La hausse des taux a relancé les fonds structurés obligataires. Disponibles en assurance vie, ces véhicules garantis par les banques proposent l'eldorado : sécurité du capital et rémunération importante. De quoi séduire massivement, même si leur performance réelle, plus faible que ce qui est vendu, risque de décevoir certains épargnants.

« 5,6% garantis pendant 10 ans. » Depuis un an, des offres aux noms évocateurs se multiplient : « Tranquillité », « Équilibre » « Taux fixe »... Sur le web et chez les conseillers en gestion en patrimoine, on met en avant ces nouveaux produits. Leur promesse semble irréelle : l'investissement, garanti à terme, permet d'obtenir 5 à 6% de rendement sur 8 à 12 ans. Le tout garanti par des « majors » comme BNP Paribas, Société Générale, Natixis, Crédit Agricole... Sur le papier, c'est l'affaire du siècle !

Produits structurés : comprendre les fonds à formule, à fenêtre ou autocall

Quel est le secret ? Encore une fois, c'est un effet du boom des obligations, titres de créance promettant des coupons réguliers et le remboursement du capital à échéance. En cette période de taux élevés, elles sont particulièrement généreuses, y compris pour les plus belles signatures.

« Notes à capital garanti à taux fixe »

Surfant sur la vague, les financiers ont relancé mi-2022 les « notes à capital garanti à taux fixe ». Un type particulier d'EMTN, produit structuré obligataire au fonctionnement complexe prévoyant scénarios et rémunération. « Juridiquement, ils sont l'équivalent d'obligations bancaires, émises par les banques pour le financement de leur trésorerie », détaille Damien Leclair, président fondateur d'Equitim. Cette filiale d'Apicil est leader français des produits structurés BtoB, avec près de 3 000 véhicules créés pour ses partenaires.

Comment les banques construisent ces nouveaux produits ? « C'est incroyablement simple », sourit le fondateur d'Equitim. « L'émetteur achète sa propre obligation avec 80 à 85% des sommes investies. Par l'effet des coupons, cette obligation vaudra 100% à l'échéance. C'est ce qui lui permet de garantir le capital à l'investisseur. Les 15 ou 20% restants lui servent de moteur de performance, investis sur divers instruments de marché. » Pour résumer, l'investisseur prête aux grandes banques, qui en tirent profit et le rémunèrent pour cela.

« Pour première fois depuis des années, on a l'opportunité de proposer des produits d'une simplicité incroyable »

C'est une révolution sur le marché des produits structurés. En général, leur modèle tient de la loterie. Basés sur les marchés financiers, ils fonctionnent comme une option binaire : comparer la valeur d'un indice du marché actions au fil des années. S'il progresse, on reçoit un « bonus ». Si l'indice baisse légèrement, on ne récupère que son capital. En cas d'effondrement des marchés, on perd beaucoup. Une approche risquée et difficile à appréhender pour un public non averti.

Fonds structurés : pourquoi il faut parfois se méfier des promesses trop alléchantes

Avec les notes à capital garanti, c'est l'inverse. « Pour première fois depuis des années, on a l'opportunité de proposer des produits d'une simplicité incroyable », s'enthousiasme Damien Leclair. Le capital et le coupon sont garantis contractuellement. Et la durée maximum est annoncée, même si beaucoup de ces offres sont « callable », autorisant la banque à rappeler le produit avant son terme, remboursant alors capital et intérêts des années écoulées.

Fonds datés obligataires : opportunités de placement et explications

5% voire 6% de rendement annuel affiché

Offrant jusqu'à 6% de gains annuels, ils sont plébiscités. En un an et demi, ces véhicules ont collecté près de 5 milliards d'euros. C'est plus que les SCPI ! À lui seul, le cabinet Equitim a co-créé avec les banques 300 supports du genre, représentant près d'un milliard d'euros d'investissement.

Parmi les offres en cours, le cabinet suggère « Europe patrimoine décembre 2023 ». Disponible sur les assurances vie Apicil, il est émis par la Banque américaine Goldman Sachs et offre « 5% sur 10 ans ». Pour les clients Spirica, Equitim évoque également « Mezze décembre 2023 », garanti par Crédit Agricole CIB et promettant 6% sur 12 ans.

Travaillant avec de multiples assureurs, Linxea a été l'un des premiers courtiers à pousser ces nouvelles offres. Actuellement, l'acteur du web relaye « Taux fixe décembre 2023 », émis par Goldman Sachs, proposant aux clients Suravenir 5,4% pendant 12 ans.

