Une absence de conseil problématique, mais compensée par l’intervention de l’entreprise. Une surcouche de frais, mais des performances honnêtes malgré tout. Observateur avisé de la finance française depuis des dizaines d’années, président de la fédération des associations d’épargnants Faider et délégué général de Better Finance, Guillaume Prache livre un regard critique, aiguisé mais finalement pas trop sévère sur l’épargne salariale.

Guillaume Prache

Guillaume Prache, délégué général de Better Finance (Fédération européenne des usagers des services financiers)

A l’image de l’épargne retraite, qui a longtemps constitué votre cheval de bataille, doit-on pointer du doigt la performance financière - et les frais - de l'épargne salariale ?

Guillaume Prache : « Nous réalisons une étude, chaque année, sur les performances réelles des différents produits d’épargne retraite et nous y intégrons l’épargne salariale. A la différence de certains produits d’épargne retraite, dont j’ai par le passé dénoncé les nombreux conflits d’intérêt, sur l’épargne salariale il n’y a pas de scandale ! Pourquoi ? Car il n’y a pas ces conflits d’intérêt pour un distributeur conseillant des fonds sur lesquels il va toucher des rétrocessions. Là, la négociation se passe au niveau de l’entreprise. Selon notre étude, sur les 20 dernières années, les fonds d’épargne salariale sont, derrière le fonds en euros, les placements les plus performants avant impôt. Or l’épargne salariale est le placement financier profitant de la fiscalité la plus favorable ! Hors succession, fiscalement parlant, un plan d’épargne salariale est plus intéressant qu’une assurance vie. »

Plus d’infos sur la fiscalité des gains de l’assurance vie et sur l’imposition de l’épargne salariale

Vous évoquez le faible risque de conflits d’intérêts concernant la distribution d’épargne salariale. Mais n’y a-t-il pas tout de même un risque d’empilement de couches de frais ?

G.P. : « Si. A la brique de base, les actifs sur lesquels est investie l’épargne salariale, on peut rajouter jusqu’à deux voire trois couches de frais lorsque les FCPE sont des fonds de fonds [il s’agit de fonds investis exclusivement dans d’autres fonds, NDLR]. Et ces FCPE sont logés dans un plan [PEE, PEI, Perco ou Pereco, NDLR]. Et il y a effectivement un sujet sur la gouvernance des produits d’épargne salariale. »

Qu’entendez-vous par problème de gouvernance ?

G.P. : « Les acteurs de l’épargne salariale vont justifier l’existence des FCPE [fonds commun de placement d’entreprise, NDLR] comme nouvelle catégorie de fonds par l’existence de conseils de surveillance où les épargnants salariés sont représentés. Mais bien souvent ce pouvoir est dilué, puisque des salariés de milliers de sociétés investissent dans les FCPE multi-entreprises. L’utilité d’une gouvernance partagée, ce serait que les salariés participent au choix des fonds logés dans leur PEE, leur PEI ou leur PER collectif. Il faudrait créer un conseil de surveillance intégrant les salariés pour la gestion du plan en tant que tel. La gouvernance offrant une place aux épargnants salariés n’est actuellement pas située au bon niveau. La conséquence, c’est cette spécificité française : on crée des FCPE à cause de cette représentation et cela peut créer des frais de gestion spécifiques et un surcroît de complexité. On multiplie de petits fonds alors que de très nombreux FCPE sont bien souvent quasi similaires, et qu’ils ressemblent en tous points à des OPCVM classiques déjà existants dans leur composition financière. »

A la lecture de la dense étude de l’AMF sur les frais et performances des FCPE, en décembre 2019, ce produit ne serait pas excellent… mais il serait loin d’être le plus mauvais.

G.P. : « Tout à fait. Cela rejoint notre étude, chez Better Finance. Le fait que le choix des supports passe par l’entreprise gomme le risque de conflits d’intérêts au niveau du distributeur. Et l’entreprise a une plus grande faculté de négociation que l’épargnant individuel, surtout si ce dernier n’est pas très averti concernant les placements financiers. Mais il n’empêche que l’on pourrait faire beaucoup mieux ! A commencer par supprimer cette couche superflue des FPCE, pour n’utiliser que des fonds à vocation générale, de type Sicav et OPCVM, de plus grosse taille et accessibles via n’importe quel placement. »

Un FCPE d’épargne salariale fait-il mieux qu’un support en unités de compte de l’assurance vie similaire ?

