Sur votre Plan d’épargne entreprise, c’est votre argent ! Mais, paradoxalement, vous ne choisissez ni le gestionnaire du PEE, ni les fonds qui le composent… Ce marché faiblement concurrentiel se caractérise par une concentration inédite autour d’une poignée d’acteurs. Voyage dans un univers potentiellement vertueux… mais où la démocratie est précaire.

A quel moment vous demande-t-on votre avis, à vous, « simple » épargnant salarié, concernant votre plan d’épargne salariale ? Deux fois. La première, au moment d’établir ou de renouveler un accord d’entreprise (mais ce sont les représentants du personnel qui opèrent). La seconde, au versement de la prime annuelle, quand il faut choisir vos fonds. Votre unique choix personnel se fait donc une fois par an, pour répartir votre épargne sur un court panel de fonds… sur lequel vous n’avez pas la main (ou très indirectement). Comment expliquer un fonctionnement si subi ?

Le choix du teneur de compte : votre employeur

Premier temps : après avoir établi un accord de participation ou d’intéressement, la direction de votre entreprise va sélectionner son teneur de compte. C’est-à-dire l’établissement responsable de tenir votre plan, d’opérer les transactions, de vous envoyer le relevé annuel d’épargne salariale, etc. Ce choix est validé par la représentation syndicale dans les grosses structures. Dans les faits, faute de connaissance financière de la part des représentants, ce débat est loin d’être systématique.

Puisque c’est l’entreprise qui paie les frais de tenue de compte du plan d’épargne salariale, la sélection est le plus souvent opérée par les services ressources humaines. Quand l’employeur ne décide pas tout seul… « Dans les petites entreprises, bien souvent, le chef d’entreprise va choisir son banquier en teneur de compte et prendre son package de base pour les fonds, témoigne Pierre-Yves Chanu, économiste de la CGT et membre cofondateur du CIES (1). Au niveau de la gestion des plans d’épargne salariale, il faudrait une meilleure représentation collective dans les PME. »

Le choix des fonds : votre employeur, mais…

Deuxième temps : du choix de teneur de compte découle naturellement celui des fonds disponibles pour les salariés… « Juridiquement, c’est à l’entreprise que revient le choix de mettre tel ou tel fonds à disposition », explique David Charlet, président de l’Anacofi, association professionnelle de conseillers financiers. Problème, comme l’appuie Pierre-Yves Chanu, le patron de TPE ou la DRH de la PME peuvent privilégier le « package de base » proposé par le teneur de compte. Un choix par défaut, pour se simplifier la vie, par souci de rapidité, ou encore faute de compétence financière.

Les mêmes groupes contrôlent fonds et plans

Ces offres packagées ou simplifiées comprennent une poignée de FCPE, les fonds spécifiques à l’épargne salariale. Le plus souvent un par grande catégorie : monétaire, obligataire, équilibré, actions Europe, internationales, ISR (investissement socialement responsable). Et bien souvent tous ces fonds sont gérés par une filiale appartenant au même groupe que votre teneur de compte. Amundi, si votre entreprise fait appel au Crédit Agricole ou LCL. Natixis Interépargne, si elle est cliente de Banque Populaire ou de la Caisse d’Epargne. Crédit Mutuel AM, si votre teneur de compte est le Crédit Mutuel ou le CIC. Etc.

gestionnaires épargne salariale

2 groupes, 65% du marché

« Dans l’assurance vie, si 10 assureurs se partagent 80% du marché, cela reste bien mieux que l’épargne salariale ! Trois acteurs se partagent près de 80% du marché [sur la gestion d’actifs, NDLR], et deux acteurs les deux tiers ! » dénonce Benjamin Pedrini, cofondateur d’Epsor, fintech lancée en 2017 avec l’envie de moderniser ce milieu. « Le marché est malheureusement trop dépendant de ces deux ou trois gros leaders. » Conséquence néfaste de cette oligarchie, selon Benjamin Pedrini : « Ils ont tardé à innover. Ils n’ont commencé à développer des outils novateurs, comme le conseil basé sur un robo-advisor, que récemment. » Et, évidemment, cette domination d’une poignée d’acteurs est loin de favoriser la concurrence. Or, une faible concurrence est rarement bénéfique au consommateur…

Un panel de fonds très casanier

Les teneurs de compte travaillent-ils exclusivement avec des fonds « maison » (ou « village », s’il s’agit de la maison voisine, filiale d’un même groupe) ? Non, pas exclusivement. Mais MoneyVox a épluché les bilans des FCPE référencés dans les packages de base des 5 plus gros gestionnaires pour distinguer les FCPE qui drainent le plus d’argent. Verdict : Amundi Label Équilibre Solidaire ESR, Natixis ES Monétaire, Multipar Monétaire Euro chez BNP Paribas E&RE, etc. Que des fonds « maison ». Et des exceptions, comme Société Générale (Esalia) qui référence les fonds de son ancienne filiale (à 50%) Amundi et de Fidelity, ou comme Axa qui – en tant que teneur de compte – met en valeur plusieurs fonds de villages lointains (R-Co Valor F de Rothschild & Co, entre autres).

Un cadre très vertueux (en théorie)

Attention, sur le papier, le cadre de l’épargne salariale est le plus vertueux de tout l’univers financier ! En théorie, les salariés ont directement ou indirectement voix au chapitre pour chaque décision. « La consultation des salariés pour la mise en place du plan d’épargne salariale est déjà en œuvre, puisque les accords sont négociés avec les organisations représentatives », appuie Catherine Pays-Lenique, directrice générale d’Epsens.