« Actuellement, ils n'ont pas d'équivalents sur le marché ! »

Son directeur général, Yves Conan, annonce d'ailleurs un « véhicule exclusif avec le meilleur taux possible », disponible sur tous les contrats Linxea début 2024. « On peut y voir un super produit de fond de portefeuille, avec un taux garanti sur une durée définie, analyse-t-il. Actuellement, ils n'ont pas d'équivalents sur le marché ! »

Diversification intelligente

Un signe ne trompe pas : même les associations d'épargnants, réputées « orthodoxes » sur les unités de compte, s'y mettent. En 2022, l'Asac-Fapès a lancé un nouveau contrat en partenariat avec Spirica. Dans le portefeuille d'unités de compte, les adhérents ont eu accès de septembre à novembre à « Obligation Equilibre Spirica Novembre 2023 ». Le rendement de 5,58% pendant 10 ans a séduit plus de la moitié des clients du contrat.

« Il n'y a pas de piège ! »

Une nouvelle étape dans la volonté de « diversification intelligente » de l'association, décrit Thomas Delannoy, directeur général adjoint : « Il n'y a rien de tel que les fonds obligataires ! Alors que les taux sont remontés, la volatilité des marchés est plus importante. Il nous paraissait important de proposer des unités de compte qui répondent au désir de sécurité et de diversification. Avec ces produits, la simplicité et la transparence sont de mise. » Le tout avec un niveau de sécurité qui correspond aux valeurs de l'association : « Ce produit est émis par Crédit Agricole, nous ne sommes donc pas très inquiets. »

Désormais, le défi est d'élargir l'offre à l'ensemble des 100 000 adhérents. « Nous challengeons nos autres assureurs, notamment Allianz. Cela prend du temps, mais ils planchent dessus. Ce sera un enjeu pour l'an prochain. » Et Thomas Delannoy le répète aux adhérents : « Il n'y a pas de piège ! »

Même risque que les fonds euros

Il n'a pas tort : les risques sont essentiellement théoriques. Sur l'échelle SRI qui évalue les produits d'investissement, les fonds structurés à capital garanti obtiennent 1/7. « C'est le même score que les fonds euros, signale Thomas Delannoy. C'est donc considéré comme aussi sûr ! ».

Damien Leclair identifie tout de même un « risque de taux » : en cas de poursuite de la hausse, de nouvelles offres seraient plus généreuses. « Même s'il semble que nous atteignons un plateau dans la hausse des taux, nous restons prudents », glisse l'expert. Après tout, l'an passé, Equitim concevait des offres garanties livrant 3%... « À l'époque, cela semblait déjà incroyable ! »

« On doit être en mesure de conserver ce fonds jusqu'à sa maturité. Cela veut dire que l'on n'aura pas besoin de cet argent pendant cette période. »

L'autre contrainte, c'est la durée. S'il accorde un aspect « sexy » au produit, Patrick Fontan, fondateur du cabinet de conseil Maubourg patrimoine, reste mesuré. « Ces produits sont populaires, mais ils n'ont pas que des avantages... Si les banques ne les rappellent pas, les clients sont un peu bloqués pendant 10 ou 12 ans... » Il est toujours possible de sortir avant l'échéance, mais le titre est alors revendu à une valeur de marché, qui n'est pas garantie... et les coupons sont perdus.

Thomas Delannoy recommande donc le titre pour des investisseurs à long terme. « On doit être en mesure de conserver ce fonds jusqu'à sa maturité. Cela veut dire que l'on n'aura pas besoin de cet argent pendant cette période. » Yves Conan résume la logique : « On intègre cela à son portefeuille, et après, on n'y touche plus ! » Il suggère même de « saupoudrer » : investir 10 à 15% de son épargne dans plusieurs produits du genre, pour ne pas manquer une meilleure affaire. « Si on se retrouve avec 15% de son portefeuille qui livre 5 à 6%, c'est plutôt pas mal ! »

Trop beau pour être vrai ?

Or ces chiffres posent question. En comparant les éléments marketing à la réalité des calculs, il y a un souci. Deux idées sont affichées en grosses lettres, illustrées par des courbes et tableaux : « récupération de l'intégralité du capital initial » et « coupons inconditionnels ». Premier élément : la notion de « coupons bruts » est rarement soulignée. Pourtant, en assurance vie, le rendement est forcément amputé de frais de gestion sur les unités de compte.

Second élément, les frais. De nombreux conseillers répètent ce type de raisonnement : « si on déduit des frais de 0,5% sur un rendement de 5,6%, le coupon final est donc de 5,1% annuels ». Or ce n'est pas le cas. En assurance vie, les frais de gestion sont appliqués chaque année. Ils ne viendront donc pas grignoter les coupons, mais le capital de départ. Et forcément, la rémunération s'applique année après année sur un capital décroissant.

Pour un contrat imposant de gros frais de gestion, on obtiendra au final moins de 4%, voire 3%. Et là, cela n'a plus rien à voir ! Mais c'est rarement mis en avant : à côté des tableaux optimistes ou dans le texte, on lit parfois « soit un TRA de XX » (taux de rendement actuariel, NDLR). Mais il faut aller dans les petites notes pour trouver un texte fréquemment flou sur ce calcul.

