147 milliards d’euros accumulés, dont 16 milliards d’euros fraîchement versés au fil de l’année 2020 : les plans d’épargne salariale ont battu de nouveaux records, totalement à rebours de la crise sanitaire ! Mais les primes 2021, versées ce printemps sur la base des résultats 2020 de votre entreprise, ne seront pas du même acabit…

Un dernier bonus avant de tirer le rideau ? Impossible de savoir, à ce stade, à combien s’élèveront les primes 2021 d’intéressement et de participation, et si les salariés verseront ou non abondamment sur les plans d’épargne salariale (PEE, Pereco, Perco…). Mais toutes les prévisions concordent sur cette tendance : les primes versées lors de ce deuxième trimestre 2021, sur la base des bénéfices 2020, vont chuter !

Logique : la crise sanitaire, les deux premiers confinements et couvre-feux ont fait chuter le PIB français de 8,3% en 2020 selon l’Insee. Mécaniquement, les primes d’intéressement et de participation versées d’ici la fin mai (1) seront entraînées dans cette chute. Pour la participation, c’est simple : le calcul de votre prime repose sur les bénéfices réalisés par votre entreprise. Donc en cas de pertes ou de bénéfices amoindris en 2020, la prime diminue ou disparaît temporairement. Pour l’intéressement, la donne est plus complexe : tout dépend des termes de l’accord d’entreprise, les objectifs étant parfois autres que simplement calqués sur les résultats financiers.

Prime de 1 000 euros ? Ce sera plutôt 800…

Verdict : -20% ! Telle est l’estimation des gestionnaires d’épargne salariale, les seuls à se risquer à chiffrer une précision, les syndicats de salariés ou la Dares (ministère du Travail) s’avouant démunis en statistiques récentes. « Au niveau global, l’AFG [groupement des gestionnaires d’actifs (2), NDLR] anticipe une baisse moyenne de 20%, tous secteurs et activités confondus, même s’il ne s’agit que d’une tendance qui devra être confirmée », explique Xavier Collot, directeur de l’épargne salariale et retraite chez Amundi, et président de la commission épargne salariale de l’AFG. « Quelques grands groupes ont d’ores et déjà annoncé une baisse moyenne de 15% des montants versés aux salariés », précisait-il fin mars.

« Nous anticipons une baisse de la participation et de l’intéressement sans doute significative, peut-être de l’ordre de 20% des montants distribués en 2021, confirme Dominique Dorchies, directrice générale déléguée de Natixis Interépargne. Ce n’est qu’une estimation : nous n’aurons des statistiques sur les versements de participation et d’intéressement attribués aux salariés et investis dans les plans d’épargne qu’en juin. » Même prévision du côté d’Epsens, qui gère les PEE et autres plans d’un demi-million de salariés : « La tendance serait plutôt de l’ordre d’une baisse de 25% à 30% des primes 2021, au titre de l’année 2020, par rapport à l’année précédente, répond Catherine Pays-Lenique, directrice générale d’Epsens. Mais cela répondrait en réalité à une hausse de 20% des versements l’an passé… » Bref : une baisse… qui annule la hausse de l’an passé. Pas de cataclysme, donc, du point de vue des gestionnaires de fonds et de plans.

Les perdants et gagnants des primes 2021

Xavier Collot insiste tout de même sur les « situations très disparates », la crise touchant inégalement les entreprises selon les secteurs : « Il y a trois catégories d’entreprises face à la crise sanitaire : celles qui sont touchées de plein fouet, dans l’aéronautique, l’hôtellerie ou le luxe, sans bénéfice en 2020 et qui ne verseront pas de primes ; celles qui ont tiré leur épingle du jeu en limitant la baisse de leurs bénéfices ; et celles qui performent malgré la crise, dans le commerce en ligne notamment, ce qui implique des primes en hausse. »

Face aux dégringolades (en bourse) de Airbus, Total, Renault, ou des groupes bancaires Société Générale, Crédit Agricole et BNP Paribas, de petites entreprises ont indirectement « profité » de la crise pour accélérer leur développement. Et le développement au long court des dispositifs d’épargne salariale dans les petites entreprises n’a pas subi de violent coup d’arrêt : « Nous avons tout de même continué à ouvrir des plans d’épargne pour les TPE et PME : c’est la conséquence de la baisse du forfait social pour ces entreprises », affirme Dominique Dorchies, de Natixis Interépargne. « A ce stade, il est difficile de savoir si le nombre d’entreprises versant des primes en 2021 va diminuer », confirme Catherine Pays-Lenique, d’Epsens. Et Pierre-Emmanuel Sassonia, directeur associé d’Eres, insiste sur le distinguo entre participation, issue d’un calcul mathématique, et intéressement qui peut reposer sur des « critères extra-financiers » : l’intéressement pourrait freiner la chute globale.

