour l’accompagnement des épargnants salariés. La bataille se situe désormais sur le terrain de qui aura la technologie la plus performante : « Nous allons lancer une toute nouvelle interface, promet Pierre-Emmanuel Sassonia, directeur associé de la société de gestion Eres. [Les épargnants] retrouveront dans leur espace toute leur épargne salariale et retraite mais aussi l’accès à un module de conseil à forte valeur ajoutée dans un environnement digital unique en son genre. » Objectif : « flécher » l’épargne en fonction des projets et du patrimoine des épargnants salariés. Des efforts indéniables. Mais suffisants ? Parmi les 11 millions d’épargnants salariés, à l’image de Katia, combien sont-ils à investir sans avoir la moindre idée de quels fonds leur convient ?

Un vrai problème quand le placement se fait par défaut

Vous oubliez de choisir entre cash et placement ? Votre prime sera versée sur un PEE. Votre entreprise donne accès à un plan axé sur la retraite (PER collectif ou Perco) ? Faute de choix, 50% de votre prime sera bloquée sur ce plan retraite. « Le placement par défaut sur les plans d’épargne salariale est un véritable problème, qui n’existait pas pendant les années 2000 », rappelle Pierre-Yves Chanu, ce placement par défaut ayant effectivement été décidé au début des années 2010. Pour la CGT, il faudrait revenir sur ce placement par défaut ou, a minima, offrir au salarié un droit de rétractation. » C’est le combat de Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’AMF, qui a obtenu ce droit de rétractation pour le tout nouveau PER d’entreprise collectif (Pereco), et qui le réclame encore aujourd’hui pour le Perco.

L'interview de Marielle Cohen-Branche : Plans d'épargne salariale : les « multiples failles » sources de litiges

(1) Articles L3341-6 et suivants, articles D3313-8 et suivants, D3323-12 et suivants, articles L3332-7 et suivants du Code du travail. Et concernant l’information sur le PER d’entreprise collectif : L224-7 du Code monétaire et financier.