G.P. : « Cette comparaison est délicate ! Dans l’absolu, en s’intéressant à ces familles de fonds au niveau global, oui, comme le montre notre étude Better Finance : sur 20 ans, avant impôt mais après inflation, le fonds en euros est le plus performant avec une performance moyenne de 1,8%, devant l’épargne salariale, à 0,8% [les unités de compte de l’assurance vie ressortent à -1,4% dans cette étude, NDLR]. Bien sûr, ces moyennes portent sur les 20 dernières années, et la tendance actuelle n’est pas favorable au fonds en euros. »

L'épargne salariale concerne 15% de la population, selon l'Insee. Autant que la détention de valeurs mobilières (et 10% environ pour le PEA). C’est l’un des premiers produits financiers « risqués » en France. Pourtant, ce placement n'est pas concerné par les directives MIF 2 ou DDA (1)… Est-ce un grave manque, sur le conseil aux épargnants ?

G.P. : « C’est un véritable problème récurrent, cette absence de conseil ! Mais attention, ce manque est contrebalancé par l’absence de conflit d’intérêts du conseiller financier… Dans le champ global de la banque et de l’assurance, le véritable conseil indépendant – au sens de la directive MIF 2 – est rarissime. Est-il préférable d’avoir un conseil non indépendant ou aucun conseil ? Difficile à dire… L’entreprise guide déjà fortement son salarié en choisissant le panel de FCPE disponibles. Bien évidemment, il y a un manque de conseil personnalisé : personne ne conseille précisément de mettre tel pourcentage sur tel fonds, d’éviter de mettre trop sur le fonds monétaire, etc. Ce n’est pas le rôle de responsables de ressources humaines. »

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Le plus souvent, seuls 5, 6 ou 7 fonds sont disponibles pour le salarié, qui n’a pas la main sur le choix du gestionnaire du plan d’épargne salariale… Ce fonctionnement reposant sur le choix de l’employeur empêche-t-il une concurrence saine ?

G.P. : « Je suis plus nuancé sur ce point. Trop de choix tue le choix, surtout lorsque l’on n’est pas accompagné. Ce fonctionnement n’est pas idéal, il serait notamment préférable que les salariés aient une place dans la gouvernance du plan, et ainsi qu’ils puissent choisir les fonds. Mais, à nouveau, ce fonctionnement permet d’éviter les conflits d’intérêt existants sur l’épargne individuelle passant par un conseiller non indépendant. La question qui demeure, en effet, est : l’entreprise dispose-t-elle de la connaissance financière pour bien choisir son gestionnaire et les FCPE proposés aux salariés ? »

Comment améliorer l’information aux salariés épargnants, pour les aider à choisir entre les différents fonds disponibles ?

G.P. : « L’AMF œuvre à améliorer ce processus. Les documents d’information clés pour l’investisseur (DICI) sont obligatoires pour chaque FCPE alors que, réglementairement parlant, ils auraient pu en être exemptés puisqu’ils ont un statut de ‘‘FIA’’ et non d’‘‘OPCVM’’. Cette information de base est donc disponible, comme pour un fonds d’investissement classique investi via un PEA ou une assurance vie. »

Les lois Macron, en 2015, et Pacte, en 2019, ont porté des améliorations sur l’information client et sur l’harmonisation des produits. Faut-il aller plus loin ?

G.P. : « L’harmonisation de la loi Pacte, couplée aux passerelles vers le Plan d’épargne retraite pour les anciens produits, est positive. En revanche, sur l’information, les réformes auraient pu aller plus loin sur la lisibilité et la simplification de l’offre financière au sein des plans d’épargne salariale. »

(1) Directive européenne MIF 2 sur la distribution de produits financiers et DDA sur la distribution d’assurance.