Le taux d'usure, taux maximum auquel une banque peut prêter à un particulier, est aujourd'hui à 2,57% pour les prêts de 20 ans et plus. Alors que les taux de crédit immobilier remontent, de nombreux dossiers se retrouvent pris dans un effet ciseau qui met à mal leurs projets. Quatre emprunteurs ont raconté à MoneyVox leurs déboires face à un taux « censé protéger les emprunteurs », mais de plus en plus pénalisant.

« Je risque de passer à côté du bien que je convoite, et je ne sais pas combien de temps je vais devoir attendre ensuite, et à quoi ressembleront les taux à ce moment-là. Moi, même avec un taux immo à 3%, je m'en fiche, je veux juste qu'on me fasse passer le crédit. » Comme beaucoup d'autres Français, Guillaume est aujourd'hui dans l'impasse, bloqué par le taux d'usure qui l'empêche d'obtenir un crédit immobilier.

Pour rappel, le taux d'usure est le taux maximum légal au-dessus duquel les banques n'ont pas le droit de prêter. Ainsi, un crédit immobilier (comprenant le taux nominal, l'assurance ou encore les différents frais de dossier) ne doit aujourd'hui pas dépasser un taux de 2,57% pour les prêts de 20 ans et plus ou 2,60% pour les prêts de moins de 20 ans.

Le problème : c'est le mode de calcul du taux d'usure, révisé tous les trimestres, en prenant la moyenne des taux du trimestre précédent rehaussé d'un tiers. Il est aujourd'hui en décalage avec l'augmentation rapide des taux de crédit immobilier. À 2,40% au 1er avril, le taux d'usure a gagné +0,17% au 1er juillet. Dans le même temps, la moyenne des taux de crédit sur 20 ans est passé de 1,45% en avril à 1,85% en juillet, selon le courtier Meilleurtaux. En rajoutant l'assurance emprunteur, les frais bancaires et les éventuels frais de courtage, l'équation se complique.

« On m'a dit non, sans explication »

Pour Guillaume, qui souhaite acheter un bien immobilier pour se rapprocher de son fils et pouvoir obtenir sa garde alternée, tout avait pourtant bien commencé : « J'ai trouvé un bien qui me plaisait, donc j'ai été voir ma banque, la Caisse d'Épargne, rembobine cet homme de 38 ans, qui travaille à l'Afnor, un organisme de certification. Tout s'est bien passé, j'ai monté mon dossier qui a été validé par l'organisme de cautionnement. Tout est passé au niveau de la banque mais à la dernière minute, lors de la vérification au siège, on m'a dit non, sans explication. »

C'est la douche froide, d'autant qu'avec près de 50% d'apport personnel pour un bien à 200 000 euros, son dossier semble largement finançable. « Lors des simulations, mon taux d'endettement maximum était de 21%, jure Guillaume. Le premier taux qu'ils m'ont accordé, c'était 1,65%. Peut-être que le temps de faire les vérifications, les taux avaient augmenté et qu'ils n'étaient plus en capacité d'assumer cette proposition ? Entre temps, j'ai vu un courtier qui m'a dit que les taux actuels de la Caisse d'Épargne étaient plus aux alentours de 2,10%. »

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Il tente alors de se rapprocher de plusieurs banques : LCL, BNP Paribas, CIC... « On m'a proposé des taux à 2,25%, sans compter l'assurance ! Je me suis aussi renseigné chez Boursorama, chez qui j'ai également un compte. Ils m'ont directement dit qu'ils ne pourraient rien faire car leurs taux étaient déjà trop hauts par rapport au taux d'usure. » Dernier espoir pour Guillaume, le Crédit Agricole : « On m'a dit qu'on pouvait peut-être faire quelque chose, mais c'est mon ultime recours. La situation est compliquée et plus le dossier traine, plus les taux vont augmenter. »

Refus de délégation d'assurance

Si elle va pouvoir mener à bien son projet, Sylvie mesure la chance qu'elle a eu, après avoir vécu plusieurs désillusions. « Actuellement locataire, j'ai pour projet d'acheter une maison, explique celle qui sera retraitée d'Airbus au 1er novembre. Quand j'ai trouvé le bien que je souhaitais, j'ai été voir La Banque Postale, ma banque de toujours. On a monté le dossier, mais il a été finalement refusé au prétexte que j'étais au-dessus du taux d'usure, et que je n'avais pas assez de reste à vivre. Mais après avoir payé le crédit, il me restait quand même 2 600 euros ! Je ne dépassais même pas le taux d'endettement, j'étais à 19% ! »