Un argument qui vaut pour toutes les grandes entreprises, ETI et la plupart des PME. Pas pour les très petites entreprises, où l’employeur peut décider seul de la mise en place de l’intéressement. Philippe Vigneron, de la CFDT, ne s’en offusque pas : « Déjà, la priorité est de favoriser l’épargne salariale. Donc dans des structures où cela n’est pas obligatoire et où seulement 25% des salariés sont couverts, cela reste mieux que rien. »

Pour les accords encadrant les primes et les plans, la balle est donc dans le camp des représentants des salariés. Charge à eux de bien négocier. Mais l’épargne salariale offre une autre strate, plus inattendue, où les épargnants salariés ont leur mot à dire. « Pour les FCPE, y compris multi-entreprises, il y a des conseils de surveillance paritaires », appuie Dominique Dorchies, directrice générale déléguée de Natixis Interépargne.

Les FCPE, symbole d’une finance démocratique, mais…

« Notre travail, au sein du CIES et lors des négociations au sein des branches et entreprises, est de favoriser les fonds d’épargne salariale responsables, abonde Philippe Vigneron, représentant de la CFDT au CIES. On veille à ce que les investissements réalisés par ces fonds se fassent dans des entreprises ayant un aspect solidaire, écologique, ou ayant un impact positif sur l’emploi. Les syndicats peuvent peser sur le choix des fonds. Un exemple récent : nous avons demandé de retirer un fonds domicilié au Luxembourg au cours d’une négociation de branche. » Des arguments qui valent pour les fonds labellisés par le CIES, label pesant pour 19 milliards d’euros sur les 147 milliards de l’épargne salariale.

« Une réunion par an avec une présentation PowerPoint et un cocktail ! »

« Je suis un fervent défenseur du modèle du FCPE : c’est un modèle vertueux, où les représentants du personnel ont leur mot à dire, insiste Xavier Collot, d’Amundi. C’est un modèle unique en son genre sur la place financière. Et, rappelons-le, tous les FCPE sont nécessairement de droit français. »

Circulez ? Pas si vite. « La réalité, en particulier dans les FCPE multi-entreprises, c’est qu’il y a une réunion par an avec une présentation PowerPoint et un cocktail ! Et pas de véritable délibération sur la politique de vote au sein du conseil de surveillance, regrette Pierre-Yves Chanu, économiste à la CGT. Il y a systématiquement un souci de quorum, résolu par des pouvoirs délégués au président du conseil de surveillance. Et le gestionnaire d’actifs se bat pour qu’il y ait suffisamment de pouvoirs délégués afin d’atteindre la représentation minimum de 10%. » Sous couvert d’anonymat, plusieurs témoins ont écorné ce tableau idyllique du FCPE démocratique : vote à mains levées (avec donc un risque de pression), boîtiers de vote qui ne fonctionnent pas, assemblée clairsemée malgré le quorum nécessaire, etc.

Le FCPE, un modèle défaillant à supprimer dans les PME ?

« Le modèle du FCPE se justifie historiquement dans les très grandes entreprises où le fonds est créé spécifiquement pour les salariés de l’entreprise, permettant une gouvernance paritaire, développe Benjamin Pedrini, d’Epsor. En revanche, dans les FCPE multi-entreprises, proposés à la grande majorité des entreprises, les conseils de surveillance sont de simples chambres d’enregistrement ! »

Interrogé sur la démocratie balbutiante de certains FCPE, le directeur de l’épargne salariale et retraite d’Amundi répond « mauvaises pratiques isolées » et insiste sur les bonnes pratiques d’Amundi : « La démocratisation, c’est à chaque société de gestion de l’organiser ! Nous, chaque année, nous permettons à chacun de voter anonymement au sein du conseil de surveillance. »

La démocratie salariale « n’est pas située au bon niveau »

Guillaume Prache, délégué général de Better Finance, regrette lui aussi un pouvoir « dilué » dans les FCPE multi-entreprises. Il va même jusqu’à remettre en cause l’utilité du modèle du FCPE, en jugeant que c’est à un autre niveau qu’il faudrait renforcer la démocratie salariale : « Il faudrait créer un conseil de surveillance intégrant les salariés pour la gestion du plan en tant que tel. La gouvernance offrant une place aux épargnants salariés n’est actuellement pas située au bon niveau. »

Mais tous les acteurs de l’épargne salariale (ou presque tous) défendent le FCPE. A commencer par Pierre-Emmanuel Sassonia, directeur associé d’Eres, qui vante « une superbe invention française » avec une « gouvernance » lui permettant « de s’adapter à l’environnement de l’entreprise ». Même Pierre-Yves Chanu (CGT), pourtant très remonté face à la démocratie de façade de nombreux FCPE, ne veut pas leur disparition au profit de fonds plus classiques : « Non il ne faut pas remettre en cause le modèle du FCPE, car le regard des représentants du personnel est important. Mais il faut effectivement améliorer la représentativité et la réalité de la vie démocratique des FCPE. »

Pouvez-vous transférer votre plan ?

Pas sans l’accord de votre entreprise ! Il s’agit d’un placement collectif : c’est l’entreprise qui signe une convention de tenue de compte avec le gestionnaire. L’initiative du changement de gestionnaire vient donc de l’entreprise.

En revanche, quand vous changez d’entreprise, là, le plan devient un produit individuel : c’est vous qui payez les frais annuels et vous êtes entièrement libre de transférer votre PEE voire votre PER vers un plan similaire de votre choix ou vers celui proposé par votre nouvel employeur.

(1) Comité intersyndical de l’épargne salariale.