Une performance à relativiser

Pour calculer le rendement réel d'une « note » à capital garanti à taux fixe, prenons un exemple : un épargnant investit 100 euros sur un fonds annonçant 5,6% sur 10 ans. Il l'intègre dans une assurance vie qui prévoit 0,5% de frais de gestion sur les unités de compte. Au bout de 10 ans, si on suit ce qui est indiqué sur certains sites, et dans les discours de nombreux conseillers, on est donc censé récupérer 151 euros (100 euros de capital + 10 coupons de 5,6 soit 56 euros – des frais de 0,5 sur 10 ans, soit 5 euros).

Or pendant 10 ans, les frais vont s'appliquer sur le capital. À terme, il ne reste donc plus que 95,1 euros (0,5% appliqués dix fois). C'est cette somme qui sera rendue, et non pas « l'intégralité du capital versé ». Les coupons de 5,6% s'appliquant sur un capital qui se réduit progressivement, au final, notre client ayant investi 100 euros en recevra 148. Cela correspond à une rémunération moyenne de 4,8% par an. On est loin de « l'intégralité du capital initial + 10 coupons fixes). Et encore... pour un contrat plus chargé en frais, le rendement final peut vite avoisiner les 4%.

Un défaut d'information ?

En bref, tout ceci manque de clarté. Si l'on suit les règlements sur l'information financière et assurantielle, les plaquettes sont tenues de ne contenir aucune ambigüité. Or la vingtaine que nous avons consultées risquent d'induire en erreur, notamment les épargnants les moins expérimentés. Dans une période d'inflation et de taux élevés, avec des raccourcis visuels sur d'énormes rendements et des dates limites de commercialisation, on retrouve les clés du « Fomo marketing », ou « marketing par l'urgence ».

C'est à se demander comment ces documents ont pu être validés par les autorités financières ! Qu'en pensent-elles ? Malgré nos sollicitations, l'AMF (le gendarme des marchés) et l'ACPR (l'organisme de contrôle du marché de l'assurance) ont indiqué « ne pas commenter un cas particulier ».

« Ce n'est pas mieux qu'un fonds euros avec un bonus significatif sur versement. »

Thomas Delannoy, a reproduit et confirmé les calculs pour l'offre Spirica/Asac Fapès. Il annonce interpeler l'ACPR sur cette situation. « L'information que tous les acteurs délivrent se doit d'évoluer, d'être plus claire. De bonne foi, ce produit est proposé avec un possible défaut d'information... »

Or cette situation n'a rien d'anecdotique. D'ici 8 ou 10 ans, quand les premiers produits structurés arriveront à leur terme, des milliers d'épargnants recevront moins que ce que certains imaginent. Pour une collecte en milliards, cela risque de faire du bruit...

Un produit qui a des limites

Ce souci d'information fait dire à Patrick Fontan, fondateur du Cabinet Maubourg patrimoine, que ce produit a ses limites. « Dans un compte-titres, c'est super ! Par contre, dans une assurance vie, avec les frais, on se retrouvera vite avec un rendement de 4%. Ce n'est pas mieux qu'un fonds euros avec un bonus significatif sur versement. »

La différence, est que le fonds euros permet de retirer ses fonds à tout moment sans risque. Et avec l'effet cliquet (les intérêts génèrent des intérêts), à 10 ans, de bons actifs généraux pourraient même dépasser les fonds structurés à capital garanti ! Sa seule nuance : si un contrat impose une quote-part d'unités de compte, un profil très prudent pourra miser sur ces EMTN. « Pour ces profils, on faisait fonds euros + SCPI. Maintenant, on fait fonds euros et produits structurés ! », explique Patrick Fontan.

Plutôt que ces « produits de compromis », le conseiller en gestion privilégie d'autres options : OPCVM obligataires « court terme » ou « fonds datés ». Ces véhicules sont plus risqués, mais la performance pourrait être meilleure.

« Pour moi, cela correspond à une autre cible de clientèle, tempère Yves Conan. Quelqu'un qui achète un produit à taux garanti, c'est quelqu'un qui veut être tranquille. Le produit structuré obligataire est alors le meilleur compromis. On est bien positionné le temps que les fonds euros remontent. » Quelle est la meilleure alternative ? « Les fonds euros avec booster », assure-t-il. « Des assureurs comme Suravenir vont proposer un bonus de 2% pendant deux ans. Pour un fonds à 2,5% nets, c'est la garantie d'avoir 4,5%. C'est une super opportunité ! » Et si le fonds euros était le produit le mieux « structuré » pour bénéficier de la hausse des taux ?

Le comparatif des meilleures offres d'assurance vie à frais réduits