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Résumons : le montant des primes va baisser de 20%, environ, mais le nombre d’entreprises versant des primes ne diminuera pas forcément.

Chômage partiel et arrêt garde d’enfants en 2020 : quel impact sur vos primes 2021 ?

Jours chômés pour cause d’activité partielle, jours d’arrêt de travail pour garde d’enfants, jours d’arrêt pour les personnes à risque, etc. : la crise sanitaire a créé de nouveaux cas particuliers en matière d’intéressement et de participation. Concernant le chômage partiel, ce n’est pas un motif de perte, du moins pas vis-à-vis des collègues. Extrait du Code du travail : « La totalité des heures chômées est également prise en compte pour la répartition de la participation et de l’intéressement lorsque cette répartition est proportionnelle à la durée de présence du salarié. Lorsque cette répartition est proportionnelle au salaire, les salaires à prendre en compte sont ceux qu’aurait perçus le salarié s’il n’avait pas été placé en activité partielle. » La règle reste donc celle de l’égalité entre salariés, chômage partiel ou non, le calcul se faisant en comptant les jours chômés.

En revanche, le cas de « l’arrêt de travail Covid », pour les personnes à risque et pour la garde d’enfants, dépend de l’entreprise. Le ministère du Travail renvoie sur ce point aux accords d’entreprises, lesquels pouvaient être modifiés courant 2020 afin de prendre en compte la spécificité de ces « arrêts Covid-19 » pour les traiter de la même manière que du chômage partiel.

Pierre-Yves Chanu, économiste de la CGT, conseille aux salariés d’être vigilants sur ces points, en veillant à respecter l’équité entre salariés : « Si l’entreprise a tout de même été bénéficiaire en 2020, il sera légitime de négocier. »

Des salariés plus nombreux à « prendre le cash » ?

La crise change-t-elle aussi l’état d’esprit des salariés face à ce bonus, versé au printemps 2021 ? Ont-ils été plus nombreux à prendre le cash que d’habitude, quitte à payer plus d’impôt sur le revenu ? Oui, mais à la marge à en croire les gestionnaires. « En 2020, les salariés ont un peu moins épargné leur participation et leur intéressement que d’habitude, mais de façon marginale : une baisse de 2% ou 3% seulement, témoigne Dominique Dorchies, directrice générale déléguée de Natixis Interépargne. Certains salariés ont anticipé des dépenses contraintes, et privilégié l’épargne de précaution. » Même son de cloche du côté d’Amundi, Xavier Collot se basant lui aussi sur les statistiques de l’AFG : « Les salariés ont épargné en majorité, à 65%, en 2020 : seuls 35% des salariés ont perçu directement leur prime. Habituellement, la proportion est assez similaire, avec 70% d’épargnants. » Sur cette base, ils anticipent un phénomène similaire en 2021, pour le versement des primes à venir.

Lire aussi : Intéressement et participation : faut-il prendre le cash ou épargner ?

Épargnants : réflexe défensif ou offensif ?

Des ménages dans le besoin, d’autres avec un surplus d’épargne sans savoir comment le placer… Le paradoxe de « l’épargne Covid » touche aussi l’épargne salariale. D’un côté le pourcentage plaçant son intéressement et sa participation sur un PEE ou un PER s’est érodé, de l’autre les retraits ont eux aussi diminué. « Les salariés ont moins pioché dans leur épargne salariale qu’à l’accoutumée, explique Dominique Dorchies, une baisse des retraits qui concerne à la fois les déblocages anticipés mais aussi les sommes d’ores et déjà disponibles. »

Paradoxe, bis : la crise pousse certains épargnants à miser sur les fonds les moins risqués… et d’autres à parier sur les plus dynamiques. La part de l’épargne salariale sur les fonds monétaires – censés être moins risqués mais actuellement à taux négatifs – est restée constante, autour de 23%. « Nous avons constaté beaucoup d’arbitrages, affirme Xavier Collot, en évoquant l’année 2020. A la fois des arbitrages défensifs, en sécurisant sur le fonds monétaire, mais aussi beaucoup d’arbitrages opportunistes en misant sur des fonds plus dynamiques. » Le dirigeant d’Amundi en profite pour glisser un ultime constat, sous forme de conseil : « La période est d’ailleurs propice à l’actionnariat salarié, pour les salariés qui souhaitent profiter du redémarrage de leur entreprise. Nous avons constaté un véritable effet d’aubaine sur l’actionnariat salarié, des salariés profitant de prix de souscription ponctuellement très bas. » 2021, l’heure des soldes ?

(1) Les entreprises fonctionnant avec un exercice comptable sur l’année calendaire doivent verser la prime due avant le 1er juin, celles – plus minoritaires - qui optent pour l’année comptable allant de juillet à juin doivent verser la prime avant la fin novembre.

(2) Association française de la gestion financière.