Elle fait donc appel à un courtier. Mais là-encore, entre le taux de crédit et le taux de l'assurance, les banques contactées répondent par la négative, à cause d'un taux d'usure dépassé. Face aux banques, Sylvie tente de contourner le problème en présentant des délégations d'assurance, à équivalences égales mais moins chères, pour passer sous le taux. « Ce qui m'a beaucoup étonnée, c'est que les banques refusent la délégation d'assurance. J'avais trouvé deux assurances aux prix plus bas mais qui répondaient aux critères. Pourtant, ces dernières n'ont pas voulu prendre les délégations que je leur proposais. »

Une situation qui agace profondément Sylvie : « Quand vous avez un client depuis des années qui essaie d'avoir un prêt, comme c'est mon cas à La Banque Postale, on peut essayer de mettre en place autre chose ! J'avais 35 000 euros d'apport, et le prêt était de 111 400 euros environ. Je pouvais même mettre plus mais ce n'était pas le problème, La Banque Postale voulait absolument que je prenne leur assurance. »

Elle décide finalement de contacter le Crédit Mutuel, la banque de son employeur, Airbus : « Ils ont tout fait pour que mon dossier passe, en faisant en sorte que l'assurance me coûte le moins cher possible. Mon taux de crédit est à 1,45% et le montant de l'assurance sur mon prêt de 15 ans est de 7 000 euros environ. Comme je serai à la retraite au 1er novembre, on ne gardera que l'assurance décès ce qui fera baisser encore le coût. J'ai vraiment eu beaucoup de chance de trouver cette solution, c'est un énorme soulagement pour moi. »

Une surprime peut coûter très cher

Patrice a eu moins de chance. Travaillant en Suisse depuis 25 ans, il souhaite revenir en France pour sa retraite, dans quelques mois. Il décide donc de faire construire une maison sur un terrain qu'il a acheté avec ses économies. Après avoir obtenu un permis de construire et réalisé différents devis auprès d'artisans, il sollicite le Crédit Agricole, qui lui propose un prêt de 220 000 euros au taux nominal de 1,09% sur 15 ans en avril 2022.

Mais la banque souhaite également que Patrice prenne son assurance au sein de l'établissement bancaire. Problème : après une opération coronarienne début 2020, il se retrouve à devoir payer une forte surprime. « Suite à ce problème d'assurance, je me retrouve à payer 2,5 fois plus de prime d'assurance que de remboursement d'intérêts (environ 38 900 euros de primes d'assurance emprunteur et 16 900 de remboursements d'intérêt). Du coup, mon TAEG est à 3,16%, bien plus que les 2,60% autorisés actuellement. Résultat, je me retrouve avec un terrain sur lequel je ne peux rien construire. »

Malgré des tentatives auprès de différentes compagnies d'assurance et un taux d'endettement à 25% sur ce projet, Patrice se retrouve donc bloqué par le taux d'usure à cause de son dossier médical. Sa solution désormais : financer lui même le projet, sans passer par la banque : « Le problème, c'est que je n'aurai de l'argent disponible qu'au moment de mon départ en retraite, dans quelques mois, et que ce financement devra être fait en retirant un capital conséquent de mon fonds de pension, ce qui aura pour effet de diminuer considérablement la rente de retraite que je devais percevoir. »

Prêt immobilier : à qui profiterait un changement du mode de calcul du taux d'usure ?

Des témoignages bien loin de rassurer John*. Locataire pendant longtemps, cet homme d"un peu moins de cinquante ans réfléchit à un achat immobilier prochainement : « Notre propriétaire souhaite vendre, du coup j'ai commencé à me renseigner, même si nous devons attendre la fin de la période d'essai de ma femme, qui a changé d'emploi », explique-t-il. Il prend tout de même rendez-vous chez le courtier Cafpi il y a quelques semaines pour se renseigner sur sa capacité d'emprunt et les différentes démarches à réaliser. Là encore, le discours est loin d'être encourageant : « En juin, on nous proposait au mieux un TAEG pour notre projet de 2,60% quand le taux d'usure était à 2,40%. Aujourd'hui, même si le taux d'usure a légèrement augmenté, les taux de crédit sont eux-aussi en hausse ! »

Avec un apport de 10% pour un emprunt aux alentours des 300 000 euros, les premières simulations faisaient état d'un taux d'endettement d'environ 20%. Détenteur d'un compte à La Banque Postale, il entame des discussions : « La Banque Postale nous proposait un taux à 1,90% sur 23 ans, tout en disant que les choses changeaient tellement vite que dans 15 jours, ce taux ne s'appliquerait plus. Et c'est sans compter l'assurance emprunteur. Au final, on dépassait déjà légèrement le taux d'usure dans la simulation. Tous ces facteurs font que l'on converge vers un point de blocage. Au final, la situation est vraiment absurde : ce taux d'usure est censé protégé l'emprunteur mais se retourne contre nous. On ne s'est pas encore lancé dans notre projet immobilier, mais tous les signaux sont déjà au rouge. »

*Le prénom a été